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Après la signature de l’accord sur la formation professionnelle : OÙ VA LA CGT ?

16 octobre 2003 Politique

Le 30 septembre dernier, à l’issue de son Comité confédéral national, la CGT a décidé de signer l’accord sur la formation professionnelle, déjà accepté dix jours plus tôt par l’ensemble des autres confédérations syndicales et le Medef.

Le 20 septembre, Maryse Dumas, secrétaire confédérale et principale représentante de la CGT aux négociations, estimait encore « très insuffisantes les avancées du patronat », laissant penser à tout le monde que sa confédération ne signerait pas l’accord. Quelques jours plus tard, le son de cloche était déjà différent. Une parodie de consultation était organisée au sein de la CGT : certaines Unions départementales ont lancé un questionnaire à tous les syndiqués (à faire remonter en quelques jours !), d’autres n’ont même pas éprouvé ce besoin et n’ont rien fait du tout. Et, surtout, Maryse Dumas et Bernard Thibault annonçaient publiquement leur volonté de signer l’accord avant même la réunion du CCN, s’attirant les éloges des commentateurs pro-patronaux. Le 26 septembre, sur les ondes de France-Inter, Brigitte Jeanperrin, qui venait d’énumérer une série de mauvaises nouvelles pour les patrons, s’exclamait : « Un rayon de soleil, tout de même : la CGT envisage de signer l’accord sur la formation professionnelle », assortissant l’information du commentaire : « Bernard Thibault est-il en passe de réussir la transformation de sa centrale en une force de proposition ? » Enfin, à l’annonce de l’approbation de l’accord par la CGT, les commentaires se sont multipliés. François Chérèque, le dirigeant de la CFDT, a lâché un laconique : « Bienvenue au club ! », tandis que Jean-Pierre Raffarin saluait la « bonne nouvelle » et qu’un dirigeant du Medef, cité par Le Monde du 2 octobre, se réjouissait que « la CGT réintègre le champ conventionnel ».

Signer avec le Medef… pour lui mettre des bâtons dans les roues ?

De cet accord, les salariés n’ont pas à attendre grand-chose. Les syndicats se réjouissent que le patronat augmente sa contribution à la formation professionnelle (mais Bernard Thibault lui-même, dans un entretien donné au Monde du 2 octobre expliquait : « Il est de l’intérêt des employeurs d’avoir des salariés disposant de qualifications élevées ») et, surtout, que soit consacré le « droit individuel à la formation » dans lequel la CGT voit les prémices du « statut du salarié » mis en avant lors de son dernier Congrès confédéral. Il s’agit d’un droit à 20 heures de formation par an cumulable sur six ans ; mais ce droit « individuel » est en réalité lié à l’entreprise puisque non transférable en cas de changement d’employeur, sauf dans quelques cas comme le licenciement. Et cette clause risque plutôt d’être un obstacle à l’éventuelle embauche après licenciement : les patrons se précipiteront encore moins qu’ils ne le font pour embaucher un travailleur licencié disposant déjà, à l’embauche, de 120 heures de formation, par exemple !

Enfin, et c’est sans doute le point essentiel pour le patronat, la formation professionnelle pourra se faire en dehors des heures de travail, auquel cas elle donnera droit à une indemnisation sur la base de 50 % du salaire. Sur ce point, Maryse Dumas explique hypocritement dans La Nouvelle Vie Ouvrière du 3 octobre : « L’accord interprofessionnel ouvre la possibilité à des formations hors temps de travail, il n’y oblige pas. Toute notre bataille va donc consister à, par le rapport des forces et la négociation, réduire à néant le nombre d’heures de formation hors temps de travail et augmenter leur rémunération »… Comme si elle ne savait pas que l’essentiel pour le patronat était, précisément, que cette possibilité lui soit ouverte et qu’il l’utilise si cela l’arrange ! Tant pis pour les salariés qui seront obligés de suivre des cours le soir ou le week-end : ils n’avaient qu’à créer un « rapport de forces » suffisant !

Cet accord fait payer cher à ceux qui le souhaitent le suivi d’une formation. Ce n’est certainement pas un « bon » accord pour les travailleurs. Alors, pourquoi l’avoir signé ? Les dirigeants de la CGT ont une raison toute prête, même si elle est tirée par les cheveux : « Sa capacité à aller jusqu’à signer un accord qui comporte des avancées pour les salariés donne du crédit aux raisons pour lesquelles, à d’autres occasions, la CGT ne signe pas », explique Maryse Dumas dans la Nouvelle Vie Ouvrière du 3 octobre. Et le fait que patronat et gouvernement applaudissent des deux mains est tout simplement nié par elle : « Quoi qu’ils en disent, le gouvernement et le Medef ne se réjouissent pas de la signature de la CGT. » Et elle ajoute ce commentaire savoureux : « Ils n’ont d’ailleurs rien fait pour l’obtenir » ! En d’autres termes, le gouvernement et le patronat auraient proposé un accord inacceptable à la CGT, mais la CGT aurait été plus rusée qu’eux et l’a quand même signé !

S’il n’y a rien dans l’accord qui justifie la signature de la CGT, la raison de cette signature est donc à chercher ailleurs. Et ce n’est sans doute pas un hasard si cette signature se fait à un moment où redouble l’offensive anti-salariés, entamée depuis longtemps, du patronat et du gouvernement, avec leur nouvelle campagne contre « les 35 heures » par exemple. En signant l’accord, la direction de la CGT leur laisse à entendre qu’elle ne fera rien de sérieux pour s’opposer aux nouvelles attaques en préparation. Et elle espère qu’on lui renverra l’ascenseur : « Les syndicats ne sont pas les pompiers du social. Nous ne voulons pas être cantonnés à la gestion de centaines de plans sociaux qui s’annoncent. Nous voulons prendre le problème en amont, et peser sur les choix stratégiques des entreprises », a déclaré Bernard Thibault au lendemain du CCN, à l’occasion d’une réunion organisée par la Fédération de la métallurgie. Ce qui signifie : nous voulons gérer autre chose que les plans sociaux, des choses intéressantes pour nous, appareils syndicaux. L’appel du pied au patronat est on ne peut plus clair !

L’opposition au « recentrage »

La signature de l’accord sur la formation professionnelle est bien un pas de plus dans le « recentrage » de la CGT.

Cela fait plusieurs années que le monde patronal est à l’affût de la « transformation » de la CGT en un syndicat de « proposition », pour reprendre l’expression de Bernard Thibault alors nouvellement élu à la tête de la CGT à l’occasion de l’avant-dernier Congrès confédéral, le 46e. Depuis, Bernard Thibault a multiplié les gestes de bonne volonté sur des points plus ou moins importants, suscitant de vives oppositions à l’intérieur même de la CGT, oppositions qui sont observées à la loupe par tous les commentateurs.

De ce point de vue, le fait qu’au 47e Congrès confédéral (tenu au printemps 2003, et dont l’appareil a pourtant tenté de trier les délégués sur le volet) ces oppositions se soient publiquement fait entendre et aient recueilli 12,36 % des mandats, tandis que les abstentions atteignaient 12,99 %, a rendu les commentateurs prudents sur le pronostic : que les courants qui s’opposent à la « ligne Thibault » soient très minoritaires dans des congrès taillés sur mesure ne donne pas la réponse sur la réalité de la grogne à tous les niveaux dans la confédération.

De cette opposition, nous avions déjà eu un indice lorsque, à la fin de l’année 2002, la direction de la Fédération de l’énergie s’était engagée en faveur du projet de la direction d’EDF de modification du système des retraites des agents, sans être désavouée par les dirigeants confédéraux, ce qui, dans le contexte, avait valeur d’appui. La direction de la CGT chercha à faire avaliser son soutien à la direction d’EDF par un référendum dans l’entreprise. Mais, malgré tous les moyens mis à la disposition du vote « oui », les salariés d’EDF rejetèrent le projet, à l’incitation de nombre de militants CGT eux-mêmes. Et le responsable de la Fédération de l’énergie, Denis Cohen, fut même mis en minorité, temporairement il est vrai, au sein des instances dirigeantes de sa fédération.

