Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Les articles du site > Réunion-débat du 18 avril 2021. La guerre d’Algérie et ses suites : non, on (...)

La gangrène et ses scories

Mis en ligne le 29 avril 2021 Article Politique

En juin 1959, un livre était publié par les Éditions de Minuit et immédiatement interdit, qui s’intitulait La Gangrène. C’étaient les déclarations de cinq détenus algériens, étudiants pour la plupart, qui affirmaient avoir été torturés dans les locaux de la DST, rue des Saussaies à Paris, entre le 2 et le 12 décembre 1958. Les autorités de l’époque le jugeaient « infâmant ». La réalité de la politique française surtout l’était.

Nous avons déjà parlé de la torture, de la censure, des rafles… S’il y a quelque chose à ajouter sur la deuxième partie de cette guerre d’Algérie menée par l’impérialisme français contre un peuple qui réclamait son indépendance, et qui s’ouvre avec l’arrivée de De Gaulle au pouvoir en 1958, c’est la crise politique ouverte pour la bourgeoisie française. Une crise gravissime qui voyait une partie de l’armée et de la police, c’est-à-dire de l’appareil d’État, dressée les armes à la main contre une autre. Ce n’est pas tous les jours. Et surtout, gravissime pour les classes populaires – car ce sont toujours elles qui trinquent, au bout du compte, quand elles se contentent de subir ou de choisir un des camps ennemis. C’est de cette époque vieille de soixante ans (et d’autres antérieures, car la France avait aussi connu le régime de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale), que nous restent des réflexes et habitudes de la police française – ce racisme d’État dont on parle aujourd’hui. C’est de cette époque aussi que nous restent (même si déjà elles préexistaient) de sales idées et pratiques de l’extrême droite, là encore dominées par la gangrène du racisme. Et bien sûr, police, extrême droite, racisme… les frontières sont mouvantes ! De récentes enquêtes sociologiques montrent que quelque 50 % des membres de la police voteraient en France pour Marine Le Pen.

L’extrême droite pour l’Algérie française

Il y a bien sûr le lien familial évident, incarné par la famille Le Pen. Le père et la fille sont fâchés, mais la fille a bel et bien hérité de son père : étudiant en droit, proche de l’Action française (un vieux courant de l’extrême droite royaliste), il s’engage dans la guerre coloniale en Indochine en 1954 dans un bataillon de parachutistes. En octobre 1956, il abandonne pour six mois son siège de député (il avait été élu sous l’étiquette de l’UDCA, Union des commerçants et artisans, un parti flirtant avec l’extrême droite), pour participer à l’opération des forces anglo-françaises sur Suez, puis filer direct vers l’Algérie pour participer à la bataille d’Alger sous les ordres de Massu. Ses propos en faveur de la torture sont connus, même s’il a toujours nié l’avoir pratiquée lui-même. Il continue à naviguer dans les milieux politiciens d’extrême droite avant de fonder le Front national en 1972, à l’instigation du groupe d’extrême droite Ordre nouveau. Notre propos n’est pas de détailler la carrière des Le Pen. Juste de rappeler que l’engagement en Indochine et surtout en Algérie, du côté bien sûr de l’Algérie française et dans l’armée française, est quasiment un acte fondateur. Et rien d’étonnant si aujourd’hui Marine Le Pen, à propos du rapport de Benjamin Stora, a tweeté sa hargne à l’égard des Algériens en ces termes :

« Les dirigeants algériens demandent des excuses pour le passé afin de masquer le présent : une économie en ruine, une jeunesse délaissée, un pays en voie de déclassement… Il est temps qu’ils regardent en face le résultat de 60 ans d’indépendance. »

Une extrême droite toujours nostalgique du temps béni des colonies

Parler des Le Pen permet de dérouler le fil… Mais il y a bien davantage de leçons à tirer sur ce qu’a été l’extrême droite en Algérie et les moyens qu’elle a utilisés entre 1955 et 1962.

