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Chine : un procès aux couleurs de #MeToo

14 décembre 2020 Article Monde

Après deux ans d’attente, le procès civil pour harcèlement sexuel intenté par Zhou Xiaoxuan (surnommée Xianzi) s’est finalement tenu à Pékin la semaine dernière, à huis clos. Cette figure du mouvement #MeToo en Chine accuse un présentateur vedette de la télévision chinoise – et membre éminent du Parti, pour des faits remontant à 2014 lorsqu’elle était stagiaire pour la chaîne publique nationale CCTV. Une centaine de personnes s’est rassemblée devant le tribunal pour soutenir Xianzi, malgré le harcèlement des policiers présents et l’expulsion des journalistes étrangers. Si les censeurs chinois ont travaillé plusieurs jours à faire disparaître toute référence au procès sur les réseaux sociaux, l’information a quand même circulé et a remué les souvenirs de la vague #MeToo qui avait bousculé le net chinois en 2018.

C’est un fait rare que des affaires liées aux droits des femmes soient acceptées par les tribunaux chinois. Selon une ONG locale de lutte pour les droits des femmes [1], près de 40 % des femmes chinoises ont déclaré avoir été harcelées sexuellement au travail. Or, sur plus de 50 millions de verdicts rendus publics par les tribunaux chinois entre 2010 et 2017, seuls 34 sont liés à des faits de harcèlement sexuel.

La première affaire pour harcèlement sexuel sur un lieu de travail a été rejetée en 2001 par le tribunal de Xian pour manque de preuves. La plaignante, qui a déclaré avoir subi sept ans de harcèlement de la part de son directeur d’une entreprise publique de la ville, cherchait à obtenir des excuses publiques.

En mai dernier, la Chine a adopté son premier code civil, élargissant la définition du harcèlement sexuel pour inclure les offenses sur les lieux de travail et dans les universités. Il est difficile de ne pas y voir une conséquence directe de la mobilisation de 2018 pour un #MeToo chinois.

La version #MeToo en Chine

Le premier cas #MeToo qui a été révélé au grand public est celui de Luo Xixi, une ancienne étudiante d’une université pékinoise. Elle révèle dans un texte publié en ligne le 1er janvier 2018 avoir été harcelée sexuellement douze ans auparavant par son professeur, Chen Xiaowu.

S’ensuit une vague de mobilisation dans les universités : plus de 8000 étudiantes publient une lettre ouverte pour dénoncer le harcèlement sexuel dans les facs. Entre juin et août 2018, pas moins de trente personnalités publiques des secteurs de l’éducation et des médias ont été accusées publiquement de violences sexuelles. Si #MeToo a surtout touché des jeunes femmes de milieux intellectuels et privilégiés, cela n’a pas laissé insensibles certaines femmes travailleuses, à l’image d’une ouvrière de chez Foxconn qui publie en janvier 2018 une lettre ouverte et anonyme appelant à implanter une politique contre le harcèlement sexuel dans l’entreprise.

En 2018, le harcèlement sexuel a été l’un des sujets les plus censurés sur WeChat. Tous les hashtags servant à rendre visibles ces dénonciations ont été censurés : #MeToo (qui au 27 juillet 2018 est apparu pas moins de 77 millions de fois sur les réseaux), #wǒyěshì, et le fameux homonyme « #RizLapin » #🍚🐰 #MiTu #米兔 inventé pour contourner la censure.

Mais la répression ne s’avère pas suffisante pour faire taire la voix des femmes. Les histoires individuelles sur le harcèlement continuent d’éclater au grand jour tout au long de l’année. Le 3 mai 2019, une étudiante aux États-Unis (Liu Jingyao) accuse de viol le milliardaire chinois Richard Liu (Liu Qiangdong), PDG de JD.com, une des plus grosses plateformes d’e-commerce chinoise. Malgré la censure, des internautes ont réussi à faire circuler une pétition et une mobilisation a été lancée autour du hashtag (wǒ yě bùshì wánměi shòuhàizhě – Je ne suis pas une victime parfaite) avant que la censure ne s’abatte.

#MeToo a mis la lumière sur un nouveau militantisme féministe qui se base sur les réseaux sociaux pour s’organiser et rendre ses actions visibles. Il s’est constitué en dehors des structures étatiques et souvent en opposition au pouvoir qui use de censure et de répression pour le faire taire.

Dans les années 2000 et grâce au développement d’internet, une nouvelle génération de jeunes féministes émerge. Sur les réseaux sociaux, le terme communément utilisé est « jeunes militantes féministes » (qīngnián nǚquán xíngdòng pài). Cette jeune garde se positionne en contraste avec le féminisme des années 90 basé sur la non-confrontation et la coexistence avec les structures de l’État, et revendique un féminisme indépendant (dúlì nǚquán zhǔyì). D’autant plus que depuis les années 2000, le gouvernement chinois prône le retour aux valeurs patriarcales confucéennes et à la famille traditionnelle pétrie de normes sexistes. Ces féministes passent également un cap qualitatif, celui de la dénonciation et de l’action directe, sur internet ou dans la rue, très isolées mais visibles.

C’est dans cette logique qu’a été monté en 2011 « The One-yuan Commune » (Yi yuan gongshe), un centre d’activités culturelles et de formations féministes à Pékin. Cet espace d’expression et de réflexion a formé une poignée de jeunes militantes, qui ont joué sur la visibilité que pouvait donner internet à leurs actions pour créer le buzz et faire entendre leurs revendications. Citons l’exemple de trois militantes qui ont défilé le 14 février 2012 à Qianmen (quartier jouxtant la place Tiananmen), habillées d’une robe de mariée tâchée de sang pour dénoncer les violences conjugales. L’action a fait le buzz sous le nom de « mariées ensanglantées » (shòushāng de xīnniáng). Un autre exemple, l’action « #occupy les toilettes des hommes » (zhànlǐng náncè suǒ) qui, malgré la participation de quelques dizaines de personnes seulement, a figuré parmi les dix mots-clés les plus recherchés de la journée sur les réseaux sociaux.

Entre 2009 et 2015, ces activistes, pour la plupart très jeunes, ont été marginalisées et leurs actions dépréciées, mais la véritable rupture avec le pouvoir aura lieu en 2015, avec le célèbre épisode des « cinq féministes » (The Feminist Five). La veille du 8 mars 2015, la police a procédé à une vague d’arrestation de jeunes activistes chinoises dans plusieurs villes. Les autorités ont mis en prison cinq d’entre elles, liées notamment à la plateforme web « Voix féministes » (Nǚquán zhī shēng), qui projetaient la distribution de brochures contre le harcèlement sexuel dans les transports publics. La détention de ces jeunes femmes dura 37 jours et a suscité l’émoi de la communauté nationale et internationale.

Le procès intenté par Zhou Xiaoxuan (Xianzi), dont le verdict attendu dans les prochains jours à l’avantage de l’accusé ne fait presque pas de doutes, est l’occasion de remobiliser une couche minoritaire mais existante de la jeunesse chinoise qui ose se dresser contre le PCC et Xi Jinping notamment sur les questions féministes. Dans un pays où la répression et la censure sont omniprésentes, la visibilité d’un événement de la sorte a son importance. Le gouvernement chinois apporte une réponse sur le terrain législatif au harcèlement sexuel, notamment sur les lieux de travail, en passant une loi (dans le nouveau code civil) qui obligerait les entreprises à adopter un règlement interne contre le harcèlement. Rien ne dit que ces mesurettes, qui ont largement prouvé leur inefficacité, convaincront les jeunes mobilisées.

Myriam Rana


[1Beijing Yuanzhong Gender Development Center

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