Adieu Mali, vive l’uranium du Niger ! C’est à cette formule que l’on pourrait résumer la décision prise par Macron de mettre fin à l’opération militaire Barkhane. À peine le président français l’a-t-il annoncé, jeudi 17 février, que la junte au pouvoir dans le pays depuis août 2020, a répliqué en demandant à la France de « retirer sans délai » ses troupes, « sous la supervision des autorités maliennes ». Mais non : Macron s’est donné entre quatre et six mois pour le faire, et dans ses anciennes colonies d’Afrique, les décrets de la France ont force de loi.
Car pour le gouvernement français, la question n’est pas de retirer ses troupes d’Afrique après le bilan désastreux de ces neuf ans de guerre (sous le nom de Serval en 2013, puis de Barkhane) : il s’agit de les redéployer, à effectif un peu plus réduit : direction le Niger, qui devrait prochainement devenir la troisième grande base militaire française dans la région, à côté de la Côte d’Ivoire et du Tchad, et donc à la place du Mali. Car l’« indépendance énergétique de la France », comme dit Macron pour promouvoir ses nouvelles centrales nucléaires, passe notamment par le pillage de l’uranium du Niger.
Les cocoricos de la classe politique française
Tous les politiciens français ont approuvé la décision de Macron. Mis à part le PS, Anne Hidalgo étant partisane de prolonger l’opération Barkhane et François Hollande clamant qu’il l’aurait arrêtée plus tôt, lui qui l’a déclenchée et l’a prolongée tout au long de son règne.
Marine Le Pen « ne supporterait pas que notre armée soit humiliée comme elle l’est », et clame qu’il faut « mettre fin à l’aide internationale à destination du Mali ». Doublée par Macron qui en est déjà, lui, aux sanctions économiques. Valérie Pécresse répète qu’avec le retrait du Mali « il ne faut pas quitter le Sahel ». Et Éric Jadot affirme qu’il faut « le repli de nos soldats sur d’autres pays ». Touchante unanimité.
À gauche, Fabien Roussel, le candidat du PCF, explique que l’affaire étant « mal engagée », il faut « se retirer de là […] de manière progressive ». Parce qu’il fallait s’y « engager » ? Juste un peu mieux ? Plus lyrique, Jean-Luc Mélenchon tient le pompon, pour qui « le retrait piteux du Mali me cuit ». Loin d’en conclure qu’il faut en finir avec les interventions militaires en Afrique, il voudrait seulement « refonder entièrement notre politique d’accords de défense en Afrique », car « il ne peut plus être question de se voir convoqué puis renvoyé comme nous l’avons été au Mali ».
Et voilà le mythe conforté par tous : l’armée française n’aurait couru au secours du Mali qu’à la demande de ces pauvres Maliens, et cet « accord de défense en Afrique » aurait mal tourné. Mais « défense » de quoi ? Si ce n’est des intérêts de Bolloré, Total ou Orano (ex-Areva) ?
La France cherche une autre façon de faire sa loi au Mali
L’échec de Barkhane au Mali n’est pas de ne pas avoir réussi à enrayer le terrorisme, prétexte officiel de l’opération. Il est de ne pas avoir empêché l’effondrement du régime corrompu d’Ibrahim Boubakar Keita (IBK), président ami de la France. À moins que ce soit seulement de ne pas lui avoir trouvé un remplaçant aussi docile. Car le régime d’IBK était usé. Et son renversement par les militaires, en août 2020, était en partie, de la part des militaires maliens, un contre-feu à l’explosion sociale, aux grèves de l’année 2019 et aux manifestations massives contre le régime du printemps 2020. Les militaires prenaient le devant de la scène, donnaient l’illusion d’un changement, avec le bénéfice d’une certaine popularité. Et toute l’opposition politicienne au régime se ralliait à eux.
Dans un premier temps le gouvernement français a tenté sa chance de faire des putschistes ses nouveaux vassaux en les amenant, par des pressions économiques, à composer avec lui. Ce qui s’est traduit par un compromis : la nomination par la junte militaire, en septembre 2020, d’un gouvernement de transition présidé par une vieille connaissance de la Françafrique, Bah N’Daw, ancien ministre de la Défense d’IBK qui avait signé en 2014 avec Le Drian l’accord de lancement de l’opération Barkhane. Jusqu’à ce que, forts de leur popularité, et de l’impopularité de la France, les militaires au pouvoir décident, en mai 2021, de se débarrasser de ce président de compromis et s’accordent trois ans de pouvoir sans partage. Avant de remettre officiellement celui-ci à un gouvernement civil, prétendent-ils.
Le retrait annoncé des troupes françaises du Mali ne veut pas dire que l’impérialisme français abandonne ses vues sur le contrôle futur du pays. Il s’agit de laisser l’armée malienne se débrouiller toute seule face aux groupes terroristes qui sévissent dans le pays, sans l’appui logistique et la surveillance aérienne de l’armée française, sans les petits contingents de ses alliés européens que la France avait embarqués à ses côtés, instructeurs pour l’armée malienne ou encadrant de la Minusma (troupes sous l’égide de l’ONU pour maintenir l’ordre au Mali).
Et, nouveau coup tordu classique de la France en Afrique pour se débarrasser des régimes qui lui déplaisent, il s’agit certainement de déstabiliser le régime du colonel Goïta en accroissant le chaos économique et la misère dans le pays par un nouveau boycott économique, organisé par les pays voisins sous l’égide de la Cédéao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et sur ordre de la France. Boycott commercial et blocage des frontières sont d’autant plus sévères que le Mali n’a pas de frontière maritime et que toutes les marchandises transitent par les ports de Dakar au Sénégal et d’Abidjan en Côte d’Ivoire.
Comme toujours, c’est la population qui paye : inflation galopante et pénuries, y compris sur les produits alimentaires les plus indispensables (même si officiellement ils ne seraient pas concernés par l’embargo). À cela s’ajoute la spéculation des grossistes qui stockent le riz pour le vendre plus cher demain. Les sanctions, c’est l’augmentation de la misère d’un côté, de la corruption de l’autre. Et le boycott financier menace y compris de bloquer les transferts d’argent envoyé à leurs familles au pays par les travailleurs maliens en France.
Le terrorisme, fruit de la misère et la guerre
Quant à la lutte contre le terrorisme, qui est présentée comme la raison officielle des interventions militaires françaises en Afrique, comme elle le fut pour justifier les vingt ans de guerre en Afghanistan (menée avec les USA), rappelons d’abord que le développement des groupes armés au Mali a été au départ une conséquence directe de la guerre menée en 2011 par les grandes puissances occidentales pour renverser le régime de Kadhafi en Libye et du chaos qui s’en est suivi jusqu’à aujourd’hui. Et c’est la misère qui fournit aux bandes armées ses recrues au nom d’Allah ou de telle ou telle rivalité communautaire cultivée par des potentats régionaux ou chefs de guerre. S’y ajoutent les multiples bavures de l’armée française, comme celles des troupes africaines qu’elle encadre et enrôle dans ses opérations de police (armée tchadienne ou forces dites du G5-Sahel).
Les officiers putschistes ne roulent que pour eux-mêmes
Comment s’étonner, dans ce cadre-là, de la popularité dont continuent à bénéficier les officiers putschistes : ils ont débarrassé les Maliens d’IBK, donnent le change en emprisonnant quelques corrompus notables de l’ancien régime, et aujourd’hui sont prêts à chasser l’armée française.
Quant à l’appel à des mercenaires de la société privée russe Wagner, en quoi ceux-là sembleraient pires que les instructeurs de l’armée française ? Au point que même parmi des travailleurs maliens en France on entend rappeler qu’après tout, au lendemain de l’indépendance du Mali, le président Modibo Keïta, frondeur face à l’ancienne puissance coloniale, avait fait appel à l’aide de l’URSS avant d’être renversé par le très francophile colonel Moussa Traoré. Souvenir de l’époque de leur père ou grand-père, totalement anachronique tant les rôles des grandes puissances (et entre autres de la Russie) ne sont plus les mêmes aujourd’hui. Mais tous ceux qui, ici en France, se scandalisent du rôle de cette milice Wagner, oublient volontiers l’utilisation des milices privées françaises, d’un Bob Denard aux Comores ou au Rwanda, de la milice privée embauchée il y a quelques années par Areva pour protéger ses mines d’uranium du Niger, ou des milices privées américaines utilisées pour les plus basses tâches en Irak.
Mais si l’aspect frondeur vis-à-vis de l’impérialisme des militaires au pouvoir au Mali les rendent populaires, ils ne roulent évidemment que pour eux-mêmes, leur dictature ne sera pas moins violente et corrompue que le régime pro-français d’IBK, dont ils étaient les officiers.
Hors d’Afrique, toutes les troupes françaises !
Si les militaires putschistes ont surfé sur le mécontentement populaire pour accaparer le pouvoir, c’est que l’Afrique bouge, y compris ces pays que la France voudrait garder sous sa coupe. Au Mali ces dernières années. Au Tchad aussi, dont la France voudrait faire son principal gendarme en Afrique, et où Macron est allé en personne, malgré les manifestations populaires, cautionner le coup d’État de Mahamat Idriss Déby, s’accaparant tous les pouvoirs au lendemain de la mort du dictateur précédent, son propre père. Au Sénégal où s’étaient multipliées ces dernières années les manifestations contre le franc CFA, cette monnaie imposée aux anciennes colonies françaises d’Afrique pour en contrôler l’économie, et où en mars 2021, après l’arrestation d’un opposant, de nombreuses manifestations ont eu lieu, sauvagement réprimées par la police, contre le président Maky Sall, ce même président qu’on interviewait dernièrement à la télévision française, justifiant les sanctions économiques de la Cédéao destinées à affamer le Mali. En Côte d’Ivoire où, en septembre 2021, les mineurs de la mine d’or de Hiré étaient en grève contre un plan de licenciement, et occupaient le site malgré les menaces de répression pour « grève illégale ».
Autant d’indices que si les travailleurs s’en mêlent, la France pourrait avoir davantage de fil à retordre qu’avec quelques militaires putschistes, et l’Afrique pourrait en finir avec le règne des dictatures et des bandes armées.
Quant à nous, ici, c’est le retrait immédiat des troupes françaises d’Afrique, la fin du pillage des richesses de ce continent et la libre circulation des travailleurs d’un continent à l’autre que nous devons défendre.
Olivier Belin
Mots-clés : Afrique | Impérialisme | Mali