Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 126, mai 2019 > DOSSIER : Blanquer contre l’École

Blanquer contre l’École

En 2017, le nouveau ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, l’assurait : il ne serait pas de ceux qui chercheraient à tout changer. Moins de deux ans plus tard, le voilà qui s’est lancé dans une grande série de réformes, de la maternelle au lycée. Loi pour une « École de la confiance », réforme du bac et du lycée (général, technologique et professionnel), l’ensemble des mesures engagées est très cohérent, et dans la lignée des dernières réformes. Sa vision est celle d’une école perçue comme un coût, et son projet idéologique des plus rétrogrades.

Des réformes idéologiques

Jean-Michel Blanquer connaît bien les instances de direction de l’Éducation nationale, lui qui a été recteur des académies de Guyane et de Créteil, Directeur de cabinet adjoint du ministre Gilles de Robien avant de devenir le Directeur général de l’enseignement scolaire (DEGESCO) de Luc Chatel. Élitiste et autoritaire, il défend une école « exigeante », surtout pour les meilleurs élèves. C’est un fervent défenseur de l’autonomie et de l’évaluation des établissements, de la mise en concurrence des personnels et des établissements.

Sa politique, comme celle de ses prédécesseurs – qu’il a largement contribué à mettre en œuvre ! –, est un ensemble de contre-réformes visant à inverser l’évolution amorcée dans les années 1970 à 1990 avec la démocratisation ou plutôt la massification de l’enseignement qui avait permis un allongement global des études, notamment pour les enfants des classes populaires. En deux mots, il mène des réformes de classe : l’éducation coûte cher, inutile de consacrer trop d’argent à envoyer des enfants de prolos à l’école ! Les attaques contre les lycées professionnels, la baisse des moyens et l’augmentation des effectifs par classe, qui ne permettent pas aux élèves le plus en difficulté de s’en sortir, la sélection, l’exigence des programmes des séries générales… tout cela va dans ce sens.

Des réformes pour faire des économies

Comme d’autres avant lui, Blanquer cherche bien sûr aussi à « dégraisser le mammouth » (Allègre en 1999) : pour honorer la promesse idéologique et économique de Macron de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires en 5 ans, il est logique de s’attaquer à l’Éducation, qui fournit le plus gros contingent de fonctionnaires. Ainsi, malgré une hausse des effectifs, en particulier dans le second degré, liée à la démographie (le boom des années 2000), il y a dans le même temps moins d’enseignants et de personnels dans l’Éducation. À la rentrée prochaine, on attend dans le second degré 32 000 élèves de plus… avec 2 650 postes d’enseignants et 400 postes d’administratifs de moins !

À l’école maternelle et élémentaire

Les effectifs réduits en classe de CP et CE1 sont reconduits dans les REP (Réseaux d’éducation prioritaire), mais toujours au détriment des effectifs dans les autres niveaux et d’autres dispositifs qui pouvaient exister (« Plus de Maîtres Que de Classes »). Quant au plafonnement des effectifs à 24 par classe promis par Macron lors de sa conférence de presse du 25 avril, il ne concerne que la grande section de maternelle, le CP et le CE1 et laisse donc de côté les autres classes de maternelle et du primaire : gageons que les instits nécessaires pour réaliser cette promesse seront pris sur ces autres classes dont les effectifs augmenteront, au moins pour celles du primaire.

Ce qui a fait le plus réagir dans les écoles jusqu’à maintenant, c’est la suppression des directeurs et la mutualisation des effectifs permises par la création des EPLESF (Établissements des Savoirs Fondamentaux). Les directeurs d’école sont aujourd’hui les interlocuteurs privilégiés des parents d’élèves. Ils sont eux-mêmes professeurs des écoles en charge d’une classe. Leur supérieur hiérarchique n’est pas un « administratif » mais un inspecteur (IEN) en charge des questions pédagogiques. Les directeurs et tous les instits tiennent énormément, à juste titre, à cette forme d’organisation qui préserve un petit îlot de démocratie dans les écoles.

Les établissements inter-degrés regroupant plusieurs écoles sous l’autorité administrative d’un collège, permettraient évidemment de faire des économies budgétaires en faisant disparaître les postes de direction dans les écoles, celles-ci étant amenées à être gérées par un adjoint au principal du collège du secteur (or il y a bien plus de directeurs, 45 000, que de principaux de collèges, 5 300). Surtout, les directeurs d’écoles bénéficient d’une décharge horaire : supprimer ces décharges, c’est donc faire l’économie de tous les postes de remplaçants dont le service consistait à compléter les directeurs.

D’autre part, le regroupement des écoles d’un secteur dans une même entité administrative faciliterait la mutualisation des effectifs. Enfin, la réforme favoriserait les services partagés inter-degrés (école-collège), et donc ainsi la suppression de postes d’enseignants.

Au collège et au lycée

Dans le second degré, la hausse des effectifs d’un côté et les baisses de moyens alloués aux établissements de l’autre créent une tension que le gouvernement entend atténuer en partie, au détriment des conditions de travail des enseignants, par l’imposition d’une deuxième heure supplémentaire obligatoire. Par ailleurs, les seuils d’ouverture de classe sont partout relevés.

