Les agressions sexuelles qui ont eu lieu à Cologne le soir de la Saint-Sylvestre ont choqué une bonne partie de la population, suscitant une indignation légitime vis-à-vis de toutes les violences sexistes. Mais l’extrême droite s’est vite emparée de l’affaire pour lancer une virulente campagne anti-migrants.
Une campagne xénophobe en plein essor
Alimentée par les fuites de la police de Cologne et par la presse réactionnaire, cette campagne xénophobe n’a rien eu de spontané. Il s’agit d’une opération électorale pour les partis d’extrême droite comme l’AFD [1] ou le NPD [2], dans la perspective des régionales qui auront lieu en mars dans trois Länder [3]. Mais cette propagande anti-immigrés a le vent en poupe. Depuis les événements de Cologne, on ne compte plus les rumeurs nauséabondes sur les prétendues exactions des réfugiés, ni les attaques contre les réfugiés (incendies de foyers, agressions racistes, etc.). Pour coller à cette ambiance délétère, quasiment tous les partis – de droite comme de gauche [4] – crachent leur venin anti-immigrés et expliquent qu’il faut changer de politique migratoire.
Ce qui relève sans doute davantage de la surenchère électorale que d’un réel problème pour gérer l’afflux d’immigrés, dans le pays le plus riche et le plus peuplé d’Europe, dans lequel 1,7 million de logements sont vides !
« Wir schaffen das » : une hospitalité allemande bien mesurée
Depuis l’été 2015 et la « crise des migrants », Angela Merkel s’est taillé une réputation de défenseuse des réfugiés : en août, elle déclarait que l’Allemagne laisserait les migrants traverser ses frontières et affirmait « Wir schaffen das »… « Yes We Can ! » à l’allemande. [5].
Alors que la plupart des pays d’Europe fermaient leurs frontières à l’automne dernier, Merkel défendait sa politique d’accueil, laissant entrer au total 1,1 million de migrants en 2015, et encore environ 4 000 par jour depuis le début de l’année 2016.
Il n’y a sans doute pas beaucoup de charité chrétienne là-dedans... Peut-être aurait-il été difficilement tolérable pour la population allemande de voir des flics et des soldats repousser des dizaines de milliers de réfugiés. Mais c’est surtout que le patronat allemand voit cette immigration d’un très bon œil : la démographie allemande étant relativement atone, les grands patrons se plaignent régulièrement d’une pénurie de main-d’œuvre. Ils revendiquent l’assouplissement de la réglementation relative à l’emploi des migrants. Certains sont même allés jusqu’à prôner la mise en place d’un salaire minimum spécifique pour les réfugiés, avant de devoir abandonner le projet face aux critiques.
Un drôle d’accueil !
Si l’Allemagne a accueilli (ou plutôt laissé passer) bien plus de réfugiés que les autres pays d’Europe, les conditions d’hébergement des migrants sont loin d’être reluisantes. Lorsque ceux-ci atteignent tant bien que mal la frontière (après des semaines voire des mois d’un voyage exténuant, coûteux et dangereux), ils sont enregistrés comme étant entrés en Allemagne (c’est le fameux chiffre de 1,1 million), puis hébergés dans des foyers de fortune ouverts par l’administration. Et là, en plus d’être confrontés aux agressions racistes (plus de 200 en 2015), ils doivent faire face à une sorte de chaos organisé par l’État.
Car les dizaines de gymnases, de casernes désaffectées ou de campements sont en fait gérés par des volontaires, associatifs ou individuels, qui consacrent du temps ou de l’argent à aider les migrants en tentant de subvenir à leurs besoins élémentaires. Malgré une réelle vague de solidarité dans toute l’Allemagne, la condition des migrants reste très précaire.
En plus d’un droit d’asile très restreint (voir l’encadré), il faut pour obtenir la possibilité de le demander patienter pendant des jours, voire des semaines devant l’administration qui les délivre. À Berlin, les migrants font ainsi la queue pendant des heures, des jours durant, pour obtenir un rendez-vous de dépôt de leur demande. Un récent scandale a mis en cause l’administration responsable des migrations, qui fonctionne tellement mal que les ayants droits n’ont même pas la possibilité d’obtenir l’aide d’État qui devrait leur permettre d’acheter de quoi manger.
Un tel chaos organisé n’est sans doute pas involontaire : il s’agit de décourager les réfugiés afin qu’ils se le disent, et se passent le mot. Car le gouvernement allemand a récemment sifflé la fin de la partie, et annoncé que le nombre d’immigrants devait être réduit.
