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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 135, janvier 2021

Éditorial

Suppressions d’emplois : un virus peut en cacher un autre

18 janvier 2021 Convergences Politique

Michelin, Renault, Bridgestone, General Electric, Total, Airbus, Sanofi, Accor, TUI… Depuis quelques mois, pas une semaine, pas une journée ne se passe sans une annonce de suppressions d’emplois.

Celles des grands groupes font la une, tandis qu’elles sont plus discrètes dans les plus petites entreprises, mais pas moins dévastatrices. Des centaines de milliers d’emplois sont supprimés ou vont l’être. Les plus précaires comme les intérimaires sont aux premières loges, entrainant une hausse du chômage et de la misère déjà visible dans l’allongement des files d’attentes devant les restos du cœur ou les banques alimentaires. Le virus des licenciements se répand sans qu’aucun vaccin ne soit à l’étude. Il serait pourtant temps de déclarer la guerre aux suppressions d’emplois.

Le Covid a bon dos. Les entreprises poursuivent leurs restructurations, compriment leur masse salariale et délocalisent afin d’augmenter toujours plus leur productivité grâce notamment aux progrès des technologies numériques. La situation sanitaire a créé un effet d’aubaine pour une partie du patronat.

Face à ces attaques, les réactions des travailleurs sont éparses. Il n’y a pas de gros coups de colère comme en 2008/2009 avec Continental, New Fabris ou Goodyear. Aujourd’hui, l’heure est plutôt à l’accompagnement syndical censé limiter la casse. On ne compte plus le nombre de signatures d’accords. À Bridgestone à Béthune, tous les syndicats, dont la CGT et SUD, ont signé un accord sur les conditions de départs, avalisant ainsi la fermeture du site sans même déclencher de lutte. À Renault, plusieurs syndicats ont signé un « accord de transformation des compétences » qui vise à supprimer 2500 emplois dans l’ingénierie/tertiaire, dont 1900 dans le cadre d’une rupture conventionnelle collective. Les signataires se félicitent d’avoir ainsi évité des licenciements.

Il n’y a donc pas les mauvaises directions syndicales d’en haut (qui collaborent avec le patronat ou trahissent les mouvements), et les bons syndicats d’en bas, irréductibles (qui luttent et résistent jusqu’au bout). Il faut dire que la pression patronale est intense et sans pitié.

De leur côté, gouvernement et parlementaires crient au scandale. Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, est un spécialiste des coups de gueule qui ne sont pas suivis d’effet contre des entreprises qui licencient. En fait, l’État contribue largement à cette situation. D’une part, en supprimant des emplois dans la fonction publique (hôpitaux, Poste, SNCF, ministères…). D’autre part, en baissant les contraintes pesant sur les employeurs qui veulent licencier tout en arrosant ceux-ci d’argent public.

Une pluie d’aides publiques

L’État, loin de laisser faire le marché et la libre concurrence, ne cesse d’intervenir au service du patronat. Ces aides sont de plusieurs sortes.

Avec le Covid, l’État a renforcé le chômage partiel en prenant à sa charge tout ou partie du paiement des salaires. La France est le pays qui a le plus utilisé ce système, avec à son pic 34 % des salariés au chômage partiel. Les entreprises en usent et en abusent.

L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) prévoit « un montant d’indemnisation de 10 milliards d’euros pris en charge par l’État et l’Unédic » en 2021. En 2020, le coût aurait été de 31 milliards d’euros, sans compter les milliards en moins pour les caisses de la sécurité sociale privées de ces rentrées de cotisations.

Ces milliards ont-ils permis d’éviter des licenciements ? Sûrement (le patronat américain a préféré licencier massivement [1]), mais ils ont surtout permis aux employeurs de ne pas toucher à leurs réserves de trésorerie et de garder sous le coude des salariés prêts à reprendre le collier à tout moment. Mais une même entreprise peut bénéficier du chômage partiel tout en supprimant des emplois, c’est le cas de Renault par exemple.

