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10 mai 1981 : « On a gagné »… Vraiment ?

10 mai 2021 Article Politique

Le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu président de la République française, et devient le premier président de gauche de la Ve République.

La place de la Bastille est pleine ce soir-là. Tout ce que Paris connaît de militants encartés PS ou PCF, ou de bobos de gauche, est venu pour la fête. « Belle victoire », clame Rocard, prenant la parole en vedette américaine, « mais je ne me sens pas le droit de vous dire que ce sera facile ». Façon de prévenir des désillusions qui se préparaient ? Au nom du PCF, Pierre Juquin demande déjà des strapontins ministériels : « Les communistes sont prêts à prendre toutes leurs responsabilités, jusqu’au gouvernement, et à tous les niveaux… heureux d’être ce soir avec tous mes camarades socialistes. »

La pluie commence à tomber. Mitterrand n’a pas pris la peine de se déplacer ni de se mouiller. Qu’importe : la gauche française qui s’était totalement déconsidérée avec la guerre d’Algérie est de retour au pouvoir après 23 ans de purgatoire, et Mitterrand est censé incarner une rupture avec le règne de la droite, avec l’austérité et la crise économique. Il n’a pas fallu attendre longtemps les lendemains qui déchantent.

Pour peindre Mitterrand en homme de gauche, il avait fallu un sacré toilettage

Si Mitterrand a pu apparaître comme l’homme du changement pour les travailleurs, ce n’est ni grâce à son bilan, ni grâce à son programme. Cette image, il la doit à tous ceux qui, au PS, au PCF, et jusque dans l’extrême gauche, ont nourri d’illusions la classe ouvrière.

Il commence sa carrière politique dans les ligues d’extrême droite avant la guerre. Prisonnier de guerre, puis collaborateur du régime de Pétain à Vichy – il est décoré de l’ordre de la Francisque en 1943. Il rejoint la résistance fin 1943, et l’UDSR (Union démocratique et socialiste de la Résistance, formation de centre droit hostile aux communistes) en 1946, pour la diriger dès 1953. Il est au cœur de toutes les combines de la IVe République, et y est onze fois ministre.

Ministre de l’Intérieur au commencement de la guerre d’Algérie, il déclare à l’Assemblée nationale « l’Algérie, c’est la France », et prend le parti de la guerre contre la rébellion algérienne.

Garde des Sceaux en 1956, il défend le projet de loi visant à remettre les pleins pouvoirs à l’armée en Algérie, y compris le pouvoir de justice. De son poste de ministre, il couvre les actes de torture perpétrés par l’armée, et donne quasi systématiquement son aval aux condamnations à mort des militants de l’indépendance algérienne (notamment celle de Fernand Iveton, militant du PC algérien). L’homme qui a aboli la peine de mort connaissait donc bien son sujet…

Quand Mitterrand fait son OPA sur la gauche

À partir de 1958, c’est sur la base de l’anti-gaullisme qu’il se construit. Il s’oppose à la remise des pleins pouvoirs à de Gaulle, critique les institutions de la Ve République, trop peu démocratiques pour le Mitterrand-oppositionnel. Elles se révéleront pourtant parfaitement adaptées au Mitterrand-président. On voit que Mélenchon n’est pas le premier à s’élever contre les institutions, tant qu’il est dans l’opposition…

À l’occasion de l’élection présidentielle de 1965, il rallie derrière son nom toute la gauche socialiste, et obtient par la suite le soutien inconditionnel du PCF, pour lequel vote encore un électeur sur quatre. Bien au-delà du seul soutien, le PCF fait activement campagne pour Mitterrand, contre de Gaulle et pour « la véritable grandeur française ».

En mai 1968, Mitterrand montre le bout de son nez au meeting du stade Charléty, organisé par les étudiants de l’Unef, se présentant comme l’homme de la relève. Mais à l’élection présidentielle suivante, après la démission de De Gaulle en 1969, le Parti socialiste (qui s’appelait encore SFIO) refuse de lui accorder sa confiance et présente son propre candidat. Mais ce dernier se payant un minable 5 %, alors que le candidat communiste fait encore 21,3 % des voix, la SFIO est en solde. Et c’est ainsi que notre homme de droite devient homme de gauche, lorsqu’en 1971 la SFIO devient PS en fusionnant avec des micro-partis, dont le sien, et qu’il en prend la tête. L’Union de la gauche est en marche. Il ne reste plus qu’à couler le Parti communiste.

L’Union de la gauche et le mythe du « battre la droite »

En 1972, le PCF, le PS et les Radicaux de gauche adoptent le Programme commun, une liste de mesures sociales, économiques, démocratiques qui, si elles ne sont en rien révolutionnaires, sont autrement plus ambitieuses que ce qu’on trouve dans l’Avenir en commun, le programme des Insoumis. Le Programme commun marque l’ouverture d’une vaste politique de front électoral, dite d’union de la gauche et son verbiage radical n’a d’autre objectif que de justifier le ralliement du Parti communiste, et d’en récupérer les électeurs.

Pour l’élection présidentielle de 1974, Mitterrand est donc à nouveau candidat unique pour le PS et pour le PCF, qui n’apparaît donc plus sous ses propres couleurs. C’est une union d’appareils pour parvenir au pouvoir, dont le PCF espère qu’elle lui permettra de partager les postes ministériels. Les travailleurs n’avaient que peu d’illusions dans le Parti socialiste. En présentant Mitterrand comme un homme de gauche et comme un espoir pour les travailleurs, le PCF ne fait que brouiller la conscience de classe des travailleurs communistes et de son électorat. Mitterrand est battu à nouveau au profit d’un nouveau président de droite, Giscard.