Une lutte électorale acharnée… sur le dos des réfugiés
En décembre, la CSU [6] clamait haut et fort qu’il fallait absolument plafonner l’immigration à 200 000 personnes par an. À cela, Angela Merkel répétait dans ses vœux son « nous allons y arriver », qu’il ne fallait pas de limite au nombre d’immigrants, mais que le rythme des arrivées devait néanmoins ralentir. Après les événements de Cologne, ce discours est apparu comme trop modéré à la CSU, à une partie de la CDU, et même au SPD [7] ! Car dans la campagne électorale qui s’annonce, tous les partis courent derrière l’extrême droite pour ne pas lui laisser le monopole de la critique (une situation bien connue en France). Résultat, malgré une loi scélérate visant à expulser plus facilement les immigrés condamnés à de la prison, Merkel fait maintenant figure d’humaniste et se retrouve violemment critiquée et isolée... car elle refuse de plafonner l’immigration !
Dans ce cirque politicien où tous agitent des idées nauséabondes, Merkel s’est tenue à l’écart. Sans doute par calcul électoral, peut-être aussi parce qu’elle cherche une solution à la « crise des réfugiés » hors de l’espace Schengen.
Sauver Schengen plus que les migrants ?
Elle a récemment accueilli le premier ministre turc Ahmet Davutoglu pour renégocier le partenariat germano-turc sur la gestion des migrations : en échange d’un soutien financier, la Turquie s’engage à jouer le rôle de garde-frontière à l’entrée de l’Europe, c’est-à-dire à parquer dans des camps les migrants syriens, irakiens ou afghans qui tentent de fuir vers l’Europe...
En bonus, l’Allemagne pourrait dispenser les Turcs de visa pour faire du tourisme en Europe, tandis que les Kurdes de Turquie, eux, ne pourront plus obtenir l’asile en Allemagne, ce qui les condamne à rester en Turquie où ils sont de plus en plus durement opprimés par le régime d’Erdogan.
Rien de très humaniste là-dedans. Merkel craint manifestement une implosion de l’espace Schengen. En effet, le plafonnement de l’immigration signifierait le rétablissement général du contrôle aux frontières. Or celui-ci a déjà été partiellement réinstauré, notamment à la frontière austro-allemande, et ses conséquences économiques sont plutôt négatives pour les exportations allemandes : l’allongement des temps de parcours des camions dû aux contrôles douaniers pousse les entreprises à mobiliser davantage de conducteurs et de véhicules. L’hypothèse d’un rétablissement complet des frontières fait planer quelque menace sur l’économie allemande qui exporte beaucoup vers les pays de l’UE. Sans s’opposer au virage anti-migrants pris par la plupart des partis, Angela Merkel défend avant tout les intérêts des patrons allemands : libre circulation des marchandises, tout en freinant celle des hommes !
Les travailleurs allemands sont plongés dans un contexte sordide où l’on voudrait les intoxiquer par des déclarations xénophobes et des discours démagogiques sur les difficultés d’« intégration » de migrants qui n’auraient pas la même culture… Ces migrants, jeunes, travailleurs ou membres de la petite-bourgeoisie intellectuelle, ne vivaient pourtant pas sur une autre planète dans leurs villes avant qu’elles ne soient dévastées par les bombes. Certains ont fait une dure expérience de luttes, dans l’effervescence et les retours de bâtons des printemps arabes. Dans les luttes à venir, eux qui ont acquis une expérience seront sans doute des alliés précieux pour la classe ouvrière d’Allemagne – qui, de longue date, n’est pas que germanique ! ■
28 janvier 2016, Hugo WEIL
Quelques chiffres sur l’immigration en Allemagne
Il n’est pas facile de savoir combien de réfugiés sont réellement arrivés et vivent actuellement en Allemagne. Durant l’année 2015, il y a eu en tout 1,09 million de réfugiés enregistrés avant d’être assignés à un hébergement provisoire. C’est le chiffre admis. Ce premier enregistrement est anonyme et ne recense que le pays d’origine, il se peut donc que des réfugiés aient été recensés plusieurs fois ou aient quitté le pays pour continuer leur périple vers la Suède ou l’Angleterre. Cependant il est intéressant de regarder de plus près les pays d’origine : 39 % viennent de Syrie, 14 % d’Afghanistan et 11 % d’Irak. Ces trois pays qui sont ou ont été ravagés par des guerres que les grandes puissances impérialistes ont attisées, totalisent plus de 700 000 réfugiés.