Enfin, au CCN du 30 septembre, si l’accord sur la formation professionnelle a été entériné par 77 voix, il y a eu 20 voix contre et 16 abstentions.

Les enjeux de la « transformation » de la CGT

Les oppositionnels déclarés à la « ligne Thibault » qualifient cette dernière de « réformiste », alors qu’eux-mêmes seraient partisans d’une « CGT de lutte de classe ». Il ne s’agit évidemment pas de prendre au pied de la lettre de telles appellations : cela fait longtemps que la CGT n’est pas un syndicat de « lutte de classe » et les opposants déclarés à la « ligne Thibault », entièrement formés au sein de l’appareil cégétiste, ont, pour beaucoup d’entre eux, collaboré ces dernières décennies avec les tenants de cette ligne, en parfait accord sur la politique et les compromissions de la CGT. Or c’est cette politique et ces compromissions qui préparaient l’évolution actuelle. Mais si les étiquettes dont s’affublent les oppositionnels déclarés sont à prendre avec des pincettes, elles sont tout de même le reflet d’un sentiment diffus, confus aussi, qui existe très largement parmi les militants cégétistes, dont beaucoup ne se reconnaissent effectivement plus dans la « ligne Thibault » et que l’évolution actuelle laisse mal à l’aise.

La CGT, comme tous les syndicats sans doute, est le résultat d’une certaine dualité entre la politique de sa direction et la pratique des militants : même avec la plus corrompue des directions, aucun syndicat ne pourrait exister et se développer sans disposer, à la base, d’un certain nombre de militants dévoués et combatifs qui représentent la première image que les travailleurs ont de lui. Mais, dans le cas de la CGT, cette première image que donnent les militants « de terrain » n’est pas faite que de dévouement ni même de combativité. En effet, plus encore que de se montrer le plus souvent comme les plus combatifs, ce qui les distinguait jusque-là de militants d’autres syndicats, c’est une certaine conscience que, plus que par les négociations et la collaboration avec les patrons, c’est par la lutte et par l’établissement d’un certain rapport de forces que les travailleurs ont des chances d’imposer leurs revendications.

En avaient-ils vraiment conscience ? En tout cas, ils le professaient ouvertement auprès des travailleurs. C’est pour cela que, au-delà de la réalité de la politique de la confédération, beaucoup de travailleurs voient toujours dans la CGT un syndicat « lutte de classe », et nombre de militants sont persuadés que c’est bien le cas. Comme souvent quand il s’agit de ce qu’on prête à un groupe politique ou un syndicat, cette image est le résultat d’une situation passée. Dans le cas de la CGT, de l’époque où elle entretenait des liens étroits avec un Parti communiste puissant mais à qui la bourgeoisie refusait de faire une place à part entière dans la vie politique française.

Le patronat sait depuis fort longtemps qu’il a pu compter sur la direction de la CGT, comme sur celle du PCF, dans les cas les plus sérieux. Sans même remonter à l’avant-guerre et 1936, leur rôle après la Seconde guerre mondiale pour assurer le calme social et encadrer la classe ouvrière au service de la bourgeoisie -et ce, à un moment où PCF et CGT étaient hégémoniques dans cette classe ouvrière- fut décisif. Depuis, dans d’innombrables occasions, la direction de la CGT a su accompagner les mouvements pour les canaliser, les détourner sur des voies de garage, les briser parfois, pour qu’à aucun moment ils ne causent trop de difficultés à la bourgeoisie. On le vit avec éclat en 1968. Et cela s’est encore confirmé avec le mouvement du printemps dernier qui, à défaut de mettre en danger la bourgeoisie, entravait sa volonté de démanteler le système des retraites pour réduire encore plus la part des travailleurs dans le revenu national et rendre plus précaire la situation de tous les salariés. Là encore, la CGT a mis tout son poids dans la balance pour entraver le simple risque d’extension (personne ne saura jamais si l’extension était réellement possible) qui était apparu à l’occasion des journées du 13 mai, du 25 mai ou du 3 juin. Ainsi, alors que la logique du mouvement poussait à militer pour son extension à d’autres catégories afin de s’efforcer de réaliser un mouvement d’ensemble, seul capable de stopper l’offensive tous azimuts que mène la bourgeoisie depuis vingt ans contre les travailleurs, on a pu vérifier une nouvelle fois que la bourgeoisie pouvait compter sur la direction de la CGT dans des moments délicats.