Au nom de cette Union de la gauche, et jusqu’en 1984, le PCF se met ainsi à la remorque de Mitterrand, monnayant sa réintégration dans le jeu politique (le PCF n’avait eu de ministres qu’entre 1945 et 1947), même si cette union connaît quelques orages entre 1978 et 1981, quand le PCF, ayant l’impression de se faire plumer, prend un peu de distance.

En 1981, on prend les mêmes et on recommence. L’homme à dégager n’est plus de Gaulle, mais Giscard. La campagne du PS se fait avant tout sur l’axe de « sortir la droite ». Cette fois, le PCF présente son propre candidat, Georges Marchais, conscient qu’il ne pourra négocier des postes qu’en position de force, mais se range corps et âme derrière Mitterrand au second tour.

Les phrases ronflantes du Programme commun sont mises aux oubliettes, maintenant que l’auréole de gauche de Mitterrand est acquise, et les « 110 propositions pour la France » deviennent son nouveau programme électoral. Les seules mesures qui font référence aux travailleurs sont celles qui allouent un budget aux comités d’entreprise, créent les comités d’hygiène et de sécurité… Des mesures propres à allécher les bureaucraties syndicales, suffisamment « à gauche » pour raccrocher le vote des électeurs communistes, et suffisamment mesurées pour obtenir celui d’une partie des électeurs de Chirac, sans lesquels la victoire lui était impossible.

Quand bien même son programme eut été plus radical, les politiciens bourgeois ne font pas des programmes pour les appliquer, mais pour être élus.

Signalons au passage qu’avec ce mythe du « battre la droite » ressorti à chaque élection, entre 1978 et 1981 toute une partie de l’extrême gauche française se met à reprocher au PCF d’avoir brisé l’Union de la gauche, et de risquer de favoriser ainsi une nouvelle victoire de la droite. Du côté de l’OCI (ancêtre du POI) on fait activement campagne pour Mitterrand. La LCR, elle, entend présenter son propre candidat, Alain Krivine, mais ne réussit finalement pas à recueillir les parrainages nécessaires. Sa campagne avait démarré sur le thème « Krivine candidat pour l’Unité des partis ouvriers et des syndicats », un candidat à gauche « contre les diviseurs », montrant dans ses affiches un Giscard tenu en équilibre par un PC et un PS tirant des cordes chacun de son côté pour le maintenir en place. Du « front unique dans les luttes » à la défense de l’alliance électorale PS-PC, il y a un sacré gouffre ! Seule Lutte ouvrière et sa candidate Arlette Laguiller mettent en garde contre la politique que Mitterrand va, comme la droite, mener contre les travailleurs s’il est élu.

Alors, quelle victoire ?

L’élection de mai 1981 n’a pas été un raz-de-marée à gauche, loin s’en faut. Le nombre de voix obtenu par les partis de gauche rangés derrière Mitterrand était même inférieur à celui que ces partis avaient enregistré aux législatives de 1978. Les 15 % de suffrages que recueille le PCF au premier tour, comparés aux 20 % qu’il avait encore eus aux législatives de 1978, marquent plutôt un décalage vers la droite d’une partie de l’électorat ouvrier, en partie déporté vers le PS. Mais comment les travailleurs communistes pouvaient-ils s’y retrouver alors que depuis une dizaine d’années, leurs dirigeants se rangeaient systématiquement derrière les sociaux-démocrates et signaient les mêmes programmes ?

Ce recul était d’autant plus dramatique que dans les années précédant l’élection, les travailleurs n’ont pas cessé de se faire entendre. En 1978 éclataient des grèves dans les hôpitaux, l’automobile, les arsenaux, l’éducation, les PTT, la SNCF, et, en 1979, dans les assurances, les banques, la sidérurgie, à nouveau les arsenaux et la SNCF. Partout en France, la classe ouvrière luttait contre l’austérité, contre la droite qui fait payer la crise aux travailleurs.

La victoire de cette gauche en mai 1981 n’était en aucune façon la traduction politique de ces luttes ouvrières et encore moins une occasion de donner aux travailleurs quelque espoir ni de renforcer leur combativité. Au contraire, il s’agissait de l’endormir, et c’est bien pour ça que Mitterrand a choisi de prendre des ministres communistes dans son premier gouvernement.

La gauche au pouvoir

Alors pouvait commencer la mise en œuvre de cette « politique de gauche », tout à fait semblable à la « politique de droite ». Bien sûr, il fallait commencer par donner le change. L’abolition de la peine de mort – un progrès social, mais qui n’a rien coûté au patronat – une hausse du Smic – qui compensait de peu l’inflation, et ne concernait que les 5 % des salariés payés au salaire minimum – et l’abaissement de l’âge de départ à la retraite – financé par les salaires à travers les cotisations. Pour financer ces mesurettes, la gauche a provoqué des hausses de plus de 20 % des prix sur deux ans pour l’électricité, le gaz, la SNCF, ainsi que des hausses drastiques des taxes sur le tabac, les assurances automobiles, l’essence…

À partir de 1982, le gouvernement révèle son vrai visage. Blocage des salaires, liquidation de secteurs entiers, comme la sidérurgie, ruine de nombreuses régions industrielles, augmentation considérable du chômage et en même temps des profits du grand patronat, et sur le plan politique, montée du Front national et de ses idées nauséabondes. La situation que nous connaissons aujourd’hui, quarante ans après et plusieurs « alternances » plus tard, était déjà en germe dans cette élection que beaucoup présentaient alors comme une victoire des travailleurs.

10 mai 2021, Dylan Bourier

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