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Sur un piquet de Transdev, mercredi 13 octobre 2021

14 octobre 2021 Article Entreprises

Semaine 6, J3 : toujours Transgrève

Les barils installés devant le dépôt ont transpiré (comme la direction de Transdev) toutes leurs couleurs. Il y en a six, un par semaine de grève. « Ça commence à en faire des fûts ! Et on ne sait pas encore où ça va finir. Là on est dans la sixième année… – Pas encore mais ça va venir ! » Le lapsus fait rire tout le monde. Il montre à la fois comme le temps passe différemment quand on vit une grève, et la détermination des grévistes. « On ne peut pas reprendre comme avant. Avec des conditions comme ça, le corps ne tient pas ! »

La grève, elle, tient. Même s’ils sont minoritaires dans leur dépôt, ceux de Lieusaint continuent, portés par ce mouvement plus large qu’aucun dépôt. De nouvelles déclarations d’intention ont là-bas été remplies par de futurs grévistes. Ceux de Lagny et Bailly-Romainvilliers ont de leur côté dit non à un protocole de fin de conflit qui n’était même pas au niveau de celui de Lieusaint. Leur résistance a galvanisé Vaux-le-Pénil. Vulaines est toujours là, Chelles se tient prêt à repartir, et Villepinte attend une nouvelle visite. Bref, partout où elle est connue, cette grève donne des idées aux conducteurs et change leur quotidien. Jusqu’à Saint-Malo peut-être, où les salariés se sentent « considérés comme des moins que rien » par leur direction, et ont donc décidé d’une grève. C’est RATP Dev là-bas, mais sous un autre nom, ce sont les mêmes patrons, les mêmes méthodes… et la même grève !

Grévistes sans frontières

Puisque la grève continue, l’ambiance est bonne au dépôt de Vaux-le-Pénil. Des grévistes rassemblés en cercle tapent dans leurs mains et improvisent une petite danse. Ils discutent gaiement des nationalités de chacun, de leur pays d’origine ou de celui de leurs parents. Puis quelques-uns discutent plus gravement de l’accident de Ciboure, survenu la veille. Un TER a fauché quatre jeunes hommes, qui venaient d’Algérie et tentaient de ne pas se faire voir de la police, car ils n’avaient pas les papiers demandés (et refusés) par l’État français. Pour ne pas se perdre, ils suivaient les voies ferrées ; épuisés en partie par la peur de la traque, ils s’y sont endormis. Mais la responsabilité de cette mort revient en fin de compte à la barbarie que constituent les frontières nationales, barbarie entretenue par les démagogues de tous bords, surtout en période d’élection. Macron le premier, qui vient de faire diminuer le nombre de visas accordés à l’Algérie, parce que les consuls d’Afrique du Nord refusent selon lui trop souvent de donner leur aval à des expulsions d’immigrés supposés venir de chez eux [1]. Dans le dépôt, toutes les nationalités se mélangent, sans que cela pose le moindre problème. L’unité des grévistes contre leur patron, quel que soit leur lieu de naissance, montre bien que contre leur politique dégueulasse, la seule vraie frontière à tenir c’est la frontière de classe.

La grève attire

En début d’après-midi, une dizaine de militantes arrive sur le piquet, dont des femmes d’un groupe interprofessionnel du 91, et des étudiantes de Toulouse. Elles apportent une contribution à la caisse de grève, et des encouragements. « Sachez que pour beaucoup, vous êtes le fer de lance d’un mouvement de résistance contre les patrons, et que quoi que donne votre grève, on a déjà un immense respect pour vous. » Une élue ajoute : « Ce que vous vivez, ça touche beaucoup de gens. Moi par exemple, je suis prof dans le privé, et mon employeur a décidé que les pauses entre mes cours, ce n’était pas du travail et que donc je ne serai pas payée. – C’est vrai ? », répond un gréviste. « C’est exactement l’exemple que j’avais pris au hasard pour montrer à quel point c’était absurde ! » Un postier qui a fait le déplacement donne un conseil : « À mon avis, vous devriez continuer à faire des vidéos, c’est vraiment ça qui tourne et qui explique bien ! » Puis une militante raconte ce qui se passe à peine plus loin au nord-ouest : « On voulait vous dire aussi un petit mot sur la grève de Bergams, à Grigny. Leur grève ressemble beaucoup à la vôtre : travailler plus, gagner moins, avec des pertes de salaire de plusieurs centaines d’euros, du jour au lendemain parce que le patron l’a décidé. Ça fait cinq semaines, et ils seraient très contents que vous passiez les voir, pour montrer la solidarité ouvrière contre les patrons ! – On ira les voir à Bergams ! » répond une gréviste.