Cette manne d’argent public n’a pas été une remise en cause de la doctrine néo-libérale du gouvernement. Pour Macron, il s’agit toujours de « soutenir l’offre », c’est-à-dire de permettre au patronat d’augmenter ses marges en réduisant ce qu’il appelle le « coût du travail » : les salaires, les cotisations sociales et les impôts sur le capital.

Le gouvernement poursuit ainsi sa politique de réduction de l’impôt sur les bénéfices des sociétés, passant de 38 % en 2016, à 31 % en 2020, puis à 25 % en 2022 (pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 250 millions d’euros).

Il envisage la baisse, voire la suppression, des impôts dits « de production » : taxe sur le foncier bâti, cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE, 0,75 % à partir d’un certain chiffre d’affaires), contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S, soit 0,16 % du chiffre d’affaires servant à financer l’assurance vieillesse)… Il n’y a pas de petites économies.

Gouvernement et collectivités locales ne lésinent pas non plus sur les subventions publiques, dépensant au final des milliards soi-disant pour développer ou sauver l’emploi (CICE, crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) ou la recherche (CIR, crédit d’impôt recherche), et qui servent surtout à enrichir les grands groupes.

L’État a aussi ouvert son carnet de chèques à travers une politique de prêts garantis. À titre d’exemple, Renault, qui annonce 4600 suppressions d’emplois en France, peut ainsi emprunter cinq milliards d’euros à des taux très bas, l’État prenant en charge son remboursement si Renault s’en avérait incapable.

De fausses perspectives

Faut-il alors renforcer la loi ? À l’exemple de la loi Florange de 2014, rendant obligatoire la recherche d’un repreneur, et mise en place par le gouvernement Hollande après la fermeture des hauts fourneaux d’ArcelorMittal à Florange ? Cette loi n’a eu en fait aucun effet.

Alors une loi interdisant les licenciements ? Mais la plupart des suppressions d’emplois ne sont pas des licenciements, comme à Michelin ou Renault qui suppriment des milliers d’emplois dans le cadre de ruptures conventionnelles collectives. Ou une loi pour rendre les subventions publiques plus contraignantes ? Il n’est pas sûr que ça suffise à en éviter les contournements. Ainsi Ford a signé un accord avec les pouvoirs publics et les syndicats garantissant le maintien de la totalité des 900 emplois de l’usine de Blanquefort en Gironde jusqu’en mai 2018 en échange d’une subvention publique de 12,5 millions d’euros. Ford a donc pu fermer Blanquefort… en juillet 2019.

Surtout cela suppose de s’en remettre à un bon gouvernement ou à de bons députés, donc de bien voter et de croire éventuellement à leurs promesses électorales, c’est-à-dire à la Saint-Glinglin.

L’autre perspective mise en avant est celle du protectionnisme et de relocalisations qui permettraient de protéger « nos » emplois. Ce leitmotiv surfe sur le nationalisme, rebaptisé « patriotisme économique » ou sur un capitalisme peint du vert des « circuits courts ». Il détourne du chemin de la lutte de classe et met les travailleurs à la remorque d’une partie de la bourgeoisie et du patronat qui peut être favorable, pour ses propres intérêts, au développement d’une industrie et d’une économie nationale. Comme si le problème de l’emploi était la concurrence étrangère et pas le capitalisme, la propriété privée des moyens de production et la loi du profit.

L’ennemi des travailleurs n’est pas la mondialisation : il est dans le système capitaliste. Pour garder des emplois en France, comme n’importe où dans le système capitaliste, il faut être compétitif et concurrentiel. Il faut donc forcément baisser les salaires, augmenter le temps de travail, augmenter la productivité, c’est-à-dire augmenter le taux d’exploitation.

Ainsi fleurissent les « projets industriels » chers notamment à l’appareil CGT qui se veut meilleur stratège industriel que les capitalistes. Oui, la classe ouvrière, ses ouvriers, ses techniciens et ingénieurs, savent mieux que quiconque quoi et comment produire dans leur entreprise ou leur filière. Mais le problème de l’emploi est d’abord un problème politique, de choix politique et de système économique.

