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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 3, mai-juin 1999 > DOSSIER : L’offensive Jospin contre les retraites

Fonds de pension : les sirènes du capitalisme

Les dirigeants de droite ou de gauche qui accusent de tous les maux le système actuel de retraites par répartition, lui opposent triomphalement un système de retraites par capitalisation sous la forme de fonds de pension ou fonds d’épargne retraite.

Dans le système par répartition existant en France et dans la plupart des pays européens, les retraites des anciens sont payées par les cotisations de ceux qui travaillent, les actifs.

Dans le système par capitalisation qui tend à se généraliser dans de nombreux pays (USA, Chili, Pologne,...) les prélèvements sont effectués sur les revenus des salariés, exonérés d’impôts et gérés par des fonds d’entreprise ou d’activité. En pratique, dans les entreprises,des accords seraient signés entre patronat et syndicats pour la création d’un fonds de pension. En l’absence d’accord, le salarié aurait la possibilité de souscrire à un fonds de pension existant. Cette épargne mbligée des actifs est gérée, d’une manière ou d’une autre, par les banques et les assurances, placée en partie en Bourse et les versements auxquels s’ajoutent les intérêts des placements sont accumulés. Selon le schéma théorique, chaque individu retrouve à sa retraite le « fruit de son effort d’épargne ». La grande mystification de ce système est d’être avancé comme une réponse au prétendu problème démographique. Les actifs ne seraient plus assez nombreux pour financer dans les décennies à venir les pensions des retraités en nombre.

La capitalisation ne réglera pas le problème car les retraites versées chaque année sont en réalité de toutes les façons prélevées sur les richesses produites la même année.

La capitalisation, comment ça marche ?

Les chantres de la capitalisation nous prévoient des miracles dans 20 ans avec leur système. Voyons un peu plus précisément ce qui se passera en 2020, s’il est mis en pratique.

Cette année-là existeront des fonds accumulés depuis vingt ans sous forme d’actions placées en Bourse auxquelles s’ajouteront les versements faits cette année-là à ces mêmes fonds par les actifs du moment.

Les pensions des retraités seront payées au même moment par le fruit de la vente d’une part des actions détenues par les fonds de pensions. Tant qu’elles ne sont pas vendues, les actions ne sont que des morceaux de papiers. Il n’y a pas de miracle qui feraient que les retraites par capitalisation pourraient représenter une somme supérieure au montant des cotisations annuelles des salariés sur lesquelles sont aujourd’hui versées les retraites. Pour que le montant total du fonds de pension reste équilibré, il faudra bien qu’un fonds de pension reçoivent chaque année des versements des actifs et de l’autre vendent des titres pour verser les pensions. C’est le principe de la baignoire qui si elle se vide par en bas doit recevoir autant d’eau du robinet pour que l’eau à l’intérieur reste au même niveau. Dans le système de répartition, il n’y a pas de baignoire, c’est directement le « robinet » des cotisations qui « arrose » les retraités. Dans un système par capitalisation, on voit bien qu’il faut autant d’eau sortant du robinet, ou alors ce serait la « baignoire », c’est à dire le fonds de pension lui-même qui peut à peu perdrait de son volume.

De plus, pour être vendues cette année-là, il faudra bien que ces actions trouvent un acquéreur concret qui les achètent avec de l’argent du moment. Ce sont donc bien des richesses produites cette année-là qui permettront à certains d’acheter ces actions dont le produit de la vente servira à payer les pensions. Quant aux versements des actifs aux fonds de pension, ils seront une ponction sur les salaires versés la même année.

Donc, dans un système de répartition comme dans un système de capitalisation, c’est toujours bien une part des richesses produites en 2020 qui financera le système des retraites de l’année 2020 !

Un système qui contribue à aggraver l’exploitation

Les différences essentielles apparaissent vite lorsque l’on écoute les arguments des partisans de la capitalisation.

Selon eux, de meilleures retraites seraient versées grâce au rendement financier des fonds de pension. Aujourd’hui, les économistes américains chiffrent à 9 % le taux de rendement moyen des actions finançant les fonds de pension. Les fonds de pension « créeraient » donc de l’argent, ce que n’est pas capable de faire un système par répartition, dans lequel l’argent ne travaille pas. Et là, apparaît le pot aux roses. Les prévisions des mêmes spécialistes tablent sur une augmentation du PIB de 2 % par an. Comment les fonds de pension peuvent-ils gagner ainsi chaque année deux à trois fois plus ?

Tout simplement, parce que, comme les autres investisseurs capitalistes, ils ponctionnent la plus-value. Sur qui se fait cette ponction ? Evidemment pas sur les autres actionnaires, puisque eux aussi réaliseront le même profit financier. C’est donc évidemment sur la part des salaires que ce profit des fonds de pension se réalise ! Et nous voyons-là le rôle économique des fonds de pensions qui accentuent encore le taux d’exploitation des salariés, en demandant un rendement toujours plus important du capital investi. Autrement dit la fameuse création de richesses supplémentaires des fonds de pension n’est possible qu’en diminuant encore la part des salaires dans le PIB : là aussi les actifs paieront pour les retraités, en plus des placements obligatoires aux fonds de pensions !

Pour que les retraités qui ont eu des salaires suffisants pour souscrire aux fonds de pensions aient une retraite convenable, il faudrait en fait que les actifs gagnent encore moins !

C’est d’ailleurs bien ce qui se passe aujourd’hui, dans un contexte où depuis une quinzaine d’années les cours de la bourse augmentent plus vite dans les pays développés que la production des richesses. Les fonds de pension exercent chaque année une pression plus importante sur la part des salaires ( ce qui se traduit par un blocage des salaires, par des fermetures d’entreprises, etc...).

Il y a en outre un autre profit pour l’Etat et les patrons : une diminution de la part des cotisations vieillesses dans les richesses produites, donc une diminution de la masse salariale qui outre le salaire net comprend les cotisations (maladie, vieillesses,...) versées aux organismes sociaux.

Mais, de toutes les façons, tous les salariés n’auraient pas accès à ces fonds de pensions, présentées comme une poule aux oeufs d’or !

La capitalisation creuse les inégalités.

Le bilan pour les retraités des pays où les fonds de pension ont été mis en pratique est sans appel. Un gauchiste bien connu (Dominique Strauss-Kahn !) l’expliquait lui-même clairement... en 1982 :

« La capitalisation individuelle apparaît comme réservée à certains et la volonté de préparer sa retraite comme une motivation profonde qui aboutit à des inégalités de patrimoines beaucoup plus élevées que les inégalités de revenus... L’épargne apparaît comme une pièce maîtresse de la formation des inégalités » [1]

La situation aux USA est éloquente ( Les Etats-Unis, un exemple à suivre ?) : 57 % des anciens âgés de plus de 62 ans sont encore obligés de travailler, leur pension de retraite étant insuffisante pour vivre !

Les salariés sont logés pour les fonds de pension à la même enseigne que pour les Mutuelles ou les plans d’épargne entreprise. Précaires, salariés de petites boîtes, chômeurs en sont évidemment exclus. Comme tous les systèmes d’épargne organisés au niveau de l’entreprise, il creuse encore plus les inégalités entre cadres et non-cadres, précaires et salariés stables. Plus on a un salaire élevé, plus on peut souscrire : la retraite sera peut-être correcte, pour les autres ce sera la misère.

Ainsi le glissement vers les fonds de pension amènerait forcément à une crise accentuée de la couverture de la retraite par répartition. Malheur aux pauvres !

De plus, les fonds de pensions visent à renforcer, comme l’actionnariat salarié en général, la soumission des travailleurs à l’entreprise et au patronat.

En effet, les fonds de pension doivent résulter d’accords d’entreprise ou de branche entre patrons et syndicats, associés ensuite dans des accords de surveillance de ces fonds, la gestion financière étant accordée à des sociétés spécialisées comme les groupes d’assurance. Les patrons contribuent généralement aux fonds de pension par des « abondements », sommes versées au fonds de pension du salarié et exonérée d’impôts, ce qui permet au passage de justifier le blocage des salaires. De plus, la gestion de ces fonds est une nouvelle occasion pour l’intégration des syndicats aux « intérêts généraux » de l’entreprise et offre de nombreux sièges de bureaucrates...

Une nouvelle manne financière pour les capitalistes.

Evidemment, l’intérêt financier des fonds de pension est très important. Les grands groupes d’assurance, déjà servis par les mesures des gouvernements successifs en faveur de l’assurance vie, sont avides de pouvoir mettre la main sur une masse d’épargne très importante, en attendant de pouvoir gérer la Sécu...En détournant les cotisations du système de répartition vers la spéculation financière, les entreprises et les assurances récupèrent entre leurs mains des sommes colossales qui viennent grossir celles déjà actives dans le flot de la spéculation. Ainsi, aux USA l’actif financier des fonds est passé de 17 à 5000 milliards de dollars entre 1957 et 1997. L’exigence de rendement financier lorsqu’ils sont placés dans les entreprises avoisinent les 8 à 10 %. Ils sont donc un accélérateur redoutable de la course à la productivité, aux vagues de licenciement. La mise en place des fonds de pension a donc tout à voir avec l’intérêt du patronat d’émietter la conscience des travailleurs transformés en actionnaires, renvoyés isolés à chaque fonds de pension pour les revendications concernant leur retraite, et amenés à pester contre les grèves qui font baisser le rendement de leurs actions. Rendre complice de leur propre exploitation les salariés actionnaires de fonds de pension est la dernière invention perverse des capitalistes.

Sans compter que jamais n’est cité le risque des spéculations financières : rappelons nous la découverte après la mort du magnat de la presse Robert Maxwell qu’il avait perdu l’argent de ses salariés.

Il est primordial de déjouer l’offensive patronale et gouvernementale sur cette question en s’appuyant en particulier sur les expériences déjà en cours dans des pays comme les USA, le Chili, la Suisse...et qui sont loin de justifier l’enthousiasme des apôtres des fonds de pension.

Laurent CARASSO et Christian RIALTO

Petite bibliographie :

Les retraites au péril du libéralisme. Pierre Kalfa et Pierre-Yves Chanu (coord.) Editions Syllepse (50f).

Le Monde- Dossiers et Documents n°273 février 1999 -Retraites : inventaire avant réforme (18f)

Le Monde diplomatique -février 1999, p.4 et 5 (24f)


[11 Strauss Kahn et Kastler. L’Epargne et la retraite. L’avenir des retraites autofinancées. Economica.1982

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