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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 104, mars-avril 2016 > Loi travail, dégage !

Fac de Caen

La construction de la mobilisation

Lorsque le syndicat étudiant Unef appelle les autres organisations « de jeunes » à se réunir le mercredi 2 mars, la mobilisation a en fait déjà commencé. Parmi la petite cinquantaine de présents, il y a certes les militants de l’autre syndicat étudiant, Solidaires-syndicat de lutte (SL), ou ceux de différents partis de gauche et d’extrême gauche, y compris le Mouvement des jeunes socialistes. Mais on compte également une bonne dizaine d’étudiants sans affiliation. La discussion est rapide. Tout le monde partage, par-delà les mots employés, un même objectif minimum : le retrait de la loi Travail (il est d’emblée décidé de ne pas l’appeler loi El Khomri). Si la lutte prend de l’ampleur, elle s’attaquera aux problèmes auxquels la loi prétend répondre, comme le chômage et la précarité.

Préparatifs au 9 mars

Le Comité pour le retrait de la loi Travail, fondé ce soir-là, se met alors à préparer la manifestation du mercredi 9 mars, précédée d’une assemblée générale. Il faut tenir compte du carnaval, qui aura lieu la veille, et qui risque de laisser des chaises vides dans les amphis le 9. Des tracts, de l’affichage, des interventions en amphi… l’agitation commence à se voir. Une bonne partie des étudiants ne connaît pas vraiment la loi. Souvent, c’est la colère de leurs parents devant le poste de télé qui leur a fait comprendre que, cette fois-ci, l’attaque est vraiment grave. Une minorité défend la loi. Il s’agit de futurs cadres dans le commerce international, mais aussi de jeunes voués au parcours du galérien multipliant les petits boulots précaires avant de décrocher, peut-être, un CDI. Chez eux, la doxa des économistes libéraux selon laquelle il faut démolir les droits des travailleurs pour relancer l’économie constitue plus un vernis que des convictions. Dans les groupes de 3 ou 4, il est en toujours un pour dire aux autres : « Mais tu ne peux pas dire ça ! Ma mère, son patron a failli... ».

Le test attendu

Aussi le 9 mars constituait-il un test attendu. L’AG ne rassemble qu’un peu plus de 200 personnes. C’est loin du compte pour faire tomber la loi. Mais, de mémoire de militants, il y a la conscience qu’il faudra faire plus fort que le mouvement anti-CPE de 2006, que tout ne se passera pas comme il y a 10 ans. Tout en sachant qu’à l’époque la mobilisation avait démarré plus poussivement encore. Le débrayage des amphis ne donne pas de résultats extraordinaires. Et pour cause : bon nombre d’étudiants se sont réservés pour la manifestation.

Sous une pluie le plus souvent battante, les participants s’agrègent devant le parvis de la fac, une vaste esplanade qui surplombe la ville. Lorsque le cortège s’ébranle et descend la rue pentue qui mène au centre-ville, c’est comme si des centaines de manifestants étaient sortis de leurs cachettes. Ce n’est pas un millier, mais bien trois à quatre mille personnes qui battent le pavé. Un père de famille a emmené ses deux fils âgés de 17 ans. Des enseignants côtoient des retraités. Une section syndicale CFDT d’une petite boîte de la métallurgie défile, sans badge. « Et vos instances ? », demande une connaissance. « On les attend ! », répond le secrétaire… et visiblement de pied ferme. Certes, hormis les cheminots en grève, peu d’entreprises ont vraiment mobilisé. Mais, ici et là, on reconnaît des visages d’une grande usine d’automobile locale, ou d’un centre bancaire, des gens qu’on ne s’attendait pas à trouver dans la rue.

Quant aux lycéens, ils se retrouvent par grappes. Ils sont souvent une petite minorité à l’intérieur de leur bahut, déplorent le manque d’intérêt de leurs camarades… pour l’instant. Eux-mêmes aimeraient bien faire quelque chose, mais ne savent pas trop quoi. Bloquer le lycée, c’est risquer des sanctions, et puis certains qui en ont fait l’expérience craignent que seule une poignée tienne les barricades, alors que c’est l’ensemble des lycéens qui devraient manifester. Les étudiants sont eux aussi éparpillés dans tout le cortège. Le gros des forces est en tête de manifestation, où le cortège de l’AG s’est imposé sans trop de difficulté. L’Unef a déposé un trajet en préfecture, mais l’AG a décidé qu’on ne marcherait pas une demi-heure en ligne droite pour s’y rendre. Frictions. Le soir venu, on videra la querelle au Comité de lutte. Finalement, la préfecture est atteinte vers 16 h 30. On a marché bien plus vite que d’habitude. Les slogans n’étaient pas forcément repris par tous, mais on sentait de la colère, de l’énergie dans la voix de ceux qui les scandaient. Les cheminots grévistes avaient emmené les fumigènes et leur machine infernale, un baril sur roulettes dans lequel ils font détonner des amorces utilisées pour prévenir les travailleurs sur les voies du passage d’un train.

Le Comité de lutte

À la fac, la lutte ne s’est pas arrêtée. Deux journées de manifestations sont prévues le mardi 15 mars et le jeudi 17 mars. Le Comité de lutte s’étoffe peu à peu. Tous les jours, plusieurs dizaines d’étudiants se relaient pour tenir des tables à café permettant de collecter de l’argent tout en diffusant l’information. Une cantine à prix libre est en cours de préparation. Les affiches ne parlent plus que des prochaines mobilisations. Dans le milieu militant aussi on sent le changement. Sourires, poignées de main fraternelles, discussions plus chaleureuses qu’à l’accoutumée. Il se pourrait bien que le rapport de forces change, ainsi que le criait un manifestant à l’adresse des flics gardant la porte de la préfecture retranchés derrière des barrières métalliques : « Eh, les gars. Ce coup-ci, c’est vous qui êtes du mauvais côté de la barrière. C’est nous qui allons gagner ! ».

12 mars 2016, Mathieu PARANT

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