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Film

Petite fille, née dans le corps d’un garçon

Un documentaire pour parler de l’identité transgenre

31 décembre 2020 Article Culture

Sasha, sept ans, ressent au plus profond d’elle-même qu’elle est une petite fille. Pourtant, son corps est celui d’un garçon. Le documentaire de Sébastien Lifshitz raconte son histoire. Ou plutôt son combat pour exister dans une société qui ne reconnaît qu’à contrecœur l’identité des personnes transgenres. Le récent suicide de Fouad, lycéenne transgenre à Lille et renvoyée de sa classe pour être venue en jupe, témoigne de la nécessité d’une lutte politique à mener contre ces oppressions.

Après Les Invisibles (2012), Bambi (2013) et Les Vies de Thérèse (2018), Sébastien Lifshitz poursuit l’exploration intime et sensible des identités de genre avec son documentaire Petite fille, visible en replay sur Arte jusqu’au 30 janvier. À voir absolument.

Depuis ses trois ans, Sasha revendique son identité de genre : « quand je serai grand, je serai une petite fille ». À cette certitude, bientôt partagée par le reste de sa famille, s’oppose le jugement et la condamnation d’une société transphobe, principalement incarnée par l’école. Une école qui refuse d’accueillir Sasha comme une fille, reproche à sa mère d’encourager un caprice en la laissant s’affirmer comme telle et réfléchit même à faire un signalement à la protection de l’enfance.

Karine, la mère, ne comprend pas comment « un bout de papier », l’état civil de son enfant mentionnant le sexe masculin, peut prévaloir sur une identité qui s’impose comme une évidence intérieure absolue pour Sasha. Tout le mérite du documentaire est de donner à voir, à comprendre et à ressentir cette évidence.

Alors pourquoi dénier à un enfant le droit d’exprimer ce qu’il est au plus profond de lui ? La réponse dépasse complètement Sasha, sa famille, ou même son école. Grâce à des luttes opiniâtres et difficiles menées ces derniers temps – depuis une ou deux décennies surtout –, appuyées par des travaux de recherche universitaire (surtout aux États-Unis), certaines normes traditionnelles de la société bourgeoise sont battues en brèche. Normes d’un ordre social bourgeois qui repose sur l’exploitation d’une classe par une autre mais aussi sur la forte béquille patriarcale de la division entre les sexes et sur le modèle de la famille hétérosexuelle comme unité sociale première, sur le mariage hétérosexuel assurant la transmission de la propriété privée… de ceux qui en ont, évidemment.

C’est ainsi que tout ce qui ne rentre pas dans les canons normatifs de la bourgeoisie, tout ce qui pourrait les remettre en question, ne devrait pas exister. D’où les discriminations, les oppressions et autres violences qui sèment d’embûches le parcours des personnes transgenres. Les pressions sociales terribles conduisant à cacher son identité à l’école, auprès de ses camarades de classe, de ses parents et de ses professeurs provoquent une grande souffrance pour Sasha comme pour beaucoup d’autres, ce dont atteste sa pédopsychiatre Anne Bargiacchi [1]. Et les soucis, dans le cadre de l’actuelle société, ne s’arrêtent pas aux prises de conscience à l’enfance ou l’adolescence.

Face à cette souffrance, la famille s’engage dans une lutte avec l’école pour que Sasha puisse être admise en classe telle qu’elle est, et que son identité de genre soit reconnue par l’administration et le corps enseignant. Cette lutte préfigure les nombreux combats à venir pour qu’elle puisse vivre une vie normale et épanouie. Le documentaire montre que la volonté de Sasha et sa détermination – à ne pas devoir s’adapter mais à contraindre la société à s’adapter à elle – grandissent dans et par cette lutte.

Réalisé avec une grande délicatesse et sans voix off, le documentaire contribue à balayer les préjugés qui stigmatisent la « transidentité » et donne à voir le plus naturellement du monde comment une petite fille peut naître dans le corps d’un garçon, et qu’il n’y a rien à en dire si ce n’est à l’admettre et à aider les personnes qui connaissent cette expérience à l’assumer – ce qui est loin d’être aisé dans cette société. Filmé comme le combat d’une famille, ce documentaire apporte surtout la conviction que l’émancipation des personnes transgenres – comme de beaucoup d’autres – est liée à celle de l’humanité tout entière… mais déjà, aux combats courageux de nombreuses associations et individus.

Justine Bonnel


[1Anne Bargiacchi est spécialiste de la « dysphorie » de genre ou souffrance née de l’inadéquation, chez certaines personnes, entre ce qu’ils ressentent – être fille ou garçon – et ce que montre leur sexe biologique.

À noter par ailleurs que de vifs débats agitent les milieux militants féministes sur les questions d’identité transgenre. Des courants féministes, dont celui auquel appartient Christine Delphy, ne considèrent pas les personnes transgenres comme légitimes à s’exprimer – et à lutter – comme femmes, car elles n’auraient pas vécu la socialisation liée à ce genre depuis leur naissance. Une tribune publiée en début d’année a suscité la polémique. La grande majorité du milieu féministe militant s’est positionnée contre cette tribune et la stigmatisation des personnes transgenres qu’elle peut encourager. https://www.marianne.net/agora/trib...

Un autre article revient sur ce débat dans le milieu féministe : https://www.liberation.fr/checknews...

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