L’OAS, ou Organisation de l’armée secrète – puisque ce sont ses attentats qui ont marqué de leur violence la fin de la guerre d’Algérie – est née tardivement, en 1961, après qu’une multitude d’individus, clans, groupes, milices, eurent fourbi leurs armes – armes à feu classiques, bombes et autres – et se soient aguerris, durant des années, contre les militants nationalistes algériens et ceux qui les soutenaient dans la population. Exécutions individuelles, massacres. La justification était d’opposer au « terrorisme » des nationalistes algériens leur « contre-terrorisme ». La violence illégale a été d’autant plus brutale qu’elle s’exerçait dans un vivier de petits-blancs partisans de l’Algérie française, mais surtout qu’elle se savait impunie du fait des complicités croissantes dans la police et l’armée, jusqu’à des niveaux élevés.

Au fur et à mesure que la situation s’est exacerbée sur le terrain, face à des gouvernements impuissants ou complices en métropole, l’état-major et les militants d’extrême droite ont agi et proliféré au sein des forces de police officielles et supplétives, et ont commencé à afficher des visées tout autres que la simple revendication de l’Algérie française. On a commencé à entendre revendiquer « l’armée au pouvoir ».

Le basculement avec le putsch du 13 mai 1958

Ce jour a été celui d’une immense manifestation en faveur de l’Algérie française à Alger, mais un peu plus que ça car le coup de force était préparé. Le gouvernement général est envahi, occupé, un comité de salut public créé. Complot dans le complot, le général Massu et ses paras arrivent. Et Massu, gaulliste à tout crin, fait acclamer le nom de De Gaulle, qui n’a plus vraiment dans ses projets de garder les colonies, mais seulement d’y négocier le maintien des intérêts des grands trusts français.

Vingt jours après, De Gaulle se fait investir de tous les pouvoirs par le Parlement et met un terme à la IVe République. Pour bientôt jeter les bases d’une Ve République, née sur des barricades. Mais pas des barricades de Gavroches ou de communards ! Des barricades d’« ultras ». Précisons que c’est le socialiste Guy Mollet qui est allé chercher De Gaulle à Colombey.

Avec l’arrivée de De Gaulle au pouvoir, la bourgeoisie française va chercher un règlement de l’affaire algérienne, et ce règlement ne pouvait être que l’indépendance. Mais pour la négocier au meilleur prix pour la France, il allait falloir encore quatre ans de guerre. Etait-ce possible d’aller vers l’indépendance, alors que De Gaulle avait été appelé au pouvoir sur un coup de force de partisans de l’Algérie française ? Ben oui… Guy Mollet avait été appelé au pouvoir par des partisans de la paix et avait intensifié la guerre. C’est connu qu’on ne peut pas trahir d’autres que les siens.

Les partisans de l’Algérie française avaient mis beaucoup d’espoirs en De Gaulle. Son voyage en Algérie en juin 1958 et son fameux « Je vous ai compris » et « Vive l’Algérie française » ont pu faire illusion… Mais la proclamation en 1959 du droit à l’autodétermination a levé les incertitudes. C’est sur les désillusions d’une grande partie du milieu pied-noir que l’OAS a émergé en 1961 comme l’organisation de ceux qui voulaient aller au bout du combat pour l’Algérie française. Ce millier d’individus, moitié civils moitié militaires, étaient à vrai dire un genre de supermarché de la racaille. Ils ont pourtant durement marqué la dernière année de la guerre d’Algérie, entre autres avec un putsch de généraux, en 1961, raté mais néanmoins notable car dirigé contre un général lui-même ! Puis avec une suite d’attentats terroristes, d’explosions de bombes au plastic et d’assassinats de personnalités politiques. Le but était de pratiquer une politique de terre brûlée et de terreur en Algérie, obligeant la presque totalité des Pieds-Noirs à s’exiler – la valise ou le cercueil, disait-on –, et de tenter ainsi de se constituer ultérieurement une base de recrutement pour l’extrême droite en France.

