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Crise toujours, tu m’intéresses : quand les riches sont toujours plus riches

20 janvier 2022 Article Économie

Winston Churchill disait à qui voulait l’entendre : « il ne faut jamais gaspiller une bonne crise. » Force est de constater que les milliardaires d’aujourd’hui n’ont pas perdu leur temps durant celle-ci. La crise sanitaire a vu les fortunes des plus riches s’envoler comme jamais.

Selon le nouveau rapport sur les inégalités mondiales de l’ONG Oxfam, « les quelque 2 755 milliardaires dans le monde ont vu leur fortune augmenter davantage lors de la pandémie de Covid-19 qu’au cours des quatorze dernières années, qui avaient déjà été une aubaine pour les milliardaires ». Les dix hommes les plus riches du monde voyaient leur fortune doubler, tandis que plus de 160 millions de personnes basculaient dans la pauvreté. En France, les milliardaires ont vu leur fortune augmenter de 236 milliards d’euros, soit une hausse de 86 %.

Si l’accumulation de richesse entre les mains d’une poignée d’individus s’est accélérée à la faveur de la crise sanitaire, elle n’est pas une nouveauté : en décembre, le rapport du Laboratoire sur les inégalités mondiales(codirigé par l’économiste Thomas Piketty) estimait déjà qu’entre 1995 et 2021, les 1 % les plus riches du monde avaient capté 38 % de la croissance du patrimoine mondiale, contre 2 % pour les 50 % du bas.

Une fortune en partie fictive avec la hausse des cours boursiers

L’accélération de l’accumulation de richesse par les milliardaires provient en premier lieu de la hausse des cours boursiers et des prix de l’immobilier, favorisées par les milliards d’argent public déversés sur les entreprises et les banques au nom du « quoi qu’il en coûte ». En France, l’indice du CAC 40 a progressé de 20 % entre fin 2019 et fin 2021, si bien que les inquiétudes commencent à émerger sur le moment où la bulle va éclater.

Plus de 1 600 milliards d’euros ont déjà été dépensés par la Banque centrale européenne (BCE), dans le cadre de son Programme d’urgence face à la pandémie (PEPP, selon l’acronyme anglais, Pandemic Emergency Purchase Programme) [1]. Ce programme vise à racheter aux banques privées des titres de dette publique ou des obligations d’entreprises, s’ajoutant au programme d’achat d’actifs (APP – Asset Purchase Programme) existant depuis 2015 à la suite de la crise des dettes souveraines [2]. Avec cet argent frais, les banques sont supposées accorder plus de crédits aux entreprises et aux ménages, pour favoriser la consommation et l’investissement. Mais dans un contexte de blocage de l’économie, où les dépenses ont chuté en 2020 surtout du fait des magasins fermés et de l’interruption des chaines d’approvisionnement, cette manne a surtout irrigué la finance et fait gonfler une bulle boursière et immobilière. Une telle augmentation de richesse reste cependant en partie fictive : les milliardaires pourraient la voir s’effacer tout aussi vite en cas d’éclatement de la bulle… bien que les gros de la finance savent bien se dégager à temps et laisser la facture aux petits poissons.

Les grandes entreprises en bonne santé financière

Les entreprises, et en particulier les plus grandes, ont, elles aussi, renforcé leur trésorerie durant la crise sanitaire, malgré la récession inