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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 129, novembre 2019 > DOSSIER : France, Europe, États-Unis. Une même sale politique (...)

« Grand remplacement »… des chiffres

29 octobre 2019 Convergences Politique

Depuis quelques années, la théorie du « grand remplacement » (selon laquelle la population française et européenne serait remplacée par une population non européenne, originaire principalement d’Afrique) a été remise à la mode par l’extrême droite. Il s’agit d’un mythe très ancien, qui visait aux xixe et xxe siècles les juifs, les Italiens et les Arméniens, puis les Maghrébins après-guerre. Le terme de « grand remplacement » a été inventé par l’écrivain identitaire Renaud Camus en 2010, qui a repris ce vieux fantasme contre les immigrés d’origine africaine. Le raciste Éric Zemmour s’en fait depuis le promoteur, quitte à réinventer les chiffres : en 2014, il assurait tranquillement sur le plateau de France 2 « qu’il y avait cinq millions d’étrangers en France et que leurs enfants de moins de quatre ans représentent sept millions ». Sachant qu’il y a moins de trois millions d’enfants de moins de quatre ans en France, c’est évidemment absurde ! Mais plus le mensonge est gros, et plus on lui donne de temps d’antenne… Si le gouvernement de Macron ne parle pas de « grand remplacement », il n’hésite pas, lui aussi, à manipuler les chiffres pour distiller la xénophobie. Voici donc quelques vérités sur l’immigration en France.

  • La France est-elle en train de devenir le premier pays européen pour les demandeurs d’asile ?

C’est ce qu’a affirmé Macron, après une augmentation de 21 % du nombre de demandes d’asile en 2018, contre une baisse de 9 % dans l’Union européenne et de 17 % en Allemagne. Ce qu’il « oublie », c’est que l’Allemagne reste largement au-dessus avec 180 000 demandes, contre 120 000 en France. Et rapporté à la population, la France passe de la deuxième à la huitième place au sein de l’UE.

  • Combien d’immigrés et d’étrangers en France ?

Selon Eurostat, l’institut de statistiques européen, en 2018, sur les 512 millions d’habitants de l’Union européenne, près de 40 millions sont étrangers, soit 8 %. La France est sous la moyenne avec 7 % d’étrangers. Le nombre d’immigrés [1] est légèrement supérieur, du fait des naturalisations : ils représentent 9,7 % de la population en 2018, soit 6,5 millions de personnes [2].

Les racistes sont également obnubilés par le nombre de descendants d’immigrés, nés en France d’au moins un parent immigré. Il suffit de penser à la « famille entassée avec le père, trois ou quatre épouses et une vingtaine de gosses » de Chirac, à laquelle il ajoutait « le bruit et l’odeur ». En fait, les femmes immigrées ont en moyenne 2,75 enfants au cours de leur vie, soit moins d’un enfant de plus que les non-immigrées (à 1,88). Même les femmes originaires d’Afrique noire restent en dessous de trois enfants par femme en moyenne. Et cet écart disparaît pour les descendants d’immigrés. On compte 7,5 millions de descendants d’immigrés en France, soit 11,2 % de la population.

  • La France vit-elle « depuis trente ans une invasion », comme l’affirme Éric Zemmour ?

Il y a bien une augmentation de la part des immigrés en France, mais seulement depuis vingt ans et qui reste modérée. Durant les Trente Glorieuses, les patrons étaient allés chercher eux-mêmes des travailleurs en Italie, en Espagne, au Portugal ou au Maghreb : la part d’immigrés était passée de 5 % en 1946 à 7,4 % en 1975. Par la suite, cette proportion est restée très stable, jusqu’en 1999. Depuis, elle progresse et atteint 9,7 % en 2018, soit une hausse quasiment aussi forte que durant les Trente Glorieuses.

  • Qui immigre en France ?

Par rapport à l’immigration de travail des Trente Glorieuses, majoritairement masculine et peu diplômée, les immigrés d’aujourd’hui ont beaucoup changé. Il y a plus de femmes, qui représentent 52 % des immigrés en 2018, contre 44 % en 1975. Elles sont 54 % parmi les nouveaux arrivés en 2017. Il s’agissait au départ de femmes venues rejoindre leur conjoint, mais, depuis les années 1980, elles migrent de plus en plus souvent pour d’autres raisons, comme trouver un emploi en adéquation avec leur diplôme ou pour les études [3].

Les immigrés qui arrivent aujourd’hui sont plus diplômés : parmi ceux de 15 ans ou plus arrivés en France en 2017, 42 % sont diplômés du supérieur (45 % pour les femmes).

  • D’où viennent les immigrés ?

Depuis 40 ans, il y a une diversification des pays d’origine. L’Europe pèse moins aujourd’hui, avec 35 % des nouveaux entrants en 2017. La part des immigrés européens avait pourtant augmenté à la suite de la crise de 2008 (à 46 % en 2012). Les immigrés d’Afrique représentent désormais 37 % des nouveaux arrivants en 2017, avec notamment une progression des origines subsahariennes. Mais ce sont les origines asiatiques qui se sont le plus développées, avec 17 % des entrants en 2017 : en tête la Chine (3,2 %), la Syrie (2 %) et l’Afghanistan (1,5 %).

Si l’on trouve parmi les principaux pays d’origine quelques pays ayant connu des guerres, comme la Syrie, l’immigration ne vient pas majoritairement des pays les plus pauvres. Il ne s’agit donc pas d’accueillir la « misère du monde ». Si l’immigration originaire d’Afrique subsaharienne a augmenté, elle reste faible comparée à d’autres origines [4]. Pour venir en Europe, il faut pouvoir se payer le voyage, les passeurs et parfois les rançons (lorsqu’il faut traverser des pays comme la Libye où sévissent les bandes mafieuses avec l’assentiment à peine voilé des gouvernements européens). L’immigration en France concerne donc principalement des populations venues de pays intermédiaires.

  • Faut-il s’inquiéter de l’immigration ?

C’est là la vraie question. Le capitalisme a unifié les marchés, mondialisé l’économie, mais il n’y a jamais eu autant de frontières, de murs et de barbelés. Rien qu’en Europe, on compte 38 000 kilomètres de frontières intérieures, dont 72 % ont été tracées aux xxe et xxie siècles. L’Afrique et le Moyen-Orient ont été découpés à grands traits par les puissances impérialistes. Autant de pays, autant de « nations » et autant de divisions pour les travailleurs face aux capitalistes, notamment ceux des grandes puissances, qui pillent et exploitent à l’échelle de la planète. Pour se battre contre les exploiteurs, les travailleurs ont tout intérêt à accueillir les travailleurs immigrés comme des frères de classe, sans tomber dans le piège de ceux qui cherchent à diviser pour mieux exploiter.

Maurice Spirz


[1Selon la définition de l’Insee, les immigrés sont des personnes nées à l’étranger de nationalité étrangère (y compris celles devenues françaises ultérieurement), ce qui n’inclut ni les étrangers nés en France, ni les Français nés à l’étranger.

[2Source : Insee, https://www.insee.fr/fr/statistiques/3633212.

[3Source : Insee, https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281393.

[4Pour en savoir plus : François Héran, « L’Europe et le spectre des migrations subsahariennes », Population & Sociétés, septembre 2018.

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