Des habitudes de violences policières qui viennent de loin

Comme il s’agit de mémoire, on va revenir sur les hauts faits de la police pendant la guerre d’Algérie, contre les 300 000 algériens vivant et travaillant en France – que l’État français appelait officiellement « Français musulmans d’Algérie ». C’est un dénommé Maurice Papon qui a pris la tête de la préfecture de police à Paris pour diriger la répression. Une longue carrière dans les institutions. Il a été sous-secrétaire d’État sous Léon Blum, puis sous-préfet en 1940, sous Pétain et le régime de Vichy. Puis secrétaire général de la préfecture de Gironde, notamment en charge des questions juives. Ce qui ne l’a pas empêché de garder sa place dans les services de la préfecture à la Libération, comme ce fut le cas de près de 40 % du corps préfectoral. Un curriculum déjà bien chargé, mais à partir de 1945, il préfère se spécialiser dans le maintien de l’ordre colonial. D’abord en Algérie comme préfet de Constantine de 1949 à 1951, puis au Maroc comme secrétaire général de la résidence. Bref, le maintien de l’ordre, et ce qu’il appelle l’« action anti subversive », ça le connait ! Il a fini PDG de Sud-Aviation, puis ministre du Budget de 1978 à 1981. Le Canard enchainé dévoile son rôle dans les déportations de Juifs pendant la guerre, et il est condamné à dix ans de prison mais n’y restera pas pour raisons de santé et mourra tranquillement chez lui.

C’est le 14 mai 1958, au lendemain du coup de force à Alger, que Papon prend sa place à la tête de la préfecture de Paris. Jusqu’à l’indépendance, sa volonté sera d’importer les méthodes du général Massu en France : pour lui, autrement dit, tout est permis !

Le massacre d’octobre 1961

L’évènement le plus tragique et indigne de cette période en France, c’est bien sûr le massacre par la police des manifestants du 17 octobre 1961. Dès 1958, un couvre-feu avait été mis en place pour contrôler la population algérienne. De 21 heures 30 à 6 heures du matin. Il n’est réellement appliqué qu’en 1961, contre quoi le FLN appelle à une manifestation pacifique. Un quart de la population algérienne allait sortir en masse dans les rues de Paris. Côté État et police, les consignes étaient claires : aucun Algérien ne devait être dans les rues. En quelques heures, 12 000 étaient arrêtés et amenés dans les lieux de rétention : Parc des expos, mais aussi Vincennes, l’hôpital Beaujon, ou encore le stade Coubertin. La répression du 17 octobre 1961 sortait du cadre du maintien de l’ordre. La police a fait des morts par balle, mais surtout des centaines de noyés dans la Seine, d’autres écrasés, d’autres encore étouffés sous des amas de corps. Violence inouïe partout ! On compte 200 morts et 400 disparus. À part quelques mots des hommes de gauche et une manifestation de 1200 personnes organisée par le PSU, cet évènement est resté trop longtemps oublié.

En fait, pendant des années, la politique de répression contre les Algériens a été quotidienne. Dès 1955, mais plus encore avec les pouvoirs spéciaux en 1956, les camps d’internement se sont multipliés : travailleurs arrêtés, parqués, soumis à des interrogatoires… Et pour ce faire, des services spéciaux de surveillance, relevant de la police ou de l’armée, mais toujours très spéciaux, ont été créés par Papon.

Cette histoire, celle de la police et de ses structures, le racisme avec lequel elle agissait, la chasse menée contre les Algériens et les structures créées au sein de la police ou dans son cercle restreint, elle n’est pas si vieille, elle n’a que soixante ans. Pour les plus jeunes, leurs parents étaient déjà nés, et pour les plus vieux, certains étaient gamins lors de ces évènements. Cette histoire est celle d’une police à laquelle nous avons encore affaire aujourd’hui… Pourquoi est-elle gangrenée par le racisme ? Gangrenée par l’extrême droite ? Pourquoi se sent-elle impunie ? Regardez du côté de la guerre d’Algérie ! Sans oublier que cette police garde la hargne d’avoir perdu une guerre !

Mots-clés :

Imprimer Imprimer cet article