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Sur la politique de traçage des malades par le gouvernement

Dépistage de la maladie ou pistage des malades ?

7 juin 2020 Article Sciences

« Tracer, tester, isoler. » Cette devise semble tout droit sortie d’un roman comme 1984, et pourtant c’est bien celle que le gouvernement a choisie pour illustrer sa politique post-confinement, et qui en dit long sur les priorités du moment de Macron et Philippe. Ouvertement inspirée des mesures mises en place dans les pays du Sud-Est asiatique comme la Corée du Sud et Singapour, ne s’agirait-il pas plutôt de « traquer » les malades, que de les « tracer » ?

La « guerre » continue, mais la cible a changé…

Avec le déconfinement, le gouvernement a décidé de mettre en place des « brigades sanitaires », reprenant le vocabulaire martial de Macron. Concrètement, dès qu’un patient présentera des symptômes de la maladie et sera pris en charge par les services de santé, une « brigade sanitaire » devra tenter d’identifier quelles personnes ont pu être en contact avec elle, leur faire passer un test de dépistage et les isoler si ce dernier se révélait positif [1].

À l’heure actuelle, ce sont principalement les travailleurs de l’Assurance maladie qui sont chargés de cette mission. Sous l’égide de la préfecture, ils opèrent dans des centres d’appels et réalisent leur « enquête » de manière téléphonique, en tentant de convaincre les personnes suspectes de se présenter à un centre de dépistage. Mais la loi prévoit également que des membres de ces brigades puissent se déplacer jusqu’au domicile de la personne concernée pour lui faire passer le test de dépistage. La question ne se limite donc pas aux données de santé, puisque même l’adresse d’un « cas contact » pourra être révélée à un certain nombre de personnes.

La mise en place des brigades et de l’application StopCovid (voir notre article StopCovid : une pierre de plus à la prison numérique) pose un certain nombre de problèmes sur le plan de la confidentialité des données médicales et du respect de la vie privée [2]. Mais plus généralement, ces « brigades sanitaires » de Macron sont emblématiques d’une conception de la santé publique vue comme un outil de plus au service du contrôle social autoritaire de la population, et dont les contrôles policiers musclés sous couvert de sécurité sanitaire sont un parfait témoignage. Une politique qui n’est pas l’apanage de la France, tant s’en faut.

La Corée du Sud, un précédent évocateur

L’exemple de la Corée du Sud est sur toutes les lèvres quand on évoque les stratégies de dépistage de la maladie et l’efficacité des mesures d’isolement des personnes malades et des « cas contacts ». Il faut bien avouer qu’avec un taux de mortalité due au Covid-19 qui fait pâlir de jalousie bien des dirigeants des grandes puissances capitalistes, on ne manque pas de trouver sur les plateaux-télés ou les réseaux sociaux des voix pour vanter l’efficacité du modèle sud-coréen. Pourtant, quand on y regarde de plus près, la situation est moins rose qu’on ne veut bien le faire croire.

Certes, la Corée du Sud a su éviter de recourir au confinement total de sa population, au contraire des principaux pays occidentaux, qui ont ainsi montré l’impréparation des systèmes de santé devant une pandémie qui pointait son nez depuis quelque temps déjà. Mais il s’agissait forcément d’une mesure à court terme et temporaire pour les capitalistes qui voyaient avec des sueurs froides les pertes financières s’accumuler au fil des jours de confinement. En s’épargnant un confinement généralisé, la Corée a pu, dans une certaine mesure, limiter l’ampleur de la crise économique sur ses entreprises, mais ce fut au prix d’une surveillance généralisée de la population.

Selon un rapport publié sur Mediapart par un chercheur français résidant en Corée du Sud [3], la politique du gouvernement coréen suppose explicitement une intrusion dans la vie privée des individus présentant un résultat positif au test de dépistage du Covid-19. Aucune décision de justice n’est obligatoire pour justifier cette intrusion, ainsi que le stipule la loi d’exception qui est entrée en vigueur dans le pays au début de l’épidémie. Une personne infectée est alors mise en contact avec un fonctionnaire du système de santé, qui n’est pas un professionnel de santé, et qui doit la guider pour la suite des opérations. En théorie, le consentement du patient est requis pour les différents tests, traitements et mesures mises en place, mais ce « consentement » est purement administratif puisqu’un refus d’obtempérer est passible d’une sanction par la loi. Une fois pris en charge, le patient positif se retrouve hospitalisé s’il présente le moindre symptôme ou confiné s’il est asymptomatique. La mise en quarantaine se fait alors soit au domicile de la personne si elle vit seule, soit dans un centre de traitement où elle sera suivie par du personnel soignant.

Mais le plus inquiétant est peut-être que le malade voit alors la quasi-intégralité de ses informations personnelles alimenter les bases de données épidémiologiques du système de santé coréen. Son nom, son numéro d’identité, son adresse, ses numéros de téléphone, mais également des données médicales comme ses prescriptions et le reste de son dossier médical… tout y passe, ou presque. Seules les données GPS ne sont pas concernées, si le patient le refuse. La vie d’une personne malade se retrouve donc consignée dans une seule base de données. Une aubaine pour les géants du numérique qui rôdent depuis quelques années sur le pactole que représentent de telles informations (voir notre article : À qui profite la collecte des données médicales  ?), mais également pour les États qui peuvent enfin obtenir un fichier rassemblant toutes ces données, alors que les législations prévoyaient de séparer et d’anonymiser tout fichier de données personnelles. « Big Brother » n’est plus si loin…

Logo de l’application sud-coréenne d’« auto-confinement », dont le téléchargement est obligatoire par toute personne confinée pour cause de Covid-19

Une politique dictée par la pénurie... qu’ils ont eux-mêmes provoquée

« Brigades sanitaires », applications informatiques de traçage des patients, isolement des patients, voire confinement généralisé… sous couvert de santé publique, les différents gouvernements ont pris des mesures extrêmes de contrôle de la population. Pour l’instant, devant le danger immédiat de la maladie et en l’absence d’autres politiques de santé, les populations s’y sont conformées, à défaut d’y avoir adhéré.

En réalité, la mise en place des politiques de traçage relève de la même logique que celle qui a sous-tendu l’instauration du confinement : c’est parce que les systèmes de santé se trouvent en permanence dans un fonctionnement de pénurie que les gouvernements justifient le recours à des mesures comme celles-là. En ayant méthodiquement cassé l’hôpital depuis des décennies, en fermant les lits de réanimation, en liquidant les stocks de masques, en se montrant incapables de mettre en place des campagnes de dépistage massives, en supprimant les crédits alloués à la recherche, ils nous ont poussés à accepter des méthodes qu’on supposait être d’un autre temps.

Certes, il n’est pas dit qu’une société organisée sur des bases sociales différentes ne devrait pas se résoudre à appliquer des dispositifs de traçage de la maladie afin de limiter la propagation de l’épidémie. Mais la différence tient à ce que la mise en place de tels dispositifs dans une société capitaliste, organisée autour de la coercition et la répression, ne peut que présenter un risque important de détournement de ces dispositifs de leurs objectifs initiaux : commercialisation des données récoltées, isolement autoritaire des malades ou d’une partie de la population, répression policière contre toute tentative de contestation… Depuis George Orwell, nombreux sont les romanciers ayant dépeint une telle dérive.

Simon Costes  


[3L’auteur du rapport, franchement enthousiaste devant la politique de dépistage sud-coréenne, relate pourtant l’intégralité des atteintes à la vie privée : https://blogs.mediapart.fr/francois....

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