Travailler plus et (peut-être) gagner plus ?

Des grévistes ont passé une partie l’après-midi à cogiter sur le TTE. « On fait beaucoup de professions, dans une profession : conducteur, vendeur, parfois la sécurité, et mêmes psy. T’as des clients qui te racontent toute leur vie, tu ne peux pas t’enfuir ! Donc dire qu’on ne travaille que quand on conduit, c’est faux. » C’est pourtant ce que veut dire la notion de TTE : temps de travail effectif. C’est l’astuce des patrons pour intensifier le travail. On pourrait de fait chronométrer : si on enlève les battements entre deux tours, les arrêts dans les bouchons, les feux rouges, et autre, peut-être qu’un conducteur ne fait de gestes relatifs à la conduite que, mettons, 5 heures 30 sur une journée de 7 heures. Mais de là à dire qu’il n’a travaillé que 5 heures 30, il y a un écart que le patronat ne franchit que pour augmenter ses profits. Cela lui permet en effet d’inventer la notion « d’insuffisance horaire » : sur une semaine de cinq fois 7 heures, il calcule qu’il n’y a eu que cinq fois 5 heures 30 de travail, et les 35 heures deviennent par ce tour de passe-passe 27 heures 30. Donc le conducteur peut travailler un jour de plus dans la semaine, en toute légalité, et sans déclencher d’heures supplémentaires !

Mais pour les patrons, il y a bien un avantage supplémentaire. C’est de pouvoir donner plus de travail à moins de salariés. Tous les conducteurs ont senti qu’il y avait une augmentation du temps au travail et de l’intensité. C’est l’effet quasi mécanique que provoque l’utilisation des concepts patronaux du TTE et du TI : une intensification du travail ? C’est ce que fait remarquer un gréviste. « En fait, c’est à ça qu’il faut qu’on réfléchisse. Parce que si on demande 7 heures de TTE par jour, ça va faire des heures supplémentaires, mais quasiment obligatoires. Donc pour certains ce n’est pas dérangeant parce qu’ils faisaient ça avant, mais il y en avait d’autres qui ne les faisaient pas. – Moi je préfère passer un week-end avec ma famille qu’avoir de l’oseille en plus. Ça ne sert à rien de palper si tu ne peux pas voir ta famille, ça n’a pas de sens. » Demander 7 heures de TTE est une manière de contrecarrer les plans des patrons, qui voulaient faire travailler plus tout en faisant sauter les heures supplémentaires. Mais il faudra avec cette stratégie travailler plus.

Il faut des embauches !

Pour diminuer l’intensité du travail et la longueur des services, il faut des embauches. Ce point a été plusieurs fois annoncé en AG : « Sans embauches, faire des services corrects c’est impossible ! » Et pourtant, depuis la nouvelle organisation du travail au dépôt et l’arrivée du couple TTE/TI, la direction affirme… être en sureffectif ! Et de fait, certains collègues se sont fait licencier, de même que dans les autres dépôts. « Des petits problèmes qui en temps normal auraient valu seulement un rappel à l’ordre ou au pire un avertissement, c’était licenciement direct. » Contre la volonté des patrons de faire faire « à un conducteur le travail d’un et demi ou deux », il faut des embauches ! « S’ils veulent augmenter leurs profits ils ne sont pas obligés de nous piquer de l’argent ou de casser le travail, ils pourraient mettre plus de bus là où ça en manque ! » Mettre plus de bus ferait plus de service pour les usagers, plus d’embauches, donc moins de chômage, des vacations moins longues, bref tout le monde semble gagnant. Comme quoi, si les travailleurs décidaient eux-mêmes de l’organisation du travail, c’est la majorité qui en profiterait.

Simon Vries

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