Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Les articles du site

La nuit du 12, film de Dominik Moll

10 août 2022 Article Culture

C’est l’histoire d’une affaire criminelle non élucidée. Les spectateurs en sont prévenus dès les premiers instants, en annonce, par le metteur en scène : l’intérêt du film ne réside pas dans un suspens et dénouement retentissant et libérateur.

Il paraît que chaque enquêteur est hanté par une affaire. Celle-ci est traumatisante à plus d’un titre : un assassinat par immolation d’une jeune femme de vingt-et-un ans dans un petit bourg de la Maurienne, dans les Alpes. Un homme (très probablement) a tué une femme. D’autres (des hommes en écrasante majorité encore) sont chargés de le retrouver : un monde d’hommes, en somme. On suit le capitaine de la Police Judiciaire locale et son équipe aux prises avec l’enquête et leurs consciences. Un féminicide sur un coup de sang, par jalousie, ils le conçoivent et le trouveraient presque normal, tant c’est dans l’ordre de cette société et du déjà vu, mais comment un individu peut-il être assez tordu pour planifier un assassinat de ce type, faire « cramer » une fille ?

Au fil d’une enquête comportant bien peu d’indices, les policiers s’immiscent dans la vie sentimentale de la victime. Déroulent le fil des relations que cette jeune fille « pas compliquée et joyeuse » a eues avec son entourage. Et si certains laissent entendre qu’elle l’aurait peut-être « un peu cherché », l’intervention magistrale de « Nanie », la meilleure amie de la victime, vient mettre les choses à leur place : « Le problème, c’est pas Clara. Moi je sais pourquoi elle s’est fait tuer. Elle s’est fait tuer parce que c’est une fille. » Cette conviction finit par s’imposer aussi au capitaine : tous les suspects, c’est-à-dire tous les hommes que la victime a fréquentés, pourraient être ses assassins. Fondamentalement, le problème n’est pas un homme mais « les hommes ».

Ces quelques lignes ne rendent probablement pas justice à la finesse du film : réaliste, factuel et qui ne donne pas de leçon. Dominik Moll emprunte avec succès à plusieurs grandes œuvres cinématographiques (Citizen Kane, l’Avventura, Twin Peaks saison 1…), un procédé narratif assez déstabilisant : d’emblée, le personnage principal disparaît et c’est son absence qui imprègne le reste des scènes. Ce qu’on perçoit de l’héroïne post-mortem est qu’elle irradiait un monde masculin bien terne – marqué par divers clichés de petits « machos », du côté des suspects comme de la gent policière.

Ce film n’est pas un film sur la Police Judiciaire, ni même réellement sur une enquête criminelle : il tente de s’attaquer au sexisme ordinaire par le prisme d’un événement extraordinaire, il brosse à quelques traits rapides ces relations sentimentales hommes/femmes marquées du sceau de préjugés d’une banalité affligeante mais pourtant meurtrière. Le film n’a pas la prétention d’offrir de perspectives. Il pointe les tares de ce monde d’hommes et laisse le spectateur à ses propres réflexions voire conclusions. Les interventions les plus marquantes, mais fugitives, sont celles de quelques personnages féminins (la meilleure amie de la victime, la nouvelle recrue de la PJ, voire la juge d’instruction qui voudrait que l’affaire ne soit pas enterrée). Reste que le personnage central est un « bon flic » – ce qui peut énerver car il en est de pires dont quelques exemplaires parmi ses collègues. Mais « bon flic » ou pas, il échoue à faire la lumière sur cette affaire qui reste donc non élucidée. « Cold case » ! Et pour cause, on touche à un problème de société bien profond et insaisissable.

Après « Harry, un ami qui vous veut du bien », sorti en août 2000, Dominik Moll semble se faire une spécialité de signer des anti-« feel-good movies » au cœur des vacances d’été. Gageons que comme pour « Harry », « La nuit du 12 » survivra par ses qualités à bien des saisons estivales.

Franck Rouvier

Mots-clés :

Imprimer Imprimer cet article

Mots-clés