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Sur un piquet de Transdev, du 18 au 20 octobre 2021

21 octobre 2021 Article Entreprises

Semaine 7, J1-3 : la grève dure

La septième semaine de la grève est déjà bien entamée à Vaux-le-Pénil. Mais pas la détermination des grévistes, au grand dam de la direction. Après les infructueuses négociations de vendredi dernier, la prochaine échéance était prévue ce mercredi. Spoiler alert : ça n’a été qu’une nouvelle démonstration de mépris de la part de la direction. Petit retour sur ce début de semaine.

Lundi : « Le virus de la grève »

Sur le piquet, les grévistes parlent bien sûr de la grève, mais aussi de politique, de sport, ou de la théorie de l’évolution. « Je ne sais pas si on peut dire que la nature est bien faite, mais on dirait qu’il y a un équilibre. – Oui, mais ça vient du hasard, les changements génétiques c’est au hasard. – Mais regarde, on ne dirait pas que c’est au hasard vu que quand même beaucoup de choses sont bien adaptées. – C’est parce qu’il y a une sélection, c’est seulement ce qui est bien adapté à un moment donné qui résiste. – Donc c’est un mélange entre le hasard et… – Et la nécessité ! – Tu vas voir bientôt on va naître avec un volant dans les mains, on sera bien adaptés. – Comme ça on ne sentira plus le TI ! » Blague à part, c’est vraiment le projet de la direction de chasser les anciens et, en comptant sur la pression du chômage, de sélectionner jusqu’au prochain turn-over une nouvelle génération de conducteurs sans expérience, qui travailleront plus et gagneront moins. C’est déjà ce qui se fait dans de nombreuses régions, et qui explique la pénurie de chauffeurs à certains endroits. Mais on ne s’habitue pas à la dégradation des conditions de travail, surtout quand à côté les profits explosent. Cette grève le prouve !

La direction a envoyé sur MobiMe, l’application de travail de Transdev, un compte-rendu des négociations de vendredi, et un projet de protocole de fin de conflit. Mais ce protocole, loin de résoudre les problèmes en pose de nouveaux [1]. « Attends si je lis bien, il y a une douille ! Parce qu’il y a écrit ‘‘Battement inférieur ou égal à quinze minutes : TTE intégral ; Battement supérieur à quinze minutes : TI intégral à 100 %’’. Donc en fait si tu fais seize minutes, ce n’est pas quinze minutes de TTE plus une minute de TI, mais seize minutes de TI ! – Mais non, tu crois qu’ils oseraient ? – Tu vas voir, ils vont faire exprès de ne nous coller que des battements de seize minutes ! – C’est sûr qu’il ne faut pas lâcher avant qu’ils nous sortent les roulements. Il faut qu’ils nous donnent des exemples ! »

Si jusqu’ici c’est le temps de travail qui a surtout occupé les esprits, des revendications sur la paie prennent de plus en plus de place. « Pourquoi on perd les chèques vacances ? – Non, on les a encore. – Mais ils ont baissé ! Moi je veux la même paie qu’avant, même plus ! Ils veulent nous faire passer notre vie au travail et en plus nous payer moins ? Mais qu’ils nous rendent nos sous ! Ils ne se sont pas gênés pour nous les prendre, on ne doit pas se gêner pour les redemander. – T’as eu une bonne expression la dernière fois : ce qu’ils nous font c’est un braquage organisé. Ils nous ont braqué, maintenant il faut leur mettre un coup de pression. – On devrait mettre un sapin ! Pour leur dire qu’on est prêt à tenir jusqu’à Noël. »

En attendant, des grévistes continuent d’étudier le protocole proposé. Comme à Lagny, la comparaison s’impose : « Qu’est-ce qu’on a obtenu qu’ils n’ont pas à Lieusaint ? – En fait c’est assez similaire, mais vu qu’on part de plus loin c’est un peu comme si on avait plus avancé. – Mais à Lieusaint ils ne sont toujours pas contents ! » Comment faire pour aller décrocher mieux que Lieusaint ? « Il faudrait propager le virus de la grève ! » Sûr que si la direction voit que la grève continue de s’étendre, elle sera plus encline à concéder des revendications pour la cloisonner !

