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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 137, mars 2021 > DOSSIER : Il y a 150 ans, la Commune

Il y a 150 ans : la Commune de Paris

Et gare à la revanche !

L’expérience de la Commune de Paris, c’est celle des exploités arrivés au pouvoir pour la première fois. Ceux qui ont refusé de se rendre dès septembre 1870, lorsque la capitulation de Napoléon III face à Bismarck [1], après la défaite de Sedan le 2 septembre 1870, semblait signer la fin de la guerre franco-prussienne. Une guerre que l’empereur avait sciemment provoquée, conscient de la fragilité de son régime. Ne pouvant plus, ni contenir la colère des travailleurs, ni contenter les possédants, il tenta de canaliser la haine contre un ennemi extérieur. Mais c’est bien contre le Second Empire que la République fut proclamée sous la pression des masses populaires envahissant le palais Bourbon dans la nuit du 3 au 4 septembre et espérant rallier toute la France à leur mouvement.

Ce sont les mêmes classes populaires qui s’indignèrent ensuite des conditions de la paix [2] négociées dans leur dos, alors même qu’elles auraient été les premières à en payer le prix. Face à cette intervention incessante des travailleurs dans les affaires qui les concernaient au premier chef, les bourgeoisies française et prussienne eurent tôt fait de mettre de côté leurs rivalités afin de désarmer les ouvriers parisiens. Le 18 mars, Thiers envoya l’armée reprendre les canons alors aux mains de la Garde nationale, et que le « peuple de Paris » considérait comme siens (ils avaient été acquis par souscription auprès des Parisiens). La Garde nationale était composée de 200 000 citoyens en armes répartis en vingt légions, une par arrondissement.

Les Parisiens eurent beau être pris par surprise et de nuit, cela n’empêcha pas les femmes des faubourgs de comprendre bien vite ce qui se passait et de faire barrage aux soldats. Bientôt, les gardes nationaux, alertés, se joignirent à elles, et les soldats de Thiers mirent crosse en l’air et se rallièrent. Cette fraternisation acheva de décider Thiers de mettre à exécution le plan qu’il avait en tête depuis les journées de juin 1848 : quitter Paris, y laisser se développer ce qui, dans son esprit, ne pouvait être que le chaos et revenir à la tête de l’armée pour massacrer cette « vile multitude » qu’il stigmatisait dans ses discours [3]. Les troupes restées fidèles à leurs supérieurs, les membres du gouvernement présents à Paris et les réactionnaires s’enfuirent donc à Versailles, dans un désordre tenant de la débâcle. C’est ainsi que Paris tomba, le 18 mars, entre les mains du peuple en armes – au sein duquel le prolétariat joua un rôle majeur. Mis devant le fait accompli de la disparition du pouvoir et de toutes les administrations, le peuple de Paris s’efforça de tout reconstruire, mais sans le décorum bourgeois qui ne sert qu’à couvrir les malversations des uns et les « calculs égoïstes » des autres… Tout ce qui a été construit ou reconstruit l’a été dans l’intérêt général. Le peuple de Paris voulait la « République sociale » et a bâti le « monde de demain » ! Il s’empara du pouvoir et instaura « la Commune » du 28 mars au 28 mai 1871– réminiscence de la Commune de Paris, gouvernement révolutionnaire de Paris de 1789 à 1795, devenue surtout Commune insurrectionnelle de Paris en 1792.

Ce fut une expérience malheureusement très courte et elle resta limitée à Paris. D’autres villes ont proclamé la Commune, mais elles n’ont pas pu se lier à la capitale et ont été rapidement écrasées. Mais, malgré sa brièveté, cette expérience est précieuse car, en tant que première forme de gouvernement prolétarien, elle s’est efforcée de réaliser les aspirations des révolutions précédentes, comme la Commune insurrectionnelle de Paris des sans-culottes de 1792-1793, ou celles des insurgés de juin 1848.

La majorité de ceux qui ont participé à l’œuvre de la Commune étaient des ouvriers ou bien des militants reconnus de la classe ouvrière. Tous se sont efforcés d’organiser la vie d’une façon qui obéissait à l’intérêt général, réquisitionnant ici ce qui était nécessaire, libérant là les orphelines exploitées par de sordides congrégations religieuses [4], se préoccupant des conditions de travail des ouvriers et des ouvrières, recherchant les conditions d’une éducation pour tous les enfants.

Mais, en voulant organiser la société selon l’intérêt du plus grand nombre, selon les intérêts du « peuple », la Commune a exclu la domination de la bourgeoisie et a érigé de facto le prolétariat en classe dominante. Elle a remis entre les mains de ses membres élus, révocables à tout moment et rémunérés à salaire d’ouvrier, tous les pouvoirs détenus par des représentants de la bourgeoisie, bourgeois eux-mêmes. Elle a remplacé l’armée permanente par le peuple en armes au sein de la Garde nationale. Mais aussi en se dotant de corps représentatifs alliant pouvoirs exécutif et législatif, loin des débats creux des parlements bourgeois.

