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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 75, avril-mai 2011

Côte d’Ivoire : l’ordre impérialiste règne, place aux affaires

Mis en ligne le 22 avril 2011 Convergences Monde

Le 11 avril 2011, en permettant aux soldats d’Alassane Ouattara d’arrêter son rival Laurent Gbagbo dans son palais présidentiel, le corps expéditionnaire français Licorne mettait un terme… provisoire à un affrontement qui durait depuis le deuxième tour des élections présidentielles, le 28 novembre 2010.

La France comme l’ONU s’étaient empressés de reconnaître la victoire de Ouattara avec 54 % des suffrages. La légitimité de ces résultats, contestés par Gbagbo et par le Conseil constitutionnel, composé de ses proches, n’avait rien d’évident, dans la mesure où la Côte d’Ivoire était divisée depuis près de dix ans en deux régions contrôlées militairement par chacun des deux rivaux. La campagne médiatique selon laquelle Ouattara aurait été « démocratiquement élu » et l’armée française aurait volé au secours de cette démocratie bafouée par Gbagbo est donc clairement mensongère. L’Union africaine proposait ainsi un partage du pouvoir et/ou la tenue de nouvelles élections, propositions rejetées par Ouattara et ses soutiens internationaux.

Gbagbo, un nationaliste… en paroles

La Côte d’Ivoire, qui faisait figure de vitrine du capitalisme africain dans les décennies 1970-1980, au point qu’on parlait alors du « miracle ivoi­rien », sous la férule du dictateur Houphouët-Boigny, a connu une certaine stabilité jusqu’à la mort de celui-ci en 1995. Depuis sa disparition, plusieurs coups d’État se sont succédé jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Laurent Gbagbo qui, en octobre 2000, remportait une victoire électorale contre le général putschiste Robert Guéï. Deux ans plus tard, en septembre 2002, éclatait une rébellion armée dans le nord. Les opposants, dirigés notamment par Ouattara et Guillaume Soro, tentaient un coup d’État qui tournait court. La situation évolua rapidement vers une guerre civile entre le sud tenu par le gouvernement officiel et le nord contrôlé par les rebelles (voir notre article dans le précédent numéro de Convergences révolutionnaires). Une longue série d’affrontements interrompus par des tractations et des compromis provisoires, conclus sous l’égide de l’ex-puissance coloniale, avait suivi. Le gouvernement français avait alors envoyé un corps expéditionnaire de 4 000 hommes, baptisé Licorne. Le bombardement de la base militaire française de Bouaké par des avions pilotés par des mercenaires ukrainiens engagés par Gbagbo, le 6 novembre 2004, avait fait neuf morts et fournit à Chirac l’occasion de donner l’ordre à l’armée française de détruire l’aviation de Gbagbo.

Dès lors, il était clair que le torchon brûlait entre Paris et le président ivoirien, même si l’impérialisme français conserva pendant encore quelques années deux fers au feu.

En effet, en dépit de discours parfois très violemment anti-français, Gbagbo n’avait rien d’un farouche nationaliste hostile au pillage de son pays, dont la moitié de l’économie au moins (voir notre encadré) est contrôlée par des entreprises françaises. Il n’a jamais pris la moindre mesure de nationalisation à l’encontre des grands trusts comme Bouygues ou Bolloré, à qui il avait notamment accordé la concession du port d’Abidjan. En ce mois d’avril, à la veille de son arrestation, il tentait encore de signer des contrats et de vendre des stocks de café et de cacao à diverses entreprises.

Pourquoi l’impérialisme a-t-il choisi Ouattara ?

On peut donc se demander pourquoi l’impérialisme français a finalement choisi Ouattara, au risque de déstabiliser davantage le pays, alors que Gbagbo restait solidement installé dans la partie la plus importante du pays, dont la capitale. Pour que les affaires marchent, il faut que l’ordre règne. L’expédition éclair des forces de Ouattara, lancée fin mars 2011, qui devait aboutir à la chute de Gbagbo, a en effet été encadrée et équipée par les conseillers militaires français. Dans les anciens territoires coloniaux, les interventions par « rebelles » interposés pour se débarrasser d’un dirigeant encombrant, mettre la main sur des richesses ou évincer des capitalistes concurrents sont monnaie courante. À l’époque de la guerre froide, la domination de l’impérialisme français dans ses chasses gardées africaines faisait figure de rempart contre l’URSS et n’était pas ou peu contestée par les autres États occidentaux. Depuis l’effondrement du bloc soviétique, le poids de l’impérialisme français a diminué en Afrique. Les rivalités impérialistes se sont accentuées et chacun veut sa part du gâteau. Les conflits d’intérêts ne sont pas toujours faciles à démêler, car ils opposent non seulement les États, mais parfois des capitalistes et trusts de mêmes États qui parient sur des hommes de paille différents…

Dans ce contexte, certains chefs d’État africains sont tentés de mener un jeu d’équilibre entre les diverses grandes puissances pour se ménager une petite marge d’autonomie. Le président-dictateur du Cameroun, Paul Bya, a ainsi assez bien réussi à diversifier ses « partenaires » impérialistes et il n’y a plus un seul soldat français sur le territoire camerounais. Il semble que Gbagbo ait tenté de jouer cette carte dès 2002, en s’adressant notamment à la Chine, à la Russie, à divers investisseurs asiatiques et surtout aux États-Unis qui prenaient des parts importantes dans des entreprises stratégiques comme la Sifca, qui contrôle, entre autres, la moitié de la production du cacao. Ce n’est pas un hasard si, lors des manifestations anti-françaises organisées par les partisans de Gbagbo en 2005, étaient brandies des pancartes rédigées en anglais demandant l’aide des Américains. Toutefois, Washington ne devait pas jouer le jeu attendu et acceptait de soutenir Paris par ONU interposé. Enfin, par sa personnalité et ses liens personnels avec Bouygues et même Sarkozy, Ouattara, ancien commis du Fonds monétaire international et affairiste enrichi par d’innombrables trafics et pots de vins, qui possède des entreprises dans plusieurs pays, offrait davantage de garantie de fiabilité que Gbagbo.

