Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Les articles du site

Face à la menace de dictature, la population de Hong Kong déconfine sa colère

8 juin 2020 Article Monde

(Photo : Manifestation du 16 juin 2019, https://commons.wikimedia.org)

Après plusieurs mois d’accalmie liée à l’épidémie de Covid-19, le mouvement de contestation de la mainmise de la Chine sur Hong Kong pourrait bien reprendre de plus belle. Dans cette cité-État de sept millions d’habitants ne vivent pas que des banquiers et des traders, mais tout une population d’employés prolétarisés et de jeunes, confinés dans des logements exigus, dont les loyers ne cessent d’augmenter. De quoi alimenter la colère sociale, l’inquiétude pour l’avenir, auxquelles s’ajoute la crainte bien fondée que la dictature au pouvoir en Chine continentale ne vienne restreindre le peu de libertés existantes. Ainsi, pour la première fois depuis 31 ans, les commémorations de la répression de Tiananmen ont été interdites ce 4 juin dernier, sous des prétextes sanitaires.

Nouvelle offensive du gouvernement chinois

Depuis le mois d’avril, le gouvernement chinois a repris l’offensive pour affirmer son contrôle total sur Hong Kong. Le Bureau de liaison avec la Chine a réaffirmé que, depuis sa rétrocession à la Chine en 1997, Hong Kong constitue une brèche dangereuse pour la sécurité nationale de la Chine. Il a mis en cause l’incapacité du parlement local de Hong Kong, paralysé par le conflit entre élus pro-pékin et élus pro-démocratie, à faire voter une loi interdisant « les actes de trahison, sécession, sédition et subversion sur le sol hongkongais », et menacé de faire voter cette loi directement par la Chine.

Cette menace a été mise à exécution jeudi 28 mai, lorsque le gouvernement chinois a fait voter par son « Assemblée nationale populaire » une loi sur la protection de la « sécurité nationale dans la région administrative spéciale de Hong Kong ». Par cette loi, la dictature de Xi Jinping affirme lutter contre les « séparatismes », la « subversion », les « actes terroristes » et « l’ingérence des forces étrangères ». Elle rend possible la présence d’une police politique chinoise à Hong Kong, qui pourrait arrêter toute personne accusée de mettre en cause la sécurité de l’État chinois, y compris pour de simples discours. Elle interdit les relations avec les organisations étrangères, ce qui criminalise tout lien avec les ONG présentes à Hong Kong, comme Amnesty international ou Greenpeace, et sans aucun doute avec le China Labour Bulletin, une ONG fondée en 1994 par des militants démocrates et des syndicalistes réfugiés à Hong Kong, qui recense toutes les grèves en Chine continentale, et défend les droits des travailleurs.

« Un pays, deux systèmes » ?

Cette loi remet en cause le statut particulier de Hong Kong, popularisé par l’expression : « un pays, deux systèmes ». Hong Kong est en effet une ancienne colonie britannique qui a été rétrocédée à la Chine en 1997, avec une période de transition de 50 ans, durant laquelle la République populaire de Chine s’engageait à maintenir le système économique et législatif en vigueur. Cette exception a été entérinée par la Loi fondamentale, issue des négociations entre la Chine et le Royaume-Uni. Finalisée en 1990, elle prévoyait que la population de Hong Kong garde son mode de vie, certaines libertés, et surtout, que le capitalisme continue d’y fonctionner à sa guise. L’exception hongkongaise était donc bien plus une concession de Pékin au Royaume-Uni (et aux États-Unis) qu’à la population de Hong Kong. C’était une contrepartie, en échange de l’obtention d’un ticket d’entrée au sein du capitalisme mondialisé, avec l’intégration de l’OMC comme première étape.

Trente ans plus tard, la Chine est pleinement intégrée au marché mondial, et si son économie subit actuellement un ralentissement, c’est au même titre que toutes les autres puissances, affectées par la crise du Covid-19. La question de Hong Kong lui pose en revanche un problème politique.

Dès la répression du mouvement démocratique de Tiananmen le 4 juin 1989, de nombreux militants démocrates chinois s’y sont réfugiés et depuis, chaque année à cette date se tient à Hong Kong une commémoration du massacre de Tiananmen qui rassemble des dizaines de milliers de participants, alors que toute évocation de la date même de Tiananmen est strictement interdite en Chine.

Deux décennies de mobilisations

Depuis des années, le pouvoir chinois a entrepris de resserrer l’étau sur Hong Kong, provoquant à chaque fois des réactions des habitants. En 2003, un projet de loi « anti-subversion », qui vise tous ceux qui critiquent la Chine continentale, fait descendre un demi-million de manifestants dans la rue. Le gouvernement local doit reculer. En 2012, face à la volonté du gouvernement de Pékin d’introduire des cours d’ « éducation patriotique » afin que les nouvelles génération soient dans de meilleures dispositions vis-à-vis du Parti communiste chinois, plus de 100 000 élèves ainsi que leurs parents manifestent pendant plusieurs semaines pour s’opposer à ce « lavage de cerveaux ». À nouveau, les autorités doivent reculer.

Devant ces mobilisations, le gouvernement chinois a décidé de revenir sur sa promesse de laisser à partir de 2017 le chef de l’exécutif à Hong Kong être élu au suffrage universel direct. Les candidats au poste de chef de l’exécutif doivent être au préalable sélectionnés puis entérinés par Pékin. C’est ce qui a provoqué le « mouvement des parapluies » en 2014, une mobilisation massive de 79 jours pour obtenir une véritable élection au suffrage universel. Alors qu’il n’y avait jamais eu ce type de mobilisation sous la domination britannique, où le gouverneur de Hong Kong était désigné par la monarchie britannique, l’aspiration au suffrage universel a soulevé les foules. Lancé par la Fédération des étudiants, un mouvement d’occupation du centre-ville a eu lieu durant les mois de septembre et octobre 2014. Il a affronté la violence de la police, d’où son nom de mouvement des parapluies, pour faire face aux gaz lacrymogènes. Ce mouvement n’a pas réussi à obtenir le suffrage universel, mais il a fait date, par sa résistance de masse à la répression, et par la politisation qu’il a entraîné chez la population de Hong Kong, jeunes et moins jeunes.

Depuis, Pékin continue à renforcer son contrôle. La répression politique s’est amplifiée : en 2015, cinq éditeurs hongkongais ont été enlevés par les autorités chinoises, pour avoir fait éditer des livres critiques envers le pouvoir. Il y a exactement un an, en présentant un projet de loi permettant de systématiser l’extradition de « suspects » vers la Chine continentale, Carrie Lam, cheffe de l’exécutif hongkongais, a déclenché le plus fort mouvement de l’histoire de Hong Kong. Des manifestations monstres ont alors eu lieu : plus d’un million de personnes le 9 juin 2019, deux millions le 16 juin, dans une ville de sept millions et demi d’habitants. Carrie Lam a dû annoncer la suspension du projet de loi et présenter ses excuses, sans réussir pour autant à calmer la contestation. Le mouvement a continué pendant des mois, jusqu’en décembre dernier, et ne s’est finalement étiolé qu’avec la crise du Covid-19, dont les autorités ont profité pour interdire toute manifestation, alors qu’il y aurait eu en tout et pour tout quatre décès liés à l’épidémie.

Un mouvement démocratique hétéroclite

La police de Hong Kong a mené en avril dernier une opération de grande envergure contre des figures pro-démocratie, arrêtant une quinzaine de personnes pour leur soutien ou leur participation aux immenses manifestations de l’an dernier, notamment le célèbre « Long Hair » (voir encadré).

Le mouvement de contestation de la mainmise de la Chine continentale sur Hong Kong est très divers. Il rassemble des militants pro-démocratie occidentale, dont certains peuvent être proches des milieux d’affaire, des militants syndicaux qui mettent en avant les droits dont les salariés devraient bénéficier, à Hong Kong comme en Chine, des jeunes, étudiants ou salariés, qui aspirent à davantage de liberté, et qui sont sensibles aux problèmes sociaux… Avec la flambée des loyers, il est en effet de plus en plus difficile de se loger et un habitant de Hong Kong sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté. De même, la revendication d’autonomie ou d’indépendance vis-à-vis de la Chine peut prendre différentes couleurs politiques, depuis la volonté de préserver certaines libertés, voire la préoccupation que la population chinoise y ait accès elle aussi, jusqu’au rejet de la Chine continentale et même jusqu’au racisme anti-chinois. Durant l’épidémie de Covid, si le personnel hospitalier s’est mis en grève, c’est pour réclamer la fermeture de la frontière avec la Chine…

Alors que les rassemblements de plus de huit personnes sont toujours interdits sous prétexte de lutte contre le Covid-19, des rassemblements de plusieurs centaines de personnes ont eu lieu dans des centres commerciaux les 26 avril et 10 mai derniers, marquant la reprise du mouvement. Le 24 mai, ce sont des milliers de personnes qui sont cette fois sorties dans les rues pour manifester, car les autorités chinoises venaient de déclarer que, si la loi sur la sécurité nationale de la Chine n’était pas votée par le parlement local de Hong Kong, elle serait votée directement en Chine. C’est justement ce qui a eu lieu le 28 mai dernier. Le 4 juin, jour anniversaire de la répression de Tiananmen, le parlement de Hong Kong a voté un texte criminalisant tout « outrage à l’hymne national chinois ». Le jour même, c’est en bravant l’interdiction que des manifestants sont entrés dans le parc Victoria au centre-ville et que dans tous les quartiers, des veillées ont eu lieu pour marquer le 31e anniversaire de Tiananmen. La contestation pourrait donc bien se relancer, alors que le pouvoir chinois tente l’épreuve de force.

Lydie Grimal


Long Hair

Cet activiste pro-démocratie, trotskiste dans sa jeunesse, porte toujours un tee-shirt à l’effigie de Che Guevara et jure qu’il ne se coupera pas les cheveux tant que le gouvernement de la République populaire de Chine ne présentera pas ses excuses pour la répression de Tiananmen. De 1975 à 1991, Long Hair, Leung Kwok-hung de son vrai nom, a fait partie de la Ligue révolutionnaire marxiste, section de la Quatrième internationale (Secrétariat unifié) à Hong Kong. Après sa dissolution en 1991, il fait partie d’April Firth Action, (littéralement « groupe d’action du 5 avril », d’après une première manifestation qui avait eu lieu le 5 avril 1976 sur la place Tiananmen), un mouvement qui estime que sans démocratie en Chine, la démocratie à Hong Kong est également impossible et participe aux actions menées par le camp pro-démocratie à Hong Kong. Long Hair fait actuellement partie de la LSD, League of Social Democrats, fondée en 2006 et c’est sous sa bannière qu’il a été élu au legCo, le parlement local en 2010 puis 2016, sur un programme de défense du suffrage universel et d’amélioration des conditions de vie des classes populaires, et de droits syndicaux pour les salariés. Il a depuis été démis de ses fonctions et plusieurs fois incarcéré.

Mots-clés : |

Imprimer Imprimer cet article