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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 68, mars-avril 2010

La bataille des retraites : une unité syndicale… pour négocier le recul

Après le relatif succès de la journée de manifestation du 23 mars, l’intersyndicale regroupant CGT, CFDT, FSU, Solidaires, UNSA et CFE-CGC s’est réunie le 30 mars (FO faisant bande à part), et s’est donné une « feuille de route » : ne plus appeler les travailleurs avant le traditionnel 1er mai, mais interpeller le président de la République, « autour du 20 avril », en lui présentant des propositions communes sur les retraites. Quelle audace !

Surtout qu’en guise de propositions communes, si l’on s’en tient au dénominateur commun des confédérations syndicales, elles risquent de se limiter à affirmer, comme le gouvernement, qu’une nouvelle réforme des retraites est indispensable mais qu’il n’est pas question qu’elle se fasse sans les consulter. Un recul, oui, mais négocié !

Comme lors de la réforme des retraites de 2003, c’est la CFDT qui est en pointe dans les propositions et, à vrai dire, la seule à en formuler de précises. Tellement en pointe qu’elle reproche au gouvernement de vouloir modifier seulement les « paramètres » du système de retraites actuel – l’âge légal de départ et le nombre d’annuités nécessaires – alors que c’est le système même qu’il faudrait bouleverser. C’est, de la part de Fillon, un « manque de courage politique », tonne Chérèque.

De l’audace de Chérèque…

La CFDT ose donc. Foin de l’âge minimal imposé de 60 ans, ou de la barrière infranchissable des 65 : il faut « l’extension des possibilités de choix des personnes », explique-t-elle dans son programme (élaboré pour le congrès confédéral de juin prochain). Foin du nombre d’annuités qu’on est bien obligé de rehausser d’une année sur l’autre en fonction de cette foutue longévité des Français : il faut « permettre à chaque salarié de construire sa retraite » comme bon lui semble et de la consommer quand il veut. Celui-ci toucherait alors un montant de pension calculé en fonction de ce qu’il aurait cotisé lui-même au cours de toute sa vie mais, bien sûr, réduit en fonction de l’âge de départ choisi et de l’espérance de vie à cet âge, comme n’importe quelle rente viagère. Ce qui, par la même occasion, balaie la revendication du retour au calcul de la retraite sur les dix meilleures années, au lieu des 25 meilleures instaurées en 1993, et en finit avec le calcul sur les six derniers mois pour les fonctionnaires : toutes les années de cotisations seront prises en compte pour le calcul de la retraite, y compris les pires.

Mais la CFDT n’est tout de même pas partisane de la retraite par capitalisation à la mode des banquiers, à la merci des fluctuations de la bourse. Sa capitalisation des cotisations versées par chacun ne serait que fictive, réévaluée au cours des années en fonction de l’inflation mais aussi d’autres critères économiques non précisés. Et elle ne serait qu’une base de calcul assurant « l’équité entre les salariés », explique la CFDT, puisque chacun en aurait pour son argent. Plus vous aurez galéré dans la vie, plus vous galérerez à la retraite, pire encore qu’aujourd’hui !

Quant aux pensions elles-mêmes, elles seraient toujours payées par les cotisations des actifs. Ce que les professionnels appellent un système de répartition « par points » ou « notionnels » dont l’actuel système suédois serait un modèle. Miracle ! Cela assurerait la « pérennité du système de retraites », puisqu’on ne verserait désormais pas plus aux retraités qu’il n’y aurait de rentrées de cotisations dans les caisses. Si le nombre de chômeurs augmente, les pensions seraient automatiquement évaluées à la baisse ou les cotisations des actifs à la hausse. Et gare à l’augmentation de l’espérance de vie : la durée de cotisations exigée pour une pleine retraite serait automatiquement révisée à la hausse.

On comprend que Fillon n’ait pas encore eu le courage de le proposer lui-même.

Certes la CFDT apporte à son projet quelques garde-fous, histoire de pouvoir tout accepter en prétendant avoir obtenu des avancées sociales : elle préconise un petit bonus pour les cotisations de ceux qui effectuent des travaux pénibles, notamment par la prise en compte, dans le calcul des pensions, d’une espérance de vie en dessous de la moyenne. Et elle revendique un « abondement de l’entreprise, pour l’ensemble des salariés quel que soit leur statut » aux plans d’épargne retraite que ceux-ci voudraient souscrire, cette fois par vraie capitalisation.

… au mutisme de Thibault

À côté, la CGT peut paraître presque gauchiste. Presque… car la revendications du retour aux 37,5 annuités de cotisation a disparu. Un « acquis »… du patronat ? La CGT se dit pour le maintien du droit à la retraite à 60 ans et de l’âge limite à 65, pour un taux de remplacement de 75 % calculé sur la base de 10 meilleures années et pas de retraite complète inférieure au Smic. Pour le financer, elle énumère des ressources : taxer les revenus non soumis à cotisations, comme l’intéressement, la participation ou les stock-options ; mettre en œuvre « une autre politique de l’emploi » (mais laquelle et en y contraignant comment le patronat ?), le chômage réduisant les rentrées des caisses de retraite ; revoir les exonérations de cotisations patronales (mais pas les supprimer), les moduler « en fonction des politiques d’emploi des entreprises » (mais toutes ces exonérations ne sont-elles pas présentées comme favorisant l’emploi ?).

La CGT y ajoute une revendication jusque-là avancée pour les seuls cadres par l’UGICT : la validation des années d’études (sans préciser si on demanderait pour cela aux étudiants de cotiser), question de compenser, pour ceux qui entrent tard dans la vie active, le prolongement de la durée de cotisation aux plus de 40 annuités de la loi Fillon de 2003.

Tout ce programme est vague et édulcoré. Certes, il pourrait sonner juste si on n’était pas trop regardants. Mais comment la CGT envisage-t-elle d’imposer de telles mesures ? Par une déclaration commune intersyndicale, avec la CFDT notamment, dont les confédérations bombarderaient Sarkozy ? Par une table ronde gouvernement-patronat-syndicats.?

Et pour mesure-clé de son projet de réforme, la CGT met en avant ce qu’elle appelle une « maison commune » des régimes de retraite. Voilà qui ressemble fort à un prétexte pour en finir, comme le désirent gouvernement et patronat, avec les régimes spéciaux en mettant sous un même toit tous les régimes de retraite, porte ouverte sur un alignement qui, dans les circonstances actuelles, a toutes les chances d’être vers le bas ? On se rappelle comment la CGT a elle-même bradé les retraites d’EDF en 2003, puis celle de la SNCF et de la RATP à l’automne 2007. Derrière tout cela, il y a la revendication d’une « nouvelle gouvernance » des caisses de retraites, dont les syndicats seraient les pilotes. Cela devrait, dit la CGT, restaurer la « confiance des salariés » en leur régime de retraite. À moins que cela ne donne charge aux syndicats d’en piloter à l’avenir les nouveaux reculs, dès lors qu’ils en auraient la gestion. Mais voilà la monnaie d’échange que le gouvernement pourrait accorder aux appareils syndicaux en retour de leur ralliement à la réforme des retraites qu’il compte imposer d’ici l’automne.

De l’argent pour financer les retraites, ce n’est pas ce qui manque

Les directions syndicales sont toutes prêtes à entrer dans le jeu d’une réforme des retraites prétendue indispensable, qui ne sera qu’une nouvelle aggravation. Pourtant de l’argent il y en a, si on le prend là où il est, dans les caisses du patronat. Et lorsqu’on nous serine que l’allongement de la durée de vie nécessiterait fatalement un recul de l’âge de la retraite, c’est en faisant l’impasse sur l’accroissement de la productivité qui fait qu’à durée de travail égale, on produit beaucoup plus de richesses aujourd’hui que dans les années 1960-1970. De quoi travailler moins pour vivre plus longtemps.

Alors ce n’est pas en se précipitant aux tables rondes avec le patronat, pour devancer ses désirs, comme le fait Chérèque, ou prétendre limiter des dégâts, comme Thibault ou Mailly, qu’on « sauvera les retraites ». C’est dans la rue.

Olivier BELIN

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