On voit ce qu’il en est des mensonges répétés sur « la protection des populations civiles ». Des populations qui ont été les premières à souffrir de l’offensive des troupes de Ouattara, comme en atteste le massacre de Duékoué qui, selon les témoins d’organisations comme la Croix rouge, a fait entre 800 et un millier de victimes. Ouattara lui-même vient d’ailleurs d’être contraint de reconnaître la responsabilité de ses troupes. Celles-ci, en entrant dans Abidjan, se sont comportées comme de vulgaires pillards, au point qu’il était difficile pour la population de distinguer parmi les bandes armées qui volaient, rançonnaient, violaient, celles qui appartenaient à l’armée de Gbagbo de celles de son rival ou des hordes de voyous agissant pour leur propre compte.

Quel avenir ?

Cette intervention militaire de l’impérialisme français dans un pays africain censé être « indépendant » vient s’ajouter à une très longue liste qui commence en 1964 au Gabon pour protéger le président M’Ba, où figurent entre autres les massacres commis au Cameroun à la fin des années soixante pour soutenir le dictateur Ahidjo, les expéditions au Zaïre en 1977, le renversement de Bokassa en 1979, au Tchad, en Mauritanie et surtout l’opération Noroît au Rwanda en 1990, qui devait aboutir au terrible génocide de 1994. L’intervention en Côte d’Ivoire est d’ailleurs loin d’être terminée, puisque le ministre de la défense Longuet a annoncé l’envoi de gendarmes pour maintenir l’ordre dans les rues d’Abidjan.

Il est douteux que cette expédition suffise pour rétablir durablement le calme dans ce pays. D’une part, elle va sans aucun doute susciter l’hostilité voire la haine d’une grande partie de la population contre un président porté au pouvoir par l’ancienne puissance coloniale. D’autre part, les forces qui soutiennent Ouattara sont très hétérogènes et leur unité très fragile. Le pouvoir et les moyens financiers considérables qui en découlent lui ont sans doute permis d’acheter le ralliement de chefs militaires jusqu’alors considérés comme des fidèles de Gbagbo, mais leur appui reste aussi problématique.

La seule force sociale qui pourrait mettre fin à ces sanglants conflits d’intérêts et de clans, c’est la classe ouvrière de Côte d’Ivoire, qui compte des millions de travailleurs, aussi bien ceux qui sont employés dans l’industrie et les ports que ceux qui triment dans les plantations.

Il est difficile de savoir comment ces événements ont été vécus par les travailleurs ivoiriens, mais, par le passé, ils ont montré qu’ils étaient capables de défendre leurs intérêts, comme par exemple lors de la longue grève des transporteurs d’avril 2010, celle des dockers de juin 2009 ou celle des 600 000 planteurs de cacao en octobre 2006. S’il y a un espoir de sortir de l’impasse sanglante dans laquelle l’impérialisme, ses trusts et ses valets enferment le peuple ivoirien, il viendra du prolétariat, et nous devons lui apporter toute notre solidarité.

13 avril 2011

George RIVIERE


Un pays pillé par l’impérialisme

La Côte d’Ivoire est riche en ressources naturelles. Ce pays se place au premier rang de nombre de productions agricoles : cacao, coton, caoutchouc, café, huile de palme, bananes, ananas. À ces richesses traditionnelles, vient s’ajouter le pétrole et le gaz naturel qui vient d’être découvert par Total au large des côtes ivoiriennes. Ouattara se serait d’ailleurs engagé, avant même d’occuper le fauteuil de président, à accorder l’exclusivité de ce gaz à la France par un contrat qui entrerait en vigueur lors de son arrivée au pouvoir.

Le poids de l’impérialisme français reste considérable : on recense environ 600 entreprises françaises, dont 240 filiales de grands groupes (voir CR 74), qui représentent environ la moitié de l’économie du pays. À noter, simple exemple, qu’une des premières actions militaires terrestres de l’armées française à Abidjan au cours des derniers événements a consisté à s’emparer du port pour permettre l’exportation de stocks de cacao qui y étaient entreposés, alors que le cours de ce produit atteignait son plus haut niveau depuis 1979…

Des centaines d’autres sociétés officiellement « ivoiriennes » sont en effet gérées par des hommes de paille. Ce pays, doté d’infrastructures modernes, est particulièrement convoité, bien qu’il fasse encore partie des chasses gardées de l’impérialisme français. Sa législation est particulièrement favorable aux investisseurs étrangers. Au point que, selon la Chambre de commerce franco-ivoirienne, le retour sur investissement est de l’ordre de 30 %, soit trois fois plus que celui d’une entreprise française considérée comme très rentable. En revanche, la situation de la population s’est fortement dégradée depuis les années 1980, le PIB par habitant tombant de 1 000 dollars à 600 dollars par an. Selon l’Union Générale des Travailleurs de Côte d’Ivoire (UGTCI), la moitié de la population ivoirienne survit aujourd’hui avec moins de quatre cent francs CFA par jour, soit 0,6 euro…

Sources : UGTCI, ministère du Commerce extérieur de la France, chambre de Commerce franco-ivoirienne.

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Numéro 75, avril-mai 2011