Une fois arrivés à leur hébergement provisoire en Allemagne, les réfugiés essaient de déposer leur demande d’asile – ce qui peut prendre un temps fou, tant la bureaucratie allemande est dépassée par la situation. Durant l’année 2015, 442 000 demandes d’asile ont été déposées, mais seulement 283 000 traitées. Avec celles qui étaient déjà en instance au début de l’année dernière, il y a actuellement un total de 365 000 demandes d’asile en souffrance. Décisions au cas par cas, décisions à la carte selon les pays d’origine : l’État allemand divise pour régner. Tandis que 96 % des Syriens, 86 % des Irakiens et 88 % des Érythréens obtiennent des papiers (pour une durée limitée), ce chiffre tombe à 29 % pour les Afghans et est quasiment nul pour les immigrés des Balkans, qui sont considérés comme « réfugiés économiques » en provenance de « pays tiers sûrs ». Ce sont donc, actuellement, surtout les Syriens qui trouvent un accueil légal en Allemagne. Depuis le début de la guerre civile en 2011, 230 000 Syriens ont reçu des cartes de séjour.
Le Nouvel an à Cologne
Devant la gare centrale de Cologne qui avoisine la cathédrale, environ un millier de personnes étaient rassemblées dans la nuit du Nouvel an. Des informations ont peu à peu filtré dans la presse, au début très contradictoires, sur le fait que des dizaines de jeunes hommes avaient agressé sexuellement, et dépouillé, des dizaines voire des centaines de femmes : encerclées, victimes d’attouchements, vêtements arrachés, vols de sacs à main.
Des victimes et des témoins ont ensuite décrit des agresseurs d’« apparence maghrébine ». La police n’a rien entrepris sur place pour protéger les femmes agressées et l’enquête met ensuite en cause une trentaine de personnes dont 15 demandeurs d’asile et 11 sans-papiers d’origine marocaine ou algérienne. Pareilles agressions, bien que d’ampleur moindre, ont eu lieu également dans d’autres villes. D’où le racisme qui ne demandait qu’à se déchaîner… Cela dit, la violence sexuelle contre les femmes en Allemagne n’a pas attendu l’immigration massive : cette année par exemple, la fête de la bière à Munich a donné lieu à 20 dépôts de plaintes en justice pour agressions sexuelles. Sans compter les agressions non déclarées.
[1] AFD : Alternative pour l’Allemagne : petit parti d’extrême droite. À l’origine surtout europhobe, il s’est tourné plus fortement vers la xénophobie depuis l’arrivée des réfugiés. Il ambitionne de devenir l’équivalent du Front national, phénomène inconnu en Allemagne, où l’extrême droite est plutôt faible depuis 1945.
[2] NPD : Parti national-démocrate d’Allemagne. Ce petit parti néonazi a eu ses heures de gloire à la fin des années 1960. Aujourd’hui sous la menace d’une interdiction par l’État, il profite toutefois de la situation des réfugiés pour se replacer sur le devant de la scène d’extrême droite.
[3] L’Allemagne étant un État fédéral, le rôle des Länder est bien plus développé que celui des régions en France. Les parlements de chaque Land (Landtag) sont élus, mais pas tous renouvelés en même temps. En mars, puis en septembre 2016, cinq parlements seront réélus.
[4] La chef de file de l’aile gauche du parti Die Linke (l’équivalent du Front de gauche), Sarah Wagenknecht, n’a pas hésité à déclarer : « Quiconque abuse du droit d’hospitalité s’en prive ». Elle a ensuite été critiquée par certains membres de son parti... Le dirigeant du SPD, Sigmar Gabriel, de son côté : « Pourquoi le contribuable allemand devrait-il assumer les frais de détention des criminels étrangers ? ». Il pense avec Gerhard Schröder que les criminels étrangers doivent vite déguerpir…
[5] « On va y arriver », slogan de Merkel pour qualifier la gestion de la « crise des réfugiés ».
[6] La droite allemande est principalement représentée par les chrétiens-démocrates du duo CDU-CSU, la CSU étant sa variante bavaroise. Bien que très liée à la CDU, la CSU est indépendante et réputée plus conservatrice.
[7] Le Parti social-démocrate, qui est en minorité dans la coalition au pouvoir, mais a tout de même plusieurs ministères, a récemment exhorté Merkel à être plus claire sur sa politique migratoire, lui reprochant un certain laxisme.
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