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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro spécial, décembre 2019 > Le soulèvement au Chili

Le poids du passé, les nouvelles tâches

10 décembre 2019 Convergences Monde

Le mythe national

La devise de la république du Chili, déclinée sur les monuments publics et les monnaies, est « Por la razón o por la fuerza  », par la raison ou par la force ; mais los rotos (‘les moins que rien’) savent que ce ne fut jamais la raison qui prévalu dans cette république des riches. Pourtant, alors que les inégalités sont patentes et l’intervention des masses éclatante, l’idée de lutte des classes n’est pas si partagée, tant pèse le poids du nationalisme.

Borné par le désert le plus aride au monde au nord, les froides terres australes au sud, enchâssé entre l’océan Pacifique et la barrière minérale de la cordillère des Andes, le Chili se vit comme une île. Cette configuration géographique a aidé la bourgeoisie chilienne à creuser la distance avec les autres peuples et nations voisines en formation, malgré la proximité d’une langue commune. Au-delà du récit national de l’indépendance, le Chili a été fait par le sang et les guerres (contre les Mapuche au sud pendant trois siècles, contre la Bolivie et le Pérou avec la conquête des zones de salpêtre et plus tard de cuivre dans le Nord). Cette expansion a consolidé la naissance d’une bourgeoisie insérée depuis toujours dans les grands cycles du marché mondial. Mais la greffe espagnole, bientôt suivie dans le dernier tiers du xixe siècle d’un peuplement européen du Nord, s’est faite sur la défaite des peuples originaires. En dépit de ce consensus national et catholique, restent le métissage et la part indienne du Chili. Rompre les liens avec la bourgeoisie, qu’incarne ce nationalisme ombrageux, est vital pour réaliser l’unité des travailleurs à l’intérieur du pays (en reconnaissant dans les faits cette identité plurinationale). Mais aussi au regard du prolétariat des autres nations de l’Amérique latine.

Ce nationalisme n’est pas seulement visible dans les matchs de football, il est inscrit largement dans la vie sociale du pays : la xénophobie à l’égard des Boliviens, Péruviens, Équatoriens et plus récemment Haïtiens l’atteste chaque jour. La perspective d’États-Unis socialistes d’Amérique nécessiterait des gestes forts de la part d’un mouvement des exploités du Chili : comme, par exemple, permettre à la Bolivie l’accès à l’océan Pacifique pour désenclaver ce pays dépecé avec la complicité active des puissances impérialistes. Et si à ce sujet on ajoute la question des droits des Mapuche, voilà la recette pour gâcher bien des repas de famille.

Le mythe républicain et démocratique

Il y a l’idéalisation par la droite, mais aussi par la gauche, du caractère républicain et démocratique du Chili, dont le coup d’État de 1973 n’aurait été qu’un accident. Pourtant le Chili a connu tous les régimes possibles. Ses Constitutions successives ont été bâties sur le déni des droits des peuples opprimés et par une guerre de classe violente menée par la bourgeoisie depuis sa naissance contre tous les exploités, quelles que fussent leurs origines. Exécutions sommaires, extermination systématique, massacres de grévistes comme celui de l’école Santa María de Iquique où furent massacrés en 1907 plus de 3 000 mineurs avec leurs épouses et enfants.

À ce mythe démocratique s’ajoute bien sûr la tragédie du gouvernement de l’Unité populaire (1970-1973). Soutenu par un gouvernement de coalition de la gauche et d’un secteur de la démocratie chrétienne, Allende avait prétendu trouver une voie pacifique vers le socialisme. Son programme social, pourtant modéré, a trouvé la bourgeoisie chilienne sur son chemin. Forte de son expérience sanglante passée, du contexte de guerre froide de lutte contre le communisme, de l’appui de sa presse, desdites classes moyennes et des conseils avisés du gouvernement américain, la fin brutale et sanglante était écrite. Au point que tous les témoins et militants savaient l’imminence d’un coup d’État. La gauche n’a pas misé sur la mobilisation des travailleurs mais sur les institutions, la légalité plutôt que les comités ouvriers (cordones industriales). Pour « éviter la guerre civile » il fallait… « désarmer les travailleurs », disaient bruyamment les socialistes et les communistes, avec les mots démocratie et légalité plein la bouche. Le résultat fut terrible. Au Chili mais aussi dans le reste de l’Amérique latine qui se couvrit de dictatures. C’est que les bourgeoisies du continent prennent la lutte des classes au sérieux : de 1973 à 1985 plus de 350 000 militants de gauche (ou supposés) furent assassinés du Rio Bravo à la Patagonie, dont plus de la moitié en Amérique centrale et plus de 30 000 en Argentine.

Ce qui se discute aujourd’hui parmi les militants révolutionnaires chiliens

Les illusions se sont payées très cher, par plus d’une génération. Le légalisme, le dialogue et le réformisme ne font plus recette. Reste à fixer les nouvelles tâches du profond soulèvement social et politique actuel.

Pour l’heure, l’aspiration à une authentique représentation démocratique de la population se cristallise derrière la revendication d’une assemblée constituante, semble-t-il assez largement partagée. En sachant que chacun met ce qu’il souhaite sous ce mot d’ordre flou. Les assemblées (cabildos) qui essaiment désormais dans le pays pourront-elles préfigurer de nouveaux contrepouvoirs populaires, jusqu’à se coordonner au niveau national en instaurant un authentique double pouvoir… et ses suites révolutionnaires ? Pour l’heure, on en est loin, bien sûr. Reste qu’il existe aujourd’hui de nombreux militants révolutionnaires, dont trotskistes, dont bon nombre n’ont d’ailleurs plus d’appartenance de groupe, mais qui disposent d’une grande expérience et ont pour la plupart tiré les leçons des années 1970. Là où ils sont, dans la chaleur de la lutte politique des travailleurs et de la jeunesse, il est sans doute à leur portée d’inspirer cette démocratie à la base. Resterait bien sûr à élaborer un programme politique révolutionnaire, avec comme fil rouge le contrôle par les travailleurs des épisodes politiques en cours.

Différentes générations militantes se côtoient et pourraient faire fusionner leurs expériences et offrir de véritables perspectives politiques révolutionnaires. Après tout, c’est aussi dans ces circonstances que peut se créer un parti révolutionnaire capable de se mettre à la tête d’un tel tsunami social.

T.K.

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