Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 88, juin-juillet-août 2013 > Le printemps turc

Quand la répression ne fait plus peur

17 juin 2013 Convergences Monde

Les forces de police turque n’ont pas lésiné sur la répression pour tenter d’enrayer les manifestations. Elles en ont d’ailleurs une sacrée habitude, et qui ne date pas de l’arrivée au pouvoir du parti d’Erdogan en 2002. Depuis de longues années la Turquie a connu une succession d’alternances entre régimes militaires et phases dites démocratiques mais où les droits de manifestation ou de grève ont toujours été plus que limités.

La police utilise contre les manifestants des grenades d’un puissant gaz lacrymogène qu’elle tire à bout portant. Ce sont entre autre ces tirs qui sont à l’origine du nombre important de blessés, 4 800 selon le syndicat des médecins. Dimanche et lundi, deux manifestants mouraient, l’un d’entre eux à Antalya (Sud-Est de la Turquie), directement sous les coups de matraques de la police. Et à travers les témoignages lus dans la presse, il semble que les arrestations soient systématiquement accompagnées de violences policières de toute sorte. Ainsi ce témoignage d’un manifestant arrêté : « Jusqu’à ce que je sois emmené dans le bus, j’ai été confronté aux coups de pied et insultes de chacun des policiers qui me croisaient et me criaient “c’est vous qui allez sauver ce pays bande de fils de pute ?” (…) Dans le bus, les lumières étaient éteintes et j’ai entendu la voix d’une jeune fille qui suppliait des policiers. Ils frappaient la fille, la prenait au cou et un policier lui cria : “je te niquerai ici” (!). À ce moment nous étions trois dans le bus, ils nous ont forcé à répéter à plusieurs reprises : “J’aime la police turque.”, “J’aime mon pays.” en nous disant “plus fort plus fort”. » [1] Il est difficile de connaître le nombre de personnes arrêtées, ou le nombre de personnes maintenues en détention, mais il est certain que le chiffre monte à quelques milliers.

Mais cette répression sanglante n’a pas empêché le mouvement de s’étendre, bien au contraire. Les rodomontades d’Erdogan non plus, lui qui prétend que « s’ils rassemblent 20 personnes, alors j’en rassemblerai 200 000. Là où ils en auront 100 000, je mobiliserai un million de membres de mon parti. »

Une contestation qui touche toutes les couches de la société

Les offensives religieuses, la détérioration des conditions de vie depuis 2008 ainsi qu’une utilisation récurrente de mesures répressives ont fait déborder la coupe du mécontentement. Il ne manquait plus qu’une étincelle pour que le feu prenne.

Initié par une partie de la petite bourgeoisie urbaine paupérisée par la flambée des prix qui accompagne la prétendue « merveilleuse » croissance de l’économie turque en période de crise mondiale, le mouvement a été rejoint par différents milieux et couches sociales. Des étudiants, des Alévis (minorité religieuse de 15 millions de personnes, ayant une approche libérale de l’islam) qui s’estiment victimes de discrimination de la part de l’AKP et les milieux laïques proches des kémalistes (héritiers de Mustafa Kemal qui avait modernisé la Turquie au profit de la bourgeoisie, et prônait un État laïc). Plus largement, des personnes venant des couches populaires, des travailleurs et des travailleuses voulant exprimer un ras-le-bol du gouvernement, composent cette vaste mobilisation.

Les syndicats qui se mettent de la partie, et les autres

Deux organisations syndicales, KESK (syndicat de la fonction publique) et DISK (syndicat industriel positionné à gauche) s’en sont rapidement solidarisées. Elles appelaient mercredi 5 juin à une journée de grève. Les déclarations de ces organisations restent néanmoins bien limitées… Si KESK formule, quoi qu’en des termes très généraux, quelques préoccupations sur la vie quotidienne des travailleurs, la déclaration de DISK semble s’être limitée à demander le maintien du parc Gezi et à condamner la répression.

La centrale syndicale majoritaire, Türk Iş, très intégrée à l’appareil d’État, s’est bien gardée d’encourager d’une quelconque manière le mouvement.

Du côté des partis politiques

Le mouvement nationaliste kurde également fait montre d’une prudente modération. Le parti nationaliste PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) représente une composante importante de la gauche en Turquie. De par l’importante immigration kurde vers les grandes villes industrielles de l’Ouest du pays (Istanbul, Bursa, Izmir…), ses militants jouent un rôle dans le mouvement ouvrier et les organisations syndicales. Mais si certains d’entre eux se sont naturellement retrouvés sur la place Taksim dès le début des événements, la position du PKK a en revanche été beaucoup plus réservé sur cette mobilisation. Un député kurde a surtout dénoncé la « disproportion de la violence utilisée à l’encontre des manifestants » (aurait-il fallu plus de « proportion » ?). Et Selahattin Demirtas, le co-président du parti kurde, a affirmé qu’il ne permettrait « pas que ce mouvement se tourne contre les pourparlers de paix » actuellement en cours entre le PKK et le gouvernement d’Ergodan. Et le PKK d’accuser les kémalistes et leur parti, le CHP (Parti républicain du peuple, à coloration vaguement social-démocrate) de vouloir récupérer le mouvement pour enrayer le processus de paix.

Il est vrai que ce CHP, parti maintes fois au pouvoir et qui se dit principal opposant du gouvernement Erdogan, est présent dans tous les cortèges en ne visant qu’une alternance politique avec l’AKP. Derrière un langage radical, taxant l’AKP de « fasciste » ou d’« islamiste », le CHP ne pose jamais la question des conditions de vie, de la crise et de qui va la payer. Sans parler des liens historiques du CHP avec une partie des cadres de l’armée.

Mais les travailleurs, eux, ne désarment pas et pourraient prendre le relais des « indignés » de la place Taksim

Mais loin des calculs des directions syndicales ou des directions des plus gros partis politiques dit d’opposition, la classe ouvrière, elle, pourrait donner au mouvement de véritables perspectives. Sa combativité n’a pas fait défaut ces dernières années dans la métallurgie, le textile, la chimie ou les transports. Récemment, le 15 mai dernier, la compagnie Turkish Airlines commençait une grève contre une sorte de « plan de compétitivité » : licenciements, allongement de la journée de travail, restrictions des libertés syndicales… Dès les premiers jours de l’occupation, une forte délégation de grévistes se rendait place Taksim avec les autres manifestants.

La colère est contagieuse. Et si les travailleurs s’en emparaient ?

Samuel TERRAZ


[1Témoignage publié sur le site communismeouvrier.wordpress.com

Mots-clés :

Imprimer Imprimer cet article