Mardi : Bergams n’est pas en Italie

« Septième semaine, septième fût. Le huitième est à côté ! » Les symboles tiennent bon, les traditions aussi, et que dire du moral ? « On n’est pas 300 mais on est soudés comme dans le film, on ira jusqu’au bout. – Après la grève, ça sera encore comme ça, soudés ? – En 99, on avait fait une grosse grève aussi, et l’ambiance après était restée à l’union, le patron faisait moins le malin. » Dans la salle de la machine à café, ça discute. « J’ai essayé d’imaginer comment calculer les heures supplémentaires avec leur nouveau protocole… c’est trop dur ! – Tu veux dire impossible ! En fait si tu regardes bien, ça va être presque impossible de faire des heures sup’. » Un autre gréviste a calculé : « Avec la réduction du temps de prise de service, les minutes en moins multipliées par le nombre de chauffeurs, ça fait 160 000 euros annuels ! – T’imagines si on additionne toutes les minutes et euros qu’ils nous volent de tous les côtés, le paquet de fric ! » Quelques nouvelles sont arrivées de Lieusaint : « Il paraît que ça repart à la fin du mois ? – Il y a encore quelques grévistes là, et d’autres qui se sont remis en grève, mais apparemment pas mal attendent la paie pour repartir oui ! Normal t’as vu, ils ont fait grève puis ils ont repris dans exactement les mêmes conditions ! – La fin du mois c’est dans une semaine non ? Ça passe trop vite ! » Et quelques nouvelles aussi… de Turquie [2] ! « On parle de nous aussi en Turquie ! – Il y a Transdev là-bas aussi ? – Non, mais il y a des bus ! »

En fin de matinée, alors que des grévistes se préparent à rendre de nouveau visite au piquet de Bergams, surprise ! C’est Bergams qui est venu à Transdev. Une quinzaine de grévistes ont fait le déplacement, pour rendre la visite. Le virus de la grève se déplace, mais loin de faire du mal, il renforce tout le monde. Au fil des conversations, les grévistes comprennent qu’ils sont des alliés, que leur bagarre contre les patrons est la même bagarre. Déjà parce qu’un gréviste de Transdev est un ancien salarié de Bergams. Mais aussi parce que des deux côtés, ce sont les mêmes dégradations des conditions de travail, avec des accords pourris signés par des syndicats. Dans les deux cas, c’est un chantage à l’emploi. « Il faut accepter, même avec vingt-trois ans d’ancienneté, 1200 euros de salaire, sinon la boite va couler ! », du côté de Bergams ; « mais vos revendications vont couler la boîte ! » du côté de Transdev. En attendant, des deux côtés, « ils ont coulé nos primes ! » Le patron de Bergams est la 300e fortune de France, peut-être justement parce qu’il déploie une armée de DRH pour faire travailler plus et payer moins ses salariés. Une photo de groupe immortalise le moment. C’est dans ce genre d’occasion que la solidarité ouvrière se montre, où les travailleurs de différents secteurs se retrouvent unis face aux attaques des patrons.

Mercredi : Moubarak dans le dur ?

