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Accueil > Les articles du site > Il y a 100 ans, le congrès de Tours : la naissance du Parti communiste

Devenir révolutionnaire : la nécessaire transformation de la social-démocratie en parti communiste

Mis en ligne le 19 janvier 2021 Article Politique

Au congrès de Tours, le Parti socialiste, en devenant section française de l’Internationale communiste (SFIC), a proclamé sa radicalité et sa rupture avec le réformisme. Mais transformer concrètement ce parti sorti de l’appareil du vieux parti social-démocrate, en changer les modes d’organisation pour en faire un instrument de lutte, pas seulement cette machine électorale qui était la routine des dirigeants issus de la SFIO, n’allait pas se faire en un jour, même si les périodes révolutionnaires sont un accélérateur de l’histoire. D’autant que, si la base regardait vers le communisme, une grande partie des dirigeants étaient issus de la vieille SFIO, avec leurs mœurs et leur mode de travail, quand ils ne s’étaient pas ralliés à l’Internationale que pour ne pas perdre leur base sociale [1].

L’abandon des pratiques parlementaires réformistes

Dans le Parti socialiste, les députés formaient une fraction autonome, discutant entre eux de la politique à mener, votant en leur âme et conscience, indépendamment de l’activité militante à la base. Les socialistes issus du courant jaurésien théorisaient même l’indépendance des élus, redevables devant leurs seuls électeurs et n’ayant pas de comptes à rendre à la direction du parti. Avec l’hémicycle pour horizon, les députés en sont venus à préférer aux perspectives révolutionnaires l’obtention de réformes compatibles avec la société capitaliste. Pour éviter une telle dérive, l’IC pousse la direction du parti à reléguer l’activité parlementaire au second plan, tout en exerçant sur elle un contrôle strict. Ce n’est pas sans raison qu’une majorité des élus socialistes, dont cinquante députés sur soixante-huit, ont préféré rejoindre la SFIO de Blum et Longuet.

Il ne s’agit cependant pas de rejeter la participation électorale, comme ont pu le vouloir certains courants communistes. La haine justifiée de nombreux militants envers le parlementarisme et la participation gouvernementale de 1914 ne doit pas empêcher le parti d’utiliser les élections comme une tribune pour promouvoir les idées révolutionnaires auprès des masses qui gardent des illusions démocratiques. L’activité électorale se veut être un point d’appui pour la propagande du parti, les discours des députés pouvant être distribués en brochures, mais à condition de subordonner cette activité aux luttes extra-parlementaires.

Un effort nécessaire d’implantation dans la classe ouvrière

La discipline interne qui se met en place dans le parti s’allie d’une attention particulière mise sur les militants ouvriers. Malgré les luttes sociales d’après-guerre, le parti est composé en grande partie de militants issus de la petite-bourgeoisie : instituteurs, étudiants et paysans révoltés par la guerre. Quant à la direction du parti, telle qu’elle est issue du congrès de Tours, elle reflète encore plus ce qu’était l’ancien appareil : il y a seulement quatre ouvriers et trois employés parmi les trente-deux membres du comité directeur.

Le problème se pose de renforcer la composante ouvrière du parti, qui compte quelques bastions en Seine-Saint-Denis et dans le Cher, mais encore insuffisants. Il s’agit y compris de changer la représentation du parti au sommet en promouvant des ouvriers aux postes de direction et d’élus. L’IC recommande de ne pas « craindre d’avoir à remplacer, surtout au début, des militants expérimentés, par des travailleurs sortis du rang ». Lors de son IVe congrès mondial, l’IC impose même que les listes électorales soient composées à 90 % de candidats ouvriers. Objectif ambitieux auquel le parti s’efforce de répondre, bien qu’il ne parvienne à présenter qu’une moitié d’ouvriers lors des législatives de 1924.

Pour gagner des militants dans les entreprises, l’IC pousse à la formation de noyaux communistes dans les syndicats et à tisser des liens de confiance avec les syndicalistes révolutionnaires non encore gagnés au parti. Pour cela, le parti doit devenir un parti d’action. Le mot d’ordre du IIIe congrès de l’IC, en juin-juillet 1921, est « Aux masses ! ». Il faut mettre l’accent sur les revendications vitales et immédiates des travailleurs, les entraîner dans la lutte sur ces revendications, tout en expliquant que les acquis ne seront définitifs qu’avec la dictature du prolétariat. Il s’agit de montrer l’utilité du parti face au patronat et de rassembler autour de son programme de larges couches du prolétariat. Les expériences révolutionnaires russes, italiennes et allemandes ont montré le rôle primordial des grèves de masse dans la lutte politique. Les communistes doivent regrouper des ouvriers autour d’eux, au cœur de la machine productive capitaliste.

La direction du jeune PC reste cependant timorée, réticente à intervenir dans une CGT où les anarchistes et certains syndicalistes révolutionnaires rejettent encore toute ingérence, voire toute politique commune avec le parti (dans la ligne anarcho-syndicaliste de la charte d’Amiens de 1906 prônant « l’indépendance » de la CGT). Il ne s’agit pourtant pas de contester l’autonomie du syndicat, dont le rôle est d’organiser les travailleurs bien plus largement que le parti, mais d’agir dans le syndicat en tant que communistes disciplinés. Le PC rate ainsi des occasions de prendre la tête de luttes ouvrières, comme lors de la grève du Havre en 1922. Il faut attendre l’arrivée d’ouvriers au sein des instances dirigeantes et le départ d’anciennes figures de la SFIO comme Frossard pour organiser vraiment de tels noyaux et les généraliser. Progressivement, les militants orientent leur activité directement vers les entreprises et le parti prend réellement la tâche d’organiser les travailleurs. L’adoption du modèle des cellules d’entreprise comme base organique du parti lors du Ve congrès de l’IC, en 1924, parachève cette tendance. Elles remplacent les comités organisés sur une base géographique, dédiés plutôt à la propagande électorale, en réunissant les travailleurs d’une même entreprise pour prévoir, organiser et discuter du recrutement et des luttes en son sein (bien que leur mise en place de manière brutale soulève quelques critiques de la part des opposants à la stalinisation – qui commence en cette deuxième moitié des années 1920 –, certaines activités existantes s’en trouvant désorganisées).

Les efforts de recrutement et de formation de militants et dirigeants ouvriers ont porté leurs fruits. À la fin des années 1920, la configuration sociale du parti est fortement modifiée. Le PC devient un véritable parti ouvrier, dirigé par des militants issus du monde ouvrier, à l’exemple de Thorez, Doriot, Frachon, Duclos, Tillon, Marrane ou Desrumaux.

Mais en 1924 la période révolutionnaire ouverte en Europe par la révolution russe s’est déjà refermée (son dernier soubresaut a été la révolution allemande manquée de 1923) et le début de la montée en URSS de la bureaucratie stalinienne. Le stalinisme, éliminant toute opposition de gauche dans la IIIe Internationale, trouvera aisément dans les anciens cadres de la SFIO qui n’avaient rejoint que du bout des doigts en 1920 le camp de l’adhésion à l’IC, dont Marcel Cachin est le plus parfait modèle, mais aussi dans quelques nouveaux venus au PC, militants ouvriers admirés très tôt dans l’appareil, dont Maurice Thorez est l’archétype, des cadres tous prêts à la stalinisation du parti.

Étienne Gosselin

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