Mais ce n’est pas de cela dont il est question avec la « recomposition syndicale » que le patronat appelle de ses vœux et que représente, dans une certaine mesure, la « ligne Thibault ». Les mouvements qui mettent la bourgeoisie en difficulté sont, finalement, plutôt rares. Ce que souhaite le patronat, ce sont, à tous les niveaux et à tous moments, des interlocuteurs syndicaux qui mettent la collaboration et la négociation avant les luttes. Des militants syndicaux qui dépendent plus d’eux que des travailleurs. Un appareil avec qui les représentants patronaux puissent s’entendre au quotidien, et qui n’ait vraiment plus rien à voir avec celui qui s’est construit et maintenu, dans une certaine mesure, indépendamment d’eux sinon contre eux. En un mot des appareils plus dociles, à l’exemple de la plupart des appareils syndicaux des pays occidentaux. Or la CGT est restée jusqu’ici, dans une certaine mesure, prisonnière de son passé, c’est-à-dire du type de politique qu’elle a dû mener et du coup du type de militant qu’elle a mis en avant, sélectionné ou formé durant les trois ou quatre décennies de la division du monde en « blocs »et de ses liens avec le Parti communiste.

Une originalité syndicale

La CGT a connu l’évolution d’à peu près tous les syndicats du monde capitaliste, c’est-à-dire une intégration de plus en plus poussée à la société et à l’État. Elle n’a plus rien à voir évidemment avec le syndicat d’origine, formé au 19e siècle et marqué par un certain type de militants refusant toute forme de compromission avec ce qui pouvait ressembler de près ou de loin avec le patronat ou le pouvoir : ces militants anarcho-syndicalistes qui voyaient dans les membres des groupes socialistes d’alors des politiciens avant tout préoccupés de leur élection. C’est cette méfiance qui s’est exprimée dans la fameuse Charte d’Amiens. Mais dès le déclenchement de la Première guerre mondiale, quand les dirigeants CGT ont accepté de soutenir l’effort de guerre de la bourgeoisie française, il devenait patent que les discours radicaux anarcho-syndicalistes pouvaient cacher des pratiques tout aussi opportunistes. Ce qui explique qu’après la guerre, c’est vers le Parti communiste que se sont tournés, sur la base de l’adhésion à la Révolution russe, les militants qui mettaient toujours leurs espoirs dans la révolution sociale et la lutte de classe, ceux du type qui avaient fait la CGT quelques décennies plus tôt.

Le PCF, rapidement gangrené par le stalinisme, et les syndicats qu’il contrôlait s’avérèrent bien vite désireux de collaborer à leur tour avec la bourgeoisie. Et ils donnèrent leur plein en ce domaine dans les années qui suivirent immédiatement la Seconde guerre mondiale.

Pourtant la division Est-Ouest du monde et la mise à l’écart du PCF, lié au camp de l’URSS, par la bourgeoisie française contraignirent la direction de ce parti à changer une nouvelle fois de politique. Pour défendre sa présence, voire son existence politique dans la société française, il ne pouvait plus compter que sur sa capacité à maintenir un certain rapport des forces, une forme de menace. C’est-à-dire concrètement sa capacité permanente à mobiliser (et aussi à démobiliser ou en tout cas à tenir en main) la classe ouvrière. Pour cela il se devait de maintenir dans une étroite dépendance tous les échelons de la CGT, mais aussi de cultiver une idéologie de lutte de classe parmi les militants et les différents échelons de l’appareil, qui devaient eux-mêmes s’imposer à des patrons qui a priori refusaient désormais de collaborer, s’ils n’y étaient pas contraints.

