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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 129, novembre 2019

Algérie : entre « Hirak » et état-major le bras de fer continue

29 octobre 2019 Convergences Monde

Le soulèvement populaire qui secoue l’Algérie depuis février dernier est toujours là, aussi fort en cet automne qu’avant les vacances d’été. Le 18 octobre, 35e vendredi de manifestation, ils étaient encore des centaines de milliers à manifester dans tout le pays. Alger était noire de monde. Les chants traditionnels contre le pouvoir ont rythmé la manifestation, « la li hokm alaskar ! » (Non au régime militaire) ou encore « pouvoir assassin », « Makache intikhabate ya el îssabate ! » (Pas d’élections avec le gang).

L’élection présidentielle que l’homme fort actuel du pays, le chef d’état-major Gaïd Salah, tenait à organiser en juillet a été balayée, faute même de candidat. Le général jure maintenant ses grands dieux qu’il va l’organiser au mois de décembre, Inch’Allah, si Dieu le veut. Car le peuple, lui, n’en veut pas. Faute d’un nouveau président, faute d’un premier ministre un tant soit peu crédible, l’armée n’a pour l’instant plus de façade civile pour masquer son pouvoir. Qu’à cela ne tienne, au dernier conseil des ministres, qui s’est tenu le 13 octobre, le président par intérim, Bensalah, a cédé la parole au chef de l’armée, qui avait innové en troquant son uniforme pour un costume cravate… le temps d’une séquence télévisuelle. Mais tout le monde l’a reconnu : « dehors Gaïd Salah », qu’ils « partent tous » continuent à scander les manifestants.

Et si Abdelkader Bensalah, sur injonction du chef de l’armée, a fixé l’élection présidentielle au 12 décembre de cette année, les manifestants s’y opposent, n’y voyant qu’un moyen pour « le système » de se maintenir à la tête du pays. « No jobs, no money, no vote », pouvait-on lire sur la pancarte d’un manifestant.

De la répression des oligarques à celle des manifestants

Gaïd Salah a beau continuer à se donner le beau rôle en sacrifiant, au nom de la lutte contre la corruption, nombre de dignitaires, hommes d’affaires ou généraux, parmi les plus détestés du pays, personne ne s’y trompe : les classes populaires exigent plus qu’un changement de personnel dans le « système », mais la fin de celui-ci .

Le procès, fin septembre, de Mohamed Mediène et Bachir Tartag, deux anciens patrons du département des renseignements et de la sécurité (DRS), la police politique du pays, et de Saïd Bouteflika, frère conseiller du Président déchu, mené à huis clos par un tribunal militaire, était une caricature : 15 ans de prison ferme pour « atteinte à l’autorité de l’armée » et « complot contre l’autorité de l’État » prononcés par un tribunal militaire, à la fois donc juge et partie.

Arrêtée elle aussi, Louisa Hanoune, la secrétaire générale du Parti des travailleurs, passait dans ce même procès et y était condamnée à la même peine. Ce n’est pas neutre, ça ne ressort pas de la simple guerre de clans que Gaïd Salah livre à ses concurrents au sein du pouvoir. Certes Louisa Hanoune et son Parti des travailleurs se sont compromis depuis des années en collaborant avec le régime de Bouteflika, au nom du patriotisme et des prétendus traditions anti-impérialistes. Elle était de ce fait un gibier facile. Mais sa condamnation, si elle ne soulève pas, du coup, beaucoup de protestations, n’en est pas moins scandaleuse. En la faisant condamner aux côtés de quelques grands requins du régime, le chef d’état major veut surtout montrer qu’il est prêt à frapper des deux côtés, et surtout du côté de ceux d’en bas, de tous ceux, militants syndicaux et politiques qui pourraient vouloir contester le régime lui-même.

D’ailleurs depuis quelques semaines le pouvoir passe de « l’accompagnement de la justice pour juger les corrompus » au jugement des Algériens qui ne cessent de demander la fin du régime, qui commettent le crime de descendre manifester dans la rue. Depuis quelques semaines, les opposants sont accusés de porter atteinte au « moral » de l’armée et la cadence des arrestations s’est accélérée. La liste des détenus politiques s’allonge : ils sont près de 140 à croupir en prison, pour avoir ouvertement critiqué le pouvoir, pour avoir manifesté ou pour le port du drapeau amazigh. Pour la première fois, le mardi 9 octobre à Alger, journée de manifestation des étudiants, les policiers ont tenté à plusieurs reprises de bloquer le cortège, procédant notamment à des arrestations. « Emmenez-nous tous en prison, le peuple ne reculera pas » répondent les contestataires.

