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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 72, novembre-décembre 2010 > L’automne chaud de 2010

Les lycéens caennais à l’école de la lutte de classes

5 décembre 2010 Convergences Politique

Tour d’horizon régional

Les jeunes de Basse-Normandie sont depuis plusieurs années en pointe... au Pôle Emploi ; leur part dans le chômage régional est supérieure de 4 points à la moyenne nationale. Est-ce un hasard s’ils occupent la même position dans les luttes ? En tout cas, une majorité de lycées a été bloquée dès les 7-8 octobre, presque une semaine avant le gros du mouvement. Quant à l’université de Caen, elle a figuré parmi les pôles de la contestation, tant par l’assistance aux assemblées générales que par la durée du mouvement. Dans les deux cas, cela correspond à des habitudes ancrées depuis 2006 et la lutte contre le CPE.

Toutefois, le mouvement contre la réforme des retraites est resté, comme partout, un ton en-dessous des précédentes mobilisations. Au plus fort, l’assemblée générale de la fac a réuni 1 500 étudiants, et le plus souvent entre 300 et 800. Les manifestations lycéennes n’ont rassemblé dans de nombreuses villes (Coutances, Avranches, Argentan, Granville, Vire, etc.) qu’autour de 150 personnes, plus rarement 500 (Cherbourg), et au plus fort 2 000 à 3 000 à Caen, mais à une seule reprise. Il s’est donc agi d’un mouvement porté par des minorités actives qui n’ont manqué ni de courage ni de détermination, mais dont les initiatives se sont en permanence heurtées à une forme d’isolement.

Une préparation méticuleuse

Le 7 octobre, répondant à des rumeurs circulant notamment par des chaînes de SMS, six ou sept parmi les douze lycées publics de l’agglomération de Caen entraient en grève. Il y avait alors un mois qu’une vingtaine de lycéens, venant surtout du plus gros lycée de la ville, Malherbe, multipliaient les efforts pour construire la mobilisation.

Constatant le 7 septembre la quasi-absence de leurs camarades dans le cortège – et leur présence massive dans les cafés... –, ils ont commencé à se réunir, discuter des moyens de convaincre leurs camarades que la réforme les concernait eux aussi. Il en est sorti un tract, plus sommaire que ceux du collectif des organisations de jeunes (JC, MJS, Unef, NPA, etc.), mais sans doute plus efficace, en particulier parce qu’il avait été distribué seulement de l’intérieur, donc forcément par des lycéens eux-mêmes. Le noyau ne s’est pas contenté de l’afficher – dans les recoins fréquentés par les élèves mais pas les adultes, afin d’éviter l’arrachage –, il a été au contact des lycéens pour discuter.

Le jeudi 23 septembre, 160 élèves et quelques membres du personnel partaient en cortège du lycée pour rejoindre la manifestation. Résultat jugé encourageant car, grève des profs oblige, seuls 400 des 2 000 élèves étaient venus au lycée ce matin-là. Remontant le défilé, ils virent plusieurs milliers de salariés s’écarter pour leur faire une haie d’honneur et une ovation, sans doute démesurée, mais dont la signification était claire : on attendait leur renfort. On ne pouvait faire mieux pour les galvaniser. Le 7 octobre pourtant, la joie était largement mêlée de craintes. Le mouvement s’étendait certes, mais dans la confusion la plus totale, et systématiquement par le blocage des lycées. Or, le noyau militant avait jusque-là tout fait pour éviter ce moyen d’action, se jugeant insuffisamment organisé pour tenir dans la durée.

Face à la répression...

C’est qu’en face aussi on a appris des derniers mouvements lycéens ; le Rectorat a pris l’habitude de constituer une cellule de crise. Elle se tient constamment informée de la situation lycée par lycée. Elle presse les proviseurs d’user de tous les moyens pour obtenir le retour au calme. Résultat : intervention de la police pour dégager des barricades, renvoi d’internat (68 dans le même pensionnat pour des périodes de 1 à 14 nuits !), exclusion de cours, de voyage scolaire, lettres de menaces aux parents, sanctions disciplinaires et « avertissements », agressions verbales et physiques sur des élèves par des membres de l’administration.

Il a parfois suffi que des parents ou des profs aient réaffirmé les – maigres – droits des lycéens, contesté les sanctions pour que le proviseur matamore batte piteusement en retraite, car les irrégularités étaient nombreuses. À Malherbe, une manifestation de parents, profs et élèves imposait au conseil d’administration d’en discuter, et obtenait l’annulation des exclusions d’internat et des avertissements. Mais, bien souvent, les lycéens ont affronté seuls chantages et pressions. Leur lucidité et leur détermination ont souvent permis d’éviter le piège de la provocation.

… la nécessité de s’organiser

Une AG inter-lycée a vu le jour, mais elle s’est réunie de façon trop épisodique pour réellement organiser le mouvement. C’est au coup par coup, grâce au réseau de contacts téléphoniques et à Internet, que les actions ont été coordonnées. Aux manifs, avec ou sans les salariés grévistes, s’ajoutaient des actions de « sensibilisation ». Le « champ de morts » consiste à raconter au mégaphone la biographie imaginaire de chacun des manifestants allongés sur une place publique passante : l’un est mort au travail à 61 ans, l’autre dans la misère faute d’avoir assez cotisé, etc. Le « freeze » en est la variante adaptée aux grands magasins : dispersés dans les rayons, les manifestants se figent tous à une minute donnée. Aux consommateurs étonnés, le mégaphone opportunément sorti du sac donnera les explications.

Pendant ce temps, il fallait tenir le blocage. Or, la plupart des lycéens restaient chez eux dès qu’il était acquis. Le froid et l’ennui vidaient le piquet. Quelques fermetures administratives amplifiaient cette dynamique de lutte par procuration. C’est encore à Malherbe que l’organisation fut la plus poussée : des barbecues pour remplacer la cantine, un « village » de sept tentes – démontées tous les soirs et remontées le matin – pour remplacer le foyer, de la musique et des jeux de cartes... cela aide à maintenir entre trente et cent lycéens sur place. Tous les matins, une AG a fait le point des actions de la veille, celles à venir, auxquelles se joignaient des lycéens absents du piquet. La reconduction du blocage est votée une fois par semaine à bulletin secret, avec liste des votants afin d’éviter la fraude des opposants.

Le mouvement a duré deux semaines et demie jusqu’aux vacances. À la rentrée, une tentative de blocage a avorté. Mais les lycéens ne se sont pas sentis abattus. Certains ont continué de participer aux mobilisations des salariés. Et nombreux sont ceux que cette expérience a éveillés à la lutte… et à la politique !

M.P.

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