Cela ne veut pas dire que les représentants patronaux ne collaboraient pas avec les militants cégétistes : comités d’entreprises, délégués du personnel, Conseil économique et social à certains moments, etc. La liste est longue des organes de collaboration dans lesquels les militants cégétistes étaient intégrés. Mais le besoin de la direction du PCF de ne pas se couper de la classe ouvrière, afin de pouvoir s’en dire représentant et de le prouver en apparaissant systématiquement comme la direction des mouvements (y compris pour les arrêter), rendait le PCF extrêmement sensible à l’opinion ouvrière. D’où aussi le besoin d’un certain type de militants, à la fois soumis à une discipline de fer vis-à-vis de la direction, perméables aux sentiments de leurs camarades de travailet prêts à se porter à la tête des luttes… pour les mener là où cette direction du parti l’entendait. Ce sont ces militants, occupant alors les postes de responsabilité à tous les niveaux au sein du syndicat qui ont donné le ton et créé l’image de la CGT, image qui, à son tour, drainait vers le syndicat des militants et adhérents qui, même sans être membres du PCF, en avaient bien des caractéristiques.

L’évolution politique de ces vingt dernières années - la fin de l’URSS et l’affaiblissement du PCF - a rendu possible une évolution de la CGT, un « recentrage », pour reprendre l’expression utilisée par la CFDT lorsque sa direction s’est débarrassée et du ton « radical » de certains de ses discours et de ses militants jugés trop « gauchistes ». Une telle transformation, qui correspond aux vœux du patronat, la direction de la CGT la souhaite aussi. Elle l’a largement entamée. Le dernier obstacle, ce sont les réticences de certains militants qui n’ont pas été habitués à faire passer systématiquement la collaboration avec leurs interlocuteurs patronaux avant les préoccupations de leurs camarades de travail et la négociation avant les luttes. « L’attitude de la CGT ne peut se construire à partir de la seule préoccupation des salariés que nous influençons aujourd’hui, dont tout le monde sait qu’ils sont plutôt dans les grandes entreprises et le secteur public », avertit Maryse Dumas, citée par l’Humanité des 4-5 octobre 2003. Et le Monde du 2 octobre, citant Bernard Thibault, est plus précis : « la CGT veut jouer son rôle de « représentant de tous les salariés » et pas seulement de porte-voix de ses militants », écrit son rédacteur. De là à expliquer, comme Chérèque à propos des oppositions au sein de la CFDT, que le départ de quelques milliers de militants ne fait pas peur, il n’y a peut-être plus très loin.

Depuis longtemps, l’appareil central des principaux syndicats est à peu près à l’abri des syndiqués : après 1945, la loi avait donné la représentativité automatique aux confédérations, représentativité qui leur assurait le monopole de la représentation ouvrière (présentation de listes obligatoirement syndicales aux élections professionnelles, présence exclusive aux négociations avec le patronat ou le gouvernement). Après 1968, ce fut la possibilité, pour les sections syndicales d’entreprise, de bénéficier de délégués syndicaux non pas élus mais désignés par les syndicats et disposant d’heures de délégation, au même titre que les représentants élus. Aujourd’hui, cette relative indépendance par rapport non seulement aux travailleurs mais même aux syndiqués se voit dans les budgets des syndicats : le bilan financier 2001 de la CGT, publié dans Le Peuple de décembre 2002, fait apparaître 33287935,75F de recettes provenant des cotisations, contre 40057054,74 F provenant de « recettes externes » (activités de formation essentiellement, information économique, conseillers techniques, accords conventionnels, partenariats) et 4262671,43F de reversements pour la participation de la CGT au Conseil économique et social…

Pourtant, si l’on veut des cadres syndicaux plus proches de l’encadrement de l’entreprise que de l’ouvrier du rang, comme cela peut exister parfois aux États-Unis, en Allemagne ou en Belgique par exemple, il faut donner plus de moyens aux appareils centraux. La bourgeoisie et son État peuvent très bien l’envisager, mais à condition que la CGT donne des gages de sa volonté et de sa capacité à achever sa mutation, liquider définitivement les derniers relents de ses attitudes de l’époque précédente, voire se débarrasser des militants qui ne voudraient ou ne pourraient pas accepter cette transformation.

