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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 91, janvier-février 2014

Richesse mondiale et inégalités sociales en hausse. Notes de lecture : « Le capital au XXIe siècle », vu par Thomas Piketty

14 janvier 2014 Convergences Culture

Vous qui croyez que la crise économique nous frappe tous comme un fléau du Ciel, lisez « Le capital au XXIe siècle [1] », le dernier ouvrage de Thomas Piketty. Certes pas pour ses solutions et conclusions bien sages. Lui-même, très proche du PS (il fut le conseiller économique de Ségolène Royal), se contente de vouloir réguler le capitalisme via un impôt mondial et progressif sur le capital. « Une utopie utile » , dit-il, visant à « dépasser » le capitalisme (pas à le renverser !). Mais son ouvrage vaut pour un éloquent état des lieux du capitalisme actuel et de ses tendances.

Un livre accessible (si ses 970 pages ne vous rebutent pas), même sans rien connaître à l’économie. Piketty, qui dénonce « la passion infantile » des économistes pour les mathématiques, préfère axer ses travaux sur la recherche historique. Et de citer Balzac plutôt que des théories économiques pour initiés.

L’explosion des inégalités

Piketty décrit des « niveaux d’inégalités inconnus par le passé ». Un monde capitaliste où les déséquilibres internes dans les pays riches sont nettement plus forts que les déséquilibres internationaux entre pays riches et pauvres. Et la tendance s’accélère. Les salaires des cadres dirigeants connaissent des niveaux de rémunération inédits dans l’histoire. Une société de super-cadres plus que de super-stars, dans laquelle sportifs, acteurs et artistes représentent moins de 5 % des 0,1 % aux revenus les plus élevés.

Les inégalités sont encore plus fortes si l’on compare la répartition du capital et de ses revenus. En France « le capital a changé de nature : il était terrien, il est devenu immobilier, industriel et financier ». Les capitalistes se sont donc adaptés. Pour des pays comme la France, 50 % des personnes les plus pauvres possèdent moins de 5 % du patrimoine. « Pour cette moitié de la population, la notion même de patrimoine et de capital est relativement abstraite. Pour des millions de personnes, le patrimoine se réduit à quelques semaines de salaire d’avance sur un compte chèque ou un livret A, une voiture et quelques meubles ».

À l’autre bout, 10 % les plus riches possèdent 60 % du patrimoine (70 % aux Etats-Unis).

Grandeur et misère des classes moyennes

La tendance observée par Piketty est celle d’un retour vers un niveau d’inégalité propre au XIXe siècle et à la Belle Époque, où les 10 % les plus riches possédaient 90 % du patrimoine. Cet accaparement du patrimoine par les plus riches ne pourra donc se faire que par la baisse relative du patrimoine de la classe moyenne (les plus pauvres n’ayant pratiquement pas de patrimoine), et un tassement des revenus de celle-ci. Cette classe moyenne, apparue à la faveur des crises du XXe siècle et des 30 Glorieuses, a été pour Piketty « l’innovation majeure du XXe siècle ». En Europe, elle représente aujourd’hui environ 40 % de la population adulte (soit 20 millions de personnes en France) et possède 35 % du patrimoine. Mais ses heures de gloire semblent derrière elle. Le tout sera de savoir vers qui se tournera la classe moyenne si sa situation économique se dégrade davantage : vers la classe ouvrière et un renversement du capitalisme, ou vers des sirènes populistes et réactionnaires ? Mais loin de lui l’idée de compter sur une révolution sociale.

Mythes et réalités de la croissance

La réduction des inégalités par la voie de la croissance économique est, pour Piketty, une illusion liée à la parenthèse économique des deux guerres mondiales, des « 30 Glorieuses » et de l’URSS, une période de destruction massive de capital et d’intervention directe de l’État dans l’économie. Le XXIe siècle, explique-t-il, connaîtra une croissance de l’ordre de 1 % par an en moyenne, un taux correspondant à la croissance moyenne des pays capitalistes « mûrs ». Un niveau auquel les pays émergents se stabiliseront une fois leur démographie stabilisée et leur retard économique rattrapé.

Le retour en force de l’héritier

Dans une période de faible croissance économique, l’héritage prend de plus en plus d’importance dans la constitution des patrimoines privés, et donc dans le maintien et la hausse des inégalités. Quant aux 50 % des plus pauvres, ils n’héritent de rien et ont toutes les chances de rester pauvres.

Enrichissement privé et dette publique

La question de la dette publique est aussi pour Piketty « une question de répartition de la richesse ». Car « le monde riche est riche, ce sont les États qui sont pauvres ». « L’Europe est à la fois le continent où les patrimoines privés sont les plus élevés du monde et celui qui a le plus de mal à résoudre sa crise de la dette publique ».

Une « utopie utile » ?

Outre les niches fiscales, Piketty estime le capital camouflé dans les paradis fiscaux à 10 % du PIB mondial ! D’où la nécessité pour Piketty de sauver le capitalisme de lui-même avant que la montée des inégalités ne fasse le lit des « populismes ». Cela serait possible grâce à un impôt mondial et progressif sur le capital. L’arme fiscale serait le seul « remède civilisé pour résoudre la violence sourde des inégalités ». Sinon, « elle dégénérera en révolte sociale, repli protectionniste ou poussée populiste [2] ».

« Dégénérera » en révolte sociale ? On voit où se situe ses craintes.

Gilles SEGUIN


[1Le capital au xxie siècle, de Thomas Piketty (Éditions du Seuil, septembre 2013, 970 pages, 25 €)

[2Interview dans Challenges le 15 septembre 2013.

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