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Algérie : Révolte contre le mépris, le chômage, la misère

4 mai 2001

C’est à une soixantaine de morts, tués par balles et à des centaines de blessés que s’élève pour l’instant le bilan des manifestations et émeutes qui se déroulent depuis plus d’une semaine en Algérie, dans la région de Kabylie.

L’assassinat d’un jeune, passé à tabac puis abattu d’une rafale de mitraillette dans la gendarmerie de la ville de Beni Douala, a été à l’origine de la vague de révolte. Celle-ci s’est propagée aux deux capitales régionales, Tizi-Ouzou et Bejaia, mais aussi à une multitude de villes plus petites où la répression s’est souvent montrée la plus violente. A plusieurs reprises la gendarmerie a tiré sur les manifestants. A Alger et Boumerdès, banlieue de la capitale, des étudiants ont manifesté contre la répression.

Les manifestants de Kabylie, des jeunes surtout, ont harcelé les gendarmes et CNS (l’équivalent de nos CRS), s’en sont pris à tout ce qui symbolisait les pouvoirs publics, les gendarmeries, dont plusieurs ont été prises d’assaut, les sièges des « daïra » (l’équivalent de nos cantons), les impôts, la poste, etc. Et ce n’était pas que la révolte de la jeunesse : leurs aînés manifestaient également, leurs parents se solidarisaient d’eux, montrent les divers reportages.

Ce serait un nouveau printemps berbère, a écrit la presse française, rapprochant ces émeutes de celles d’avril 1980 dont c’était l’anniversaire. C’est notre culture qu’on assassine, disaient les organisateurs du rassemblement de protestation qui a eu lieu à Paris le dimanche 29 avril. C’est un génocide y clamait Malika Matoub, soeur du chanteur kabyle assassiné, qui en appelait au calme des manifestants. Elle se faisait ainsi l’écho de la politique des deux partis qui rivalisent sur le terrain du régionalisme kabyle, le RCD, créé par les anciens dirigeants du Mouvement culturel berbère des années 80, et qui, depuis l’arrivée au pouvoir de Bouteflika est entré au gouvernement (même s’il menace aujourd’hui de le quitter), et le FFS d’Aït Ahmed resté dans l’opposition et reprochant « aux cercles du pouvoir » d’avoir « perdu la maîtrise de la situation, de leurs réseaux politiques et de leurs appareils de sécurité ». L’un comme l’autre se sont efforcés en Kabylie d’appeler au calme. Le FFS a même annulé l’appel qu’il avait lancé à une manifestation contre la répression samedi 28 avril à Bejaia, de peur de ne pas pouvoir la canaliser. Elle a eu lieu sans lui.

Même si le mépris du pouvoir à l’égard de la population de Kabylie s’exprime aussi par la non-reconnaissance de la langue régionale (tamazight), réduire la révolte à la seule revendication culturelle ou à une demande d’autonomie régionale, qui ne peut intéresser que les notables politiques locaux, est trop commode pour les partis politiques kabyles. C est leur façon de détourner la colère sociale et de revendiquer leur part de pouvoir.

C’est trop commode pour le pouvoir lui-même. La promesse de prendre en compte la revendication culturelle est bien la seule que le président Bouteflika ait consenti à faire à la télévision, lundi 30 avril, en même temps qu’il présentait ses condoléances aux familles des victimes. C’est l’énième fois que le pouvoir utilise cette promesse sans y donner suite.

« Dites-leur qu’ils ne sont pas morts pour la revendication de tamazight. Ils sont morts parce qu’ ils dénonçaient la hogra [mépris] et la misère sociale » déclarait à l’adresse des journalistes présents devant la morgue de Tizi-Ouzou un père venu chercher le corps de son fils. (Cité par le journal El Watan du 30 avril). « Il est faux de croire que la révolte a éclaté pour revendiquer tamazight. Nous ne voulons plus de cette mal vie, de la hogra, du chômage, de la crise de logement et de la corruption. Nous avons faim, venez vivre ici etvous verrez de quoi nous parlons » disaient, selon le reportage du Matin du 28 avril, des manifestants de la petite ville d’Ouzellaguen où trois d’entre eux ont été tués. « Nos enfants veulent du travail, poursuit un homme d’un certain âge », rajoute ce journal.

Le mépris des autorités vis-à-vis des couches pauvres de la population, les hausses de prix qui ont été vertigineuses au cours des dix dernières années, la crise du logement et la distribution des logements sociaux par combines, le chômage qui s’est encore aggravé avec les restructurations des entreprises d’État et les privatisations sont bien les raisons les plus profondes de la révolte. Ce sont des problèmes communs à toute l’Algérie.

Après l’effervescence politique et sociale qui avait suivi l’automne 1988 et les espoirs, trompés par les nouveaux partis dits « démocrates », c’est le développement des courants réactionnaires intégristes puis, à partir de 1992, la guerre que se sont livré l’armée et les groupes islamistes qui ont pris le devant de la scène. Cela a servi à étouffer les revendications sociales. La libération des prix, les licenciements pouvaient être présentés comme de moindres maux face aux problèmes sécuritaires. Et c’est la population des quartiers les plus pauvres qui a subit le quadrillage du pays, les opérations de police, les rafles qu’effectuait l’armée, au nom de la lutte contre les groupes armés islamistes.

Mais, bien plus que les intégristes, avec lesquels le pouvoir a négocié à plusieurs reprises et que l’opposant Aït Ahmed recommande d’associer au gouvernement du pays, c’est la population pauvre du pays que craignent la dictature militaire et la poignée de nantis qu’elle protège.

Les émeutes de Kabylie ne sont pas un fait isolé. Il y a à peine un mois des grèves ont eu lieu en Algérie, notamment dans l’industrie pétrolière et ses activités annexes. Ce n’est ni le mécontentement ni la combativité qui manque partout dans le pays, mais leur cristallisation dans un programme et un parti qui défende les intérêts des couches laborieuses.

Olivier BELIN

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