Changer le rapport de force

La mobilisation contre les suppressions d’emplois se heurte actuellement à l’individualisation et au pseudo-volontariat des plans sociaux, ainsi qu’à un certain fatalisme (« c’est la crise, les employeurs font ce qu’ils peuvent, c’est moins pire ici qu’ailleurs… » peut-on entendre ici ou là). Mais il n’y a pas d’autre solution pour stopper la vague de suppression d’emplois. Seule une forte mobilisation peut obliger le gouvernement et le patronat à arrêter de licencier et de supprimer des emplois.

La baisse du temps de travail, sans baisse de salaire, doit suivre si besoin la baisse d’activité et permettre de maintenir tous les emplois. La baisse d’activité peut aussi être l’occasion de réduire la charge et l’intensification du travail qui n’ont cessé d’augmenter, comme le montre l’explosion des burn-outs.

La diversification des activités, que ce soit dans les services ou l’industrie, dans le tertiaire ou la production, le privé ou le public, pourrait également permettre de maintenir les emplois, voire de relancer les embauches, tout en répondant aux besoins sociaux et à l’urgence climatique. Ce ne sont pas les besoins qui manquent, comme on le voit actuellement dans le secteur de la santé ou de la dépendance.

Tout cela suppose un contrôle des travailleurs sur la marche des entreprises comme sur celle de l’État, avec comme objectif de mettre fin au système capitaliste et de passer à une autre société, une société communiste, c’est-à-dire débarrassée de l’exploitation et des classes sociales et où la propriété des moyens de production serait collective.

Les travailleurs n’ont pas à culpabiliser. Il y a de l’argent. Les riches s’enrichissent. La bourse se porte bien, le nombre de milliardaires grossit. Toutes les entreprises ne sont pas en crise, loin de là. Veolia a lancé une OPA (offre publique d’achat) sur Suez à 13,4 milliards d’euros. Après avoir déboursé 3,4 milliards pour acheter les actions qu’Engie possédait dans Suez, les actionnaires de Veolia sont prêts désormais à débourser 10 milliards de plus pour racheter les 70 % de Suez qui leur manquent et à recapitaliser la société. Et ce n’est qu’un exemple.

Les travailleurs doivent défendre leurs propres intérêts, et rien de mieux pour cela que la lutte collective. Nous n’empêcherons pas les suppressions d’emplois en luttant entreprise par entreprise ou branche par branche, à l’image de la journée d’action de la CGT métallurgie du 21 janvier où sont appelés uniquement les salariés des fonderies où 5 000 emplois sur 13 500 sont menacés à court terme en France.

C’est le sens de l’appel des salariés de TUI. Travel Union International (TUI) France possède les agences de voyage Nouvelles Frontières, Look Voyage ou encore Marmara. En lutte contre 600 licenciements sur 900 salariés en France, ils appellent les salariés dont l’emploi est menacé à se regrouper et à une manifestation nationale samedi 23 janvier pour l’interdiction des licenciements et des suppressions d’emplois. Des salariés de Total à Grandpuits en Seine-et-Marne en grève contre l’arrêt de la raffinerie doivent notamment être présents.

Ce genre de regroupement parti de la base a déjà été tenté. En 2001, les salariés de l’usine LU-Danone à Ris-Orangis ont été à l’origine d’une manifestation nationale de 20 000 personnes contre les licenciements. En 2009, ceux de New Fabris à Châtellerault ont initié la création d’un Collectif contre les patrons voyous.

L’initiative des TUI est une nouvelle tentative de se coordonner pour changer le rapport de force. La manifestation du 23 janvier peut en être un jalon, comme celle du 4 février à l’initiative cette fois-ci des confédérations syndicales. Les suppressions d’emplois ne sont pas une fatalité.

17 janvier 2021


[1Aux États-Unis, pour compenser, les chômeurs ont reçu une aide de leur État autour de 500 à 600 dollars par semaine (selon les États), soit à peu près l’équivalent de 1500 à 2000 euros par mois, pour six mois environ selon les États et le niveau de chômage.

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