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Nature humaine, de Serge Joncour

4 décembre 2020 Article Culture

Nature humaine, de Serge Joncour

Flammarion, 21 euros


Nature humaine, sorti à la rentrée 2020, a obtenu un des prix littéraires de l’année : le Femina. Il s’agit une fresque sur les bouleversements de l’agriculture en France.

Ce sujet passionne Serge Joncour, écrivain français né en 1961 à Paris, mais dont la famille d’agriculteurs est originaire du Lot où il se rend fréquemment. Il a exercé plusieurs métiers très variés avant de se consacrer à l’écriture (maître-nageur, livreur de journaux, cuisinier, rédacteur publicitaire) et est l’auteur de douze romans, dont plusieurs ont eu des prix littéraires. Parmi ses ouvrages, L’Idole (2005) a été adapté au cinéma sous le titre Superstar ; L’amour sans le dire (2012), L’écrivain national (2014) et Chien-loup (2018) sont les plus connus.

Le roman se déroule sur vingt-cinq ans, de la sécheresse de l’été 1976 – c’est la première fois que la nature tape du poing sur la table –, jusqu’à 1999 – prémonition d’un dérèglement climatique. Une tempête (deux en fait à 24 heures d’intervalle, au nord puis au sud du pays) en guise d’apothéose, qui marque la désillusion de l’arrivée de l’an 2000, sans aucun changement positif.

Ces deux événements sont les bornes du roman, qui se déroule dans le Lot, belle région enclavée du sud-ouest, où le TGV ne passe toujours pas aujourd’hui, traversée par l’autoroute A20 depuis les années 2000 seulement. Les personnages sont les membres d’une famille d’agriculteurs, éleveurs de bovins, installés depuis trois générations au moins, et plus particulièrement le jeune Alexandre, élève au lycée agricole. Il est celui qui va reprendre l’exploitation, celui qui va rester quand ses trois sœurs ne rêvent que de partir, ce qu’elles vont faire. Alexandre, à l’envers de l’exode rural qui se poursuit dans ces années-là, ne veut pas vivre ailleurs que dans sa ferme. Et il va assister, témoin et acteur à la fois, aux profonds bouleversements du monde agricole de cette période charnière où des luttes politiques se mènent aussi dans la région.

C’est l’époque de la lutte du Larzac, qui, pendant dix ans, a réuni agriculteurs, hippies et militants de gauche et d’extrême gauche, contre l’extension d’un camp militaire. Lutte incarnée dans le roman par un vieux voisin, Crayssac, « fou » selon la famille d’Alexandre, qui refuse avec acharnement tout progrès (le téléphone) sur ses terres. Mais aussi le temps de la lutte contre la construction de la centrale nucléaire de Golfech, qui a mobilisé des gens d’un peu partout.

À l’occasion d’une visite à Toulouse chez sa sœur aînée, Alexandre rencontre des jeunes militants radicaux, qui n’hésitent pas à passer à l’acte contre EDF, et dans leur sillage, Constanze, une jeune allemande de l’Est pour qui il va se transformer pour un temps en complice d’actions violentes.

L’agriculture devient de plus en plus productiviste : les grands-parents abandonnent la culture du safran pas assez rentable, le père se lance dans les engrais chimiques (le glyphosate par exemple !), dans les contrats avec l’hypermarché local, ce qui donne lieu à des scènes savoureuses et édifiantes :

« Le père était inquiet, le nouveau directeur de l’hypermarché lui avait fait lire un rapport, un document plein de tableaux et de photos qui montrait que la chair des vaches élevées en plein air était d’un moins beau rouge que celle des vaches qui passaient leur vie sans bouger. Malgré l’éclairage bien pensé des grandes surfaces, une belle viande riche en pH était moins brillante qu’un morceau de vache amorphe, si bien que des bêtes de pleine nature comme les leurs, des bêtes vivant au grand air dans des vastes prairies, des bêtes avec du muscle bien persillé, eh bien elles produisaient une viande qui, une fois sous blister, offrait un rouge moins vendeur, plus sombre. Cette viande était pourtant cent fois meilleure mais, une fois en barquette sous les néons, elle se vendait moins bien. Et le père, ça le rendait fou. »

La crise de la vache folle éclate peu après… Quelques dates rythment le roman : celle de cette crise en fait partie, comme celle de Tchernobyl, dont comme chacun sait, le nuage radioactif fit demi-tour avant d’atteindre la France !

Petite et grande histoire se croisent, s’entremêlent et forment une lecture passionnante. Pour Serge Joncour, un roman est fait pour rassembler des choses du réel. C’est le monde vu à hauteur d’homme. Une lecture qui résonne particulièrement en ces temps de crise sanitaire, où les interrogations sur nos liens avec la nature dans un système où la course au profit ne cesse de la détruire, sont toujours plus forts.

Liliane Lafargue

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