Pour l’instant, Thibault a fait les gestes nécessaires, provoquant une levée de boucliers prévisible et prévue à l’intérieur de la CGT. L’ampleur de celle-ci est encore à mesurer plus exactement, il est difficile de prévoir comment il devra y faire face. Sans coup férir, si cette opposition se dissout d’elle-même pour différentes raisons, depuis l’âge des militants ayant été formés avec d’autres traditions jusqu’aux ravages des plans sociaux et des licenciements dans certains secteurs traditionnels d’implantation du syndicat ? Au contraire par une purge dans les rangs si elle s’avérait trop puissante ? Ou finalement en réussissant à la contenir dans des limites acceptables et sans danger pour la CGT new-look ?

La réponse dépend, en partie au moins, de la volonté du patronat de payer le prix nécessaire pour, demain, disposer de la CGT dont il rêve. Elle n’est pas acquise ! La bourgeoisie exige de ses serviteurs qu’ils se mettent entièrement sous sa coupe, et, une fois cela fait, elle rétribue selon son bon vouloir. Mais il ne sera peut-être même pas nécessaire qu’elle paye de sa poche. Par exemple, dans plusieurs pays, ce sont les syndicats qui gèrent directement les caisses de sécurité sociale. En France, ils n’en assurent que la direction. Confier le remboursement des soins aux bureaux locaux des syndicats ouvrirait un champ financier immense pour ces derniers ! Sans compter les moyens de pression énormes que cela leur donnerait vis-à-vis des travailleurs ayant des velléités contestataires. Nous verrons très bientôt si c’est cela que cache le renvoi par le gouvernement Raffarin de la « réforme » de la Sécurité sociale après les négociations avec les syndicats -ce qui aurait de plus l’avantage de faire endosser par ceux-ci la responsabilité des coupes sombres auxquelles la campagne actuelle prépare l’opinion- ou si c’est autre chose.

Une fronde qui ne peut laisser les révolutionnaires indifférents

Les opposants déclarés à la « ligne Thibault » n’ont sans doute rien de partisans de la « lutte de classe ». Ce sont souvent, au mieux, des nostalgiques d’une époque où la CGT avait meilleure allure mais pas meilleure politique. Mais ils s’appuient sur un malaise réel chez nombre de militants cégétistes, malaise qui traduit une résistance à la volonté des dirigeants du patronat d’aider la CGT à intégrer complètement le jeu de la collaboration de classe, ce qui représenterait un recul pour l’ensemble de la classe ouvrière. Une dépendance accrue des cadres syndicaux par rapport au patronat (et donc une indépendance accrue par rapport aux travailleurs), si elle n’empêcherait sans doute pas la colère ouvrière de pouvoir s’exprimer, rendrait cette expression plus difficile.

La « ligne Thibault » procède des attaques de la bourgeoisie contre la classe ouvrière. Les révolutionnaires n’ont sans doute que peu de moyens de peser dans les conflits internes à la CGT, mais ils ne sont pas totalement dépourvus non plus. L’opposition à la base de la CGT à la « ligne Thibault » est certes diffuse, et ceux qui cherchent à s’appuyer dessus, les « oppositionnels » déclarés, sont pleins d’arrière-pensées, mais elle existe. Là où des militants révolutionnaires ont joué un rôle dans le mouvement du printemps dernier, ils ont été regardés avec intérêt par un certain nombre de militants de la CGT. Mais pour que l’extrême gauche paraisse capable d’aider ceux-là à s’opposer aux visées de Thibault, il lui reste certainement à acquérir du crédit. Cela ne pourra se faire qu’en jouant d’abord un rôle déterminant dans les luttes sociales, ne serait-ce que de la manière dont elle l’a fait dans l’Éducation nationale lors du mouvement du printemps dernier. Mais aussi en proposant, alors que Thibault et Dumas cherchent à faire la paix avec le patronat, une politique visant au contraire à la mobilisation du mouvement ouvrier, et donc en premier lieu des syndicats et de la CGT, contre les attaques subies par l’ensemble des travailleurs : contre la multitude de plans de licenciements, contre la réforme programmée de la Sécurité sociale, contre les attaques contre les services publics, etc. C’est loin d’être gagné, mais pas impossible non plus. En tout cas, c’est un combat à mener.

Le vendredi 10 octobre

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