Une élection à tout prix

Et pour la future élection, le pouvoir n’a pour l’instant d’autre choix que de tenter de recycler ses anciennes figures. Avec des anciens premiers ministres de Bouteflika comme candidats potentiels, il n’y a pas de quoi faire prendre aux électeurs des vessies pour des lanternes. Deux anciens Premiers ministres sont présentés dans la presse comme les favoris : Ali Benflis, principal adversaire d’Abdelaziz Bouteflika en 2004 et 2014 après avoir été son Premier ministre entre 2000 et 2003 ; Abdelmadjid Tebboune remercié trois mois après sa nomination en mai 2017. « Ni Tebboune, ni Benflis, le peuple est le seul président » scandaient aussi les manifestants. Même les frères musulmans (le Mouvement de la Société pour la Paix qui a fait partie pendant près de dix ans de la coalition soutenant le présidant Bouteflika), se refusent à présenter un candidat à cette élection impopulaire. Le régime se retrouve « seul dans l’isoloir » ironise le journal Liberté.

Une Alternative démocratique, composée de partis de l’opposition (FFS, RCD, PT, PST, PLD, MDS, UCP), s’oppose à l’organisation d’élections présidentielles, en prônant une période de transition et un processus constituant et souverain. Certains d’entre eux parlent d’une Assemblée constituante. Mais à part les deux petits partis trotskystes, le PST et ce curieux PT de Louisa Hanoune, dont on ne voit pas trop ce qu’ils font là, les autres membres de cette alliance ne sont que des partis bourgeois libéraux pour qui la démocratie formelle pourrait être une façon d’avoir leur petite place au pouvoir et un moyen de calmer le jeu de la contestation pour que reprenne le calme cours des affaires sonnantes et trébuchantes de la bourgeoisie algérienne.

Liberté des affaires et odeur de pétrole

Mais même sous l’égide d’un simple pouvoir par intérim, les affaires poursuivent leur cours. Le gouvernement provisoire du couple Bédoui-Bensalah (le premier ministre et le président intérimaire), soutenu par son ministre des armées, Gaïd Salah, a adopté le 13 octobre au conseil des ministres une loi sur les hydrocarbures, dont une première mouture avait été décidée du temps de Bouteflika et qui fait la part belle aux multinationales. Elle opère « une refonte en profondeur du régime juridique des hydrocarbures » des plus favorables aux trusts pétroliers : nouvelles baisses d’impôts et une plus grande liberté pour les compagnies pétrolières de procéder, par le droit de concession, à des recherches dans le sous-sol algérien et, en cas de découverte, de devenir propriétaires des réserves que contient le gisement et plus seulement des quantités produites, comme c’était jusque-là le cas. Aux dires du ministre de l’énergie Mohamed Arkab, ces conditions « attrayantes » ont été pensées en concertation avec les « cinq meilleures compagnies dans le monde ». Total y renifle déjà de futures bonnes affaires. « Loi des hydrocarbures, loi terroriste » criaient par contre les manifestants dans les rues d’Alger, mot d’ordre qui s’ajoutait aux slogans contre les voleurs au pouvoir qui ont pillé le pays, traditionnels depuis le début du mouvement.

Pendant ce temps la presse commence à mettre en avant le fait que l’Algérie serait aujourd’hui au bord de la cessation de paiement et peut-être obligée demain à de nouvelles mesures d’austérité sous la houlette du FMI. Et dans les entreprises dont les patrons ont été jetés en prison, les administrateurs nommés n’ont pas l’air de faire grand zèle, sous prétexte de difficultés à importer matières premières ou pièces détachées. Autant de pressions sur les travailleurs pour leur dire que le Hirak pourrait leur coûter cher. Au point que certaines entreprises ont été carrément mises à l’arrêt. Au point que, début octobre, les ouvriers d’une usine de fabrication d’huile alimentaire, appartenant au groupe de frères Kouninef jetés en prison, ont manifesté pour exiger de l’administrateur le paiement de leurs salaires en retard.

Et si les travailleurs en profitaient pour mettre eux-mêmes leur nez là où on ne veut surtout pas les voir, dans le contrôle des affaires des patrons et de ces administrateurs qui momentanément les remplacent ? Et s’ils mettaient plus ouvertement en avant leurs propres revendications sociales aux côtés de leurs revendications politiques et démocratiques ?

20 octobre 2019, Adel Belaïd

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