Ceux qui étaient partis du piquet hier en début d’après-midi trouvent ce matin une mauvaise surprise. La direction a fait poser des brise-soleil sur les fenêtres de la salle de pause, qui servaient en fait pour beaucoup de portes. Un gréviste commente, à moitié sur le ton de la blague : « C’est un dispositif anti-grévistes ! Non seulement on ne peut plus rentrer, mais en plus on ne voit plus de l’extérieur les grévistes dans la salle de pause. Ils mettent en place des aménagements pour une salle où on n’avait jamais le temps d’aller avant la grève. Moi je n’y avais jamais mis les pieds en un mois ! » Mais dispositif ou pas, la salle se remplit. « Ça débat bien, c’est bien ! »

À 14 heures 30, une quarantaine de grévistes et des soutiens extérieurs se sont rassemblés de nouveau à la cité administrative. Les banderoles sont de sortie, et affichent toujours « Conducteurs en colère ! » Elles ne pourraient pas mieux dire. Une heure plus tard, les délégués sortent. « C’est simple, ce qu’ils nous proposent c’est inacceptable. Donc soit vous êtes déterminés à continuer, soit on reprend le taff. – Explique ! – Pour faire que les battements dépassent les quinze minutes, et passent en TI intégral au lieu de TTE, ils nous annoncent qu’ils ne comptent plus la mise à quai. Ça veut dire que les trois minutes pour se garer, ouvrir les portes, vendre des tickets, pour eux ce n’est pas du travail. Ils veulent que si tu dois partir à 50, tu te mettes à quai à 50. – Mais on va être tout le temps en retard, on est obligés de se mettre à quai avant ! – Je sais, mais s’ils passent ces trois minutes de travail en TI, ça permet d’allonger le battement d’avant, pour le faire dépasser les quinze minutes ! » L’indignation gagne les grévistes : « Et attends, tu as vu que le TI au dépôt était payé à 0 % ! – Mais ce n’est pas ce qu’ils avaient dit au début ! – Après sept semaines de grève, ils nous pondent ça ? C’est un manque de respect ! – On n’est pas d’accord. Pas contents ! – On va aller à dix semaines si c’est ce qu’ils veulent ! »

Moubarak, le DRH, vient se mettre au milieu des grévistes. Il a le culot de dire aux grévistes ce qu’ils veulent : « Vos revendications, c’est sur le temps de travail, pas sur les rémunérations ! Et cette histoire de mise à quai, c’est une nouvelle revendication. – Ce n’est pas une revendication, c’est notre métier ! » « Vous allez voir combien de temps ça va durer la grève ! – C’est parti pour un mois de merguez supplémentaire ! » Tous les salariés sont remontés. Mais certains restent lucides : « Ce qu’il nous fait là, c’est du cinéma. C’est son métier de venir prendre la pression, il est payé pour détourner la colère sur lui. Mais en vrai, lui il vient avec des consignes, c’est pas lui qui décide. »

Comment augmenter la pression, pour orienter les négociations dans le bon sens ? « Dans la presse, ils disent qu’ils négocient. Mais en réalité ils pourrissent le mouvement. Il faudrait dénoncer ce double discours, par exemple avec des manifs dans Melun ! En s’adressant aux usagers ! » Et pourquoi pas aussi aux autres dépôts ? Marcoussis était venu prendre la température ; certains avaient promis une visite à Villepinte. À Chelles et Lieusaint, il y a encore des grévistes, et à Saint-Gratien et Vulaines aussi. Tout ce monde représente une petite force de frappe. Ce qui est sûr, c’est que plus la grève de Vaux-le-Pénil se montrera et cherchera des alliés, et moins ça plaira aux patrons. Parce que comme le dit un gréviste : « Cette vague de grèves c’est juste les prémices d’une longue bataille qui s’annonce ! »

Simon Vries


[1Pour rappel et pour comprendre l’échange qui suit, la distinction entre TTE (temps de travail effectif) et TI (temps indemnisé) est en fait un des grands axes de l’attaque patronale, contre laquelle la revendication des grévistes est simple : chaque minute passée au travail est une minute de travail et doit être payée comme telle, sans distinction. Le fait d’introduire du TI dans les services permet aux patrons de prétendre que les travailleurs sont en insuffisance horaire, puisqu’ils manqueraient de TTE. De là l’impossibilité d’atteindre le seuil de déclenchement des heures supplémentaires.

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