Ouïghours : la Chine persécute, les multinationales occidentales profitent
Photo : peinture murale au Xinjiang, source : https://www.bbc.com/news/world-asia...
Lundi dernier, l’Union européenne a annoncé des sanctions (interdiction de visas, gel des avoirs) à l’encontre de quatre dirigeants locaux du Xinjiang, province qui abrite la majorité de la population ouïghoure persécutée par le régime chinois. Une maigre réaction qui donne timidement le change face à l’ambiance qui, fin 2020, était plutôt au rapprochement, après la signature d’un accord ambitieux censé faciliter les investissements des entreprises européennes en Chine.
Car pendant que Merkel et Macron négocient avec le président chinois Xi Jinping pour le compte des capitalistes européens, cela fait plusieurs années que des ONG, des personnalités internationales et des rescapés dénoncent l’existence de près de 380 centres de détention où sont séquestrés entre 800 000 et 1,5 million de Ouïghours dans ces conditions inhumaines. Mais pour Pékin, ces « programmes de rééducation » ne violent en rien les droits humains et sont destinés à éloigner cette minorité de l’extrémisme religieux au nom de la « lutte contre le terrorisme » des attentats qui leur sont attribués. Depuis cet été, à la dénonciation d’ONG de la répression des Ouïghours dans la province chinoise du Xinjiang s’est ajoutée celles de personnalités publiques et plus récemment certains États, qui condamnent en chœur la politique raciste perpétrée par Pékin contre cette minorité ethnique, quand cela peut servir leurs intérêts économiques ou géopolitiques…
Une répression qui vient de loin
Ce peuple d’Asie centrale, turcophone et majoritairement musulman, a été rattaché à la Chine en 1759, par l’annexion du « Turkestan oriental ». Ils seraient aujourd’hui environ 13 millions d’habitants à vivre dans cette région reculée de l’ouest de la Chine, le Xinjiang – littéralement ‘nouvelle frontière’. C’est dans les années 1950, puis de façon plus violente lors de la révolution culturelle (1966-1976), que l’État chinois lance une politique d’assimilation culturelle des diverses minorités du pays – le pays en compte une cinquantaine officiellement –, ciblant notamment les Tibétains et les Ouïghours. Les premiers étaient contraints de consommer du riz et les autres à manger du porc, pour les forcer à abandonner leur culture traditionnelle au profit de l’idéologie nationaliste maoïste en vigueur. Dans les années 1970-1980, le régime tente d’intégrer une partie des « élites » locales, mais cette politique tourne court. La répression s’accroît à mesure que la Chine se développe et cherche à exploiter cette lointaine région, stratégique par ses ressources et sa localisation. La chute de l’URSS et la naissance des républiques voisines du Kazakhstan et du Kirghizistan n’est pas de nature à rassurer le Parti communiste chinois. Alors, lorsqu’en 1995 des émeutes éclatent à Aksou (ville de 500 000 habitants à 800 km de la capitale de la province), Pékin se lance dans une vague de répression, dont la lutte contre le séparatisme – puis le terrorisme islamiste – deviendra l’argument clé, notamment après l’attentat du 11 septembre 2001 à New York qui en fait l’argument des toutes les grandes puissances. En réaction, la brutalité de Pékin attise le nationalisme ouïghour, partiellement instrumentalisé par des organisations islamistes, dont le Parti islamique du Turkestan, affilié à Al-Qaïda. La répression s’accentue encore sous Xi Jinping après une vague d’attentats revendiqués par Al-Qaïda en 2013 et 2014, qui font près de 400 morts.
Un laboratoire de la dictature de Xi Jinping
Les persécutions se multiplient (flicage, arrestations arbitraires, surveillance des familles), tandis que sont instaurés un contrôle des naissances et une campagne de stérilisation forcée des femmes ouïghoures. Une politique qui vise à diluer les Ouïghours dans l’ethnie Han (majoritaire à plus de 95 % en Chine), passée de 6 % de la population du Xinjiang en 1949 à plus de 45 % aujourd’hui, devant les Ouïghours eux-mêmes (40 %). Les dizaines de camps « de rééducation » – où sont enfermées chaque année près d’un million de personnes – incarnent cette volonté d’affaiblir cette minorité ethnique, alors que le régime expérimente dans cette province des mesures liberticides (comme l’endoctrinement des enfants arrachés à leur famille ou l’apprentissage obligatoire du mandarin) et des technologies de surveillance de masse utilisables contre toute la société. En effet, l’État chinois cherche aussi à faire un exemple de « lutte contre le séparatisme » (« les trois maux du terrorisme, du séparatisme et de l’extrémisme », on croirait entendre Macron), en montrant que le régime est prêt à tout pour maintenir l’ordre : du Tibet à Hong-Kong, mais aussi contre la société chinoise toute entière. Et dans cette entreprise, la Chine peut compter sur des alliés de taille : plusieurs pays dont l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, ont signé une déclaration conjointe en juillet 2020 pour faire l’éloge des actions chinoises et dénoncer l’ingérence de l’ONU dans les affaires du Xinjiang. C’est que les affaires vont bon train avec la Chine, qui a investi plus de 40 milliards d’euros depuis cinq ans dans les pays du Golfe. Rajoutons l’Iran à cette liste de cautions de « pays musulmans »… qui se soucient bien peu du sort des populations musulmanes de Chine.
Photo satellite d’un camp
Une région stratégique pour la Chine… et les impérialistes occidentaux
Par ses mesures racistes, le pouvoir chinois entend mettre au pas une minorité dans une région cruciale pour son projet de « nouvelle route de la soie », un vaste réseau d’infrastructures terrestres et maritimes reliant la Chine au reste de l’Asie, à l’Europe et à l’Afrique. Le Xinjiang est vaste (16 % du territoire chinois), représente 84 % de la production nationale de coton et fournit de nombreuses ressources : minerais, terres rares, carrefour d’oléoducs, etc. D’ailleurs, de nombreuses multinationales y sont présentes et exploitent une main-d’œuvre bon marché… d’autant qu’elle est soumise par la force et la terreur. Entre 2017 et 2019, près de 80 000 Ouïghours internés dans les camps ont été forcés de travailler dans des usines installées dans la région pour fabriquer des vêtements, de l’électronique ou des jouets. Des groupes comme Gap, Adidas, C&A, Tommy Hilfigher, Uniqlo, Nike, Zara, mais aussi Amazon, Nokia, Apple ou encore Volkswagen continuent de profiter de ce travail forcé, sans y voir à redire ! La bourgeoisie a le cœur du côté du portefeuille, c’est bien connu.
Les larmes de crocodile des faux amis occidentaux
Le nouveau chef de la diplomatie américaine, Anthony Blinken, a récemment qualifié la situation au Xinjiang de génocide. Difficile de ne pas y voir une énième posture dans un petit bras de fer de marchandages avec la Chine. C’est sans doute pour de semblables raisons intéressées que les États occidentaux changent de ton et dénoncent aujourd’hui ce qu’ils choisissaient de ne pas voir hier. Ils se disent préoccupés par les droits humains, mais ce n’est certainement qu’en fonction de leurs frictions commerciales ou concurrences avec la Chine que Trump, Biden, Le Drian ou… le patron du groupe allemand Siemens ont tour à tour dénoncé le sort fait aux Ouïghours. Alors que les dirigeants des grandes puissances occidentales ou les patrons des grands trusts s’entendent si bien avec tant de régimes dictatoriaux quand cela va dans le sens de leurs intérêts.
Mais face à ce « rival stratégique » (d’après l’UE) et « concurrent systémique » (selon la Fédération des industriels allemands) qu’est la Chine, la situation au Xinjiang peut « justifier » des sanctions commerciales contre les entreprises chinoises concurrentes.
Mathilda Nallot et Hugo Weil