La réforme du lycée général est aussi soumise à la recherche du moindre coût. La suppression des filières (L, ES, S) permettra d’optimiser le remplissage des classes, en regroupant les élèves dans un nombre restreint de classes avec un effectif de 35 élèves – et même jusqu’à 38 ! – pour les heures de tronc commun. De plus, les horaires hebdomadaires par classe baissent en seconde comme en première, soit encore des postes supprimés. Une enveloppe réduite d’heures par classe sera consacrée à tout ce qui n’est pas « la base » (options, soutien, orientation, dédoublement), ce qui imposera aux établissements de faire des choix : par exemple, ouvrir une option facultative théâtre, ou dédoubler une heure de français en seconde ?

Un renforcement des inégalités

Cette logique, à l’œuvre depuis de nombreuses années, qui consiste encore et toujours à « faire plus » avec moins de moyens a pour effet d’accentuer les inégalités territoriales et sociales. Pas étonnant que la France soit championne des inégalités scolaires depuis quelques années. Or, les réformes Blanquer accentuent encore cette logique, en mettant à mal le cadre national de l’éducation, déjà largement ébranlé par la mise en place de l’autonomie des établissements.

Cela avait déjà commencé avec Parcoursup, nouvelle plate-forme pour l’orientation dans l’enseignement supérieur, mise en place pour la rentrée 2018, qui a instauré de fait la possibilité de la sélection à l’entrée de l’université… et qui a permis de laisser sur le carreau des dizaines de milliers de jeunes, issus des milieux populaires. En effet, 120 430 bacheliers ont quitté Parcoursup sans qu’on sache ce qu’ils font et seuls 25 000 jeunes ont été réaffectés par les commissions rectorales car ils n’avaient rien obtenu. Il est difficile de parler d’une orientation choisie pour ces derniers !

L’éviction voulue des jeunes de milieux défavorisés, à rebours de la massification de l’enseignement, y compris supérieur, opérée depuis les années 1970, est évidente quand on se penche sur les statistiques de Parcoursup selon le type de baccalauréat obtenu, marqué socialement. Ainsi, alors que le nombre moyen de vœux par candidat est presque identique quel que soit le type de bac, le nombre moyen de propositions d’affectation est très disparate : passant de 4,2 pour un bachelier général à 2,8 pour un bachelier technologique et à 2,2 pour un bachelier professionnel.

En fin de procédure, 62,4 % des bacheliers professionnels ont eu une proposition d’affectation, incluant l’apprentissage, contre 77,9 % avec APB en 2017.

Il y a donc bien eu, contrairement à ce que prétend la ministre de l’Enseignement supérieur, un renforcement des inégalités sociales.

Avec la réforme du lycée, les élèves devront construire leur parcours individuel dès la classe de Seconde puisque les spécialités choisies devront être en relation avec leur projet post-bac.

Or, pour les familles les plus populaires, éloignées de l’école, ces parcours, et leur lien avec le post-bac, sont flous et peu lisibles : les choix vont s’apparenter à un parcours du combattant… qui conduira encore plus nombre d’entre elles à la « sécurité » d’un bac technologique ou professionnel. D’autant plus que les programmes des spécialités du bac général sont très exigeants et ambitieux !

Cette orientation précoce, accentuée par l’abandon d’une spécialité en classe de Terminale, risque d’enfermer les élèves les plus fragiles dans des impasses par rapport au post-bac.

De plus, contrairement à ce que Blanquer serine dans tous les médias, la liberté de choix des spécialités garantie aux élèves et à leurs familles, qui permet, selon lui, d’enrichir les parcours des élèves, sera très limitée. Faute de financement très large des spécialités, les lycées vont être contraints de proposer des combinaisons (des menus en quelque sorte). En cas de manque de places dans une spécialité, une circulaire récente prévoit que les conseils de classe trancheront, à partir des résultats des élèves… On est loin du libre choix des familles !

L’implantation des enseignements de spécialité cristallise et renforce les inégalités déjà existantes : les lycées ruraux, les petits établissements ou les moins favorisés ne pourront pas assurer le maximum de possibilités de parcours.

Enfin, la réforme du baccalauréat réduit le nouveau bac à cinq épreuves terminales, tout le reste étant évalué en contrôle continu et en épreuves locales organisées dans chaque établissement. De quoi renforcer les différences déjà existantes concernant la « valeur » du diplôme en fonction du lieu et de la réputation du lycée d’origine. Car, si un bac obtenu au lycée Henri IV à Paris n’avait déjà pas la même valeur que celui obtenu dans un petit lycée d’une campagne lointaine ou dans un lycée de banlieue parisienne, cela va être exacerbé par une réforme du lycée qui va différencier encore plus les conditions d’obtention de ce bac. 

Sabine Beltrand et Liliane Laffargue

Mots-clés :

Imprimer Imprimer cet article