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Colère dans les écoles primaires

Témoignages de profs « en première ligne »

10 janvier 2022 Article Politique

(Photo : manifestation du 26 janvier 2021 à Paris. Copyright : Photothèque Rouge /Martin Noda / Hans Lucas.)

En une semaine, ce n’est pas un mais deux protocoles sanitaires successifs qui ont été annoncés aux établissements d’enseignement primaire et secondaire. Dans le fond, rien ne change : les élèves doivent, lorsqu’ils sont cas contacts, enchaîner une série de trois tests tous les deux jours, dont deux autotests non-supervisés, avant de pouvoir retourner en classe. Ce protocole demande un surplus compliqué de logistique aux enseignants, perturbe le quotidien des parents et ne permet pas une quelconque continuité pédagogique pour les enfants. On est loin de la communication du gouvernement. Après deux ans de pandémie sans augmentation de moyens, le ras-le-bol des enseignants débouche sur un appel à la grève le 13 janvier.

« Pour le gouvernement, on est une garderie afin que les parents aillent bosser »

Enseignante à Bagneux, en banlieue sud de Paris, Flora [1] revient sur le calvaire qu’a été la première semaine de rentrée : « Ce protocole avec trois tests, on considère que c’est un allègement des mesures, elles sont de fait moins strictes, alors que l’épidémie repart de plus belle ! » Allègement des mesures mais complication de leur mise en place, elle précise : « Avant, dès qu’il y avait un cas, on fermait la classe. Maintenant, on a le premier test fait à la pharmacie, ensuite un test à J2 et un à J4. Les deux derniers sont faits par autotest et les parents doivent faire une attestation sur l’honneur que leur enfant est négatif pour le remettre en classe. » Une logistique qui n’est évidente pour personne, enseignants ou parents… « Pour nous, c’est très compliqué et coûteux de suivre chaque jour qui a été cas contact de qui, et de l’autre côté, beaucoup de parents sont très stressés, ils subissent les délais d’analyse des tests et ne trouvent pas ou plus d’autotests. Ils ont peur de ne pas pouvoir retourner au travail », complète Flora.

« on court sans cesse… comme des chats qu’on fait courir avec un laser »

Une angoisse confirmée par Emmanuelle, mère d’élève à Ivry-sur-Seine, ville de petite couronne parisienne : « On a l’impression d’être comme des chats qu’on fait courir avec un laser, on court sans cesse dans tous les sens pour faire les tests, obtenir les résultats, récupérer des auto-tests, communiquer les résultats à l’école. » Files interminables devant les pharmacies, rupture de stock d’auto-tests ou délais d’attente pour les rendez-vous de tests PCR ou antigéniques… « On passe la moitié de notre vie à faire la queue à la pharmacie pour faire tester nos enfants », explique Romain, père d’élève dans la même école. « Et vu les files d’attentes, si t’as pas le Covid en entrant dans la pharmacie, t’es sûr d’être cas contact en sortant ! », ironise Emmanuelle.

Ces tests sont censés être gratuits pour les enfants officiellement cas contact, mais pour être officiellement cas contact, il faut avoir été appelé par l’ARS (l’Agence régionale de santé), laquelle est aussi débordée. Beaucoup de parents finissent donc par payer de leur poche. Et pour Élodie, enseignante depuis des années dans la même commune, les entreprises ont une large part de responsabilité dans le chaos actuel : « Les patrons font exprès de pas comprendre qu’il y a un problème, ils mettent la pression aux parents, ce qui pousse les parents à faire des trucs limites concernant les attestations sur l’honneur et les tests. »

Apprendre les nouvelles le dimanche pour la rentrée du 3 janvier n’a pas non plus été une mince affaire. « On a l’impression d’une seule chose », confie Flora, « c’est que le gouvernement nous considère comme une garderie pour les parents qui doivent impérativement aller bosser. Ça fait deux ans qu’on est dans cette situation, et on dirait qu’à chaque fois ils redécouvrent le fonctionnement d’une école. »

Les moyens manquent depuis longtemps

Quid de la continuité pédagogique, mise en avant par Blanquer depuis le début de l’épidémie ? Un affichage malhonnête, selon Élodie : « Un jour on va avoir 10 enfants en classe, le lendemain 25, puis 18, tous les jours c’est la loterie ! Comment peut-on sérieusement penser que ça n’impacte pas l’apprentissage des enfants ? Chaque jour on a un groupe différent ! Et on n’a même pas de remplaçants si c’est du personnel qui est malade. » Pour pallier les absences, le gouvernement a annoncé la possibilité pour les retraités de revenir enseigner. Beaucoup refusent, et on les comprend ! Pourtant il pourrait y avoir de vraies solutions, comme appeler les candidats reçus sur listes complémentaires aux concours de recrutement des enseignants. Mais le gouvernement s’y refuse, et pour cause, explique Flora, « il préfère chercher des vacataires ou des retraités, dont ils pourront se débarrasser à la fin de la pandémie. »

Mais alors, faut-il fermer les écoles ? Pour Flora ce n’est pas vraiment la question : « on veut pouvoir enseigner dans des conditions correctes. Il faudrait pouvoir dédoubler les classes pour espacer les enfants, éventuellement prévoir de tous les tester dans le cadre scolaire à échéances régulières. Mais ça, ça demanderait des investissements et plus de personnel dédié. Là, on en est encore à un stade où on paie nos propres masques. » En effet, le stock de masques fournis aux enseignants en début de pandémie par le ministère n’a plus été renouvelé depuis. Bref, « à l’école comme à l’hôpital, le Covid ne fait que révéler un sous-investissement massif », souligne Élodie avant de pointer que « si on a pas de remplaçant par exemple, c’est parce que ça fait des années qu’on ne recrute pas assez. Et je ne parle même pas de nos salaires dérisoires… »

Fermer les écoles ? Oui, mais pour faire grève ! Dès ce 13 janvier !

Pour manifester leur mécontentement face au nouveau protocole, mais aussi pour rappeler des revendications de longue date comme la hausse des salaires et des moyens, une journée de grève le 13 janvier a été annoncée. Dans l’école de Flora, toutes les collègues veulent y participer : « c’est nous les profs en première ligne, tout le monde voit que le variant est hyper contagieux et que rien est fait pour enrayer la contagion. » Et de souligner la priorité donnée à la poursuite des activités économiques, à l’encontre des mesures élémentaires qui devraient être prises : « le seul truc qui marcherait c’est de fermer les classes quand il y a des cas, alors que là c’est l’économie qui prime sur l’école. On ne peut pas dire qu’ils soient incompétents ou débiles. Ils réfléchissent en amont, mais ils réfléchissent dans l’intérêt de l’économie. » Cela faisait longtemps qu’une telle grogne ne s’était pas fait entendre : « Au-delà du salaire, c’est aussi nos conditions de travail qui se sont dégradées, elles sont devenues intenables. Et c’est la conjonction des deux qui met le feu aux poudres. J’espère que cette grève sera suivie partout ! »

Emma Martin


[1Certains prénoms ont été modifiés.

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