Les pouvoirs militaire et administratif n’étaient plus les pouvoirs spéciaux d’une minorité de la population, puisqu’ils étaient exercés par la majorité de celle-ci via des représentants responsables devant elle. Ces représentants n’étaient plus dès lors que de simples agents de contrôle au service de la société, dont les tâches pouvaient être exécutées par tous. Et plus le pouvoir d’État est exercé par la majorité, moins l’État, en tant que corps séparé du reste de la société, devient nécessaire. C’est en cela que « La Commune était essentiellement le gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte entre la classe qui produit et celle qui exploite, la forme politique enfin découverte grâce à laquelle on arrivera à l’émancipation du travail » [5]. Celle-ci allant nécessairement de pair avec l’élévation de la conscience des travailleurs prenant en main leurs propres affaires.

Les décrets de la Commune allaient directement dans le sens de cet éveil populaire. Notamment en instaurant la séparation de l’État et de l’Église dont les biens furent confisqués, devenant propriété nationale. L’instruction, libérée de la tutelle religieuse, fut également ouverte gratuitement à tous et toutes. Tout cela dans l’ébullition ambiante, celle des masses révolutionnaires investissant tous les pans de la société.

« Toutes ces mesures montraient assez clairement que la Commune s’avérait un danger mortel pour le vieux monde fondé sur l’asservissement et l’exploitation. Aussi la société bourgeoise ne put-elle dormir tranquille tant que le drapeau rouge du prolétariat flotta sur l’Hôtel de Ville de Paris. » [6] À partir de mai, Bismarck offrit de libérer les prisonniers des armées bonapartistes pour les joindre aux forces réactionnaires versaillaises. Du 21 au 28 mai l’armée de Thiers, sous les ordres du général Galliffet, attaqua Paris. Les Communards se défendirent pied à pied, tout particulièrement dans les quartiers ouvriers où le combat ne cessa que lorsque chaque arrondissement fut pris de force. Ce fut la Semaine sanglante, avec une répression d’une violence inouïe : le nombre de 20 000 à 30 000 Parisiens tués a été avancé à l’époque [7], les troupes de Versailles exécutant sommairement dans les rues femmes, enfants, vieillards… Thiers vengeait la bourgeoisie de la peur suscitée par « la vile multitude ». Barbarie d’une bourgeoisie qui se sait menacée. « On traque, on enchaîne, on fusille tout ce qu’on ramasse, au hasard », dit une chanson commémorant la Semaine sanglante. Après la boucherie, ce fut la traque de tous ceux ayant joué un rôle dans la Commune, les procès, les condamnations à mort, la déportation dans des conditions sanitaires effroyables à des années de bagne dans les mouroirs des prisons calédoniennes.

La haine a été à la hauteur de la peur. Haine dont les intellectuels de l’époque se sont fait les porte-parole. Citons ici Émile Zola à propos de la Semaine sanglante : « Le bain de sang que [le peuple de Paris] vient de prendre était peut-être d’une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres. Vous le verrez maintenant grandir en sagesse et en splendeur.  » Ou, plus abjecte encore, cette phrase qu’Alexandre Dumas fils écrivit dans Le Figaro : « Nous ne dirons rien de leurs femelles par respect pour les femmes à qui elles ressemblent – quand elles sont mortes. »

Le temps a passé, la haine des nantis pour la « vile multitude » demeure. Qu’on songe aux insultes grossières et à la calomnie utilisées contre les Gilets jaunes qui ont fait trembler Macron. Le même Macron qui, parlant de Versailles, précisa : « Versailles, c’est là où la République s’était retranchée quand elle était menacée. » Macron solidaire, à travers les ans, de Thiers et son compère Galliffet !

Mais l’espoir que la Commune a fait naître n’est pas mort. Comme tout ce qui est intolérable, le monde bourgeois finira par ne plus être toléré. Les Communards ont tenté de bâtir « le monde d’après ». L’aspiration est toujours là. L’anniversaire de la Commune, est l’occasion de s’imprégner de leur expérience, de tirer les leçons de ce qu’ils ont fait, les grandes choses comme les erreurs. C’est le meilleur hommage que l’on puisse rendre aux Communards, ces prolétaires « montant à l’assaut du ciel » [8].

Lou Pavaro


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[1Ministre-président du royaume de Prusse de 1862 à 1890.

[2Rendus publics avec l’armistice le 28 janvier 1871.

[3Discours à l’Assemblée du 24 mai 1850.

[5Karl Marx, La Guerre civile en France, 1871.

[6Lénine, À la mémoire de la Commune, 1911.

[7L’historien Jacques Rougerie l’estime à plus de 10 000 : « au minimum 10 000, probablement 20 000, davantage peut-être. » (La Commune de 1871, PUF, 2009).

[8Karl Marx, Lettres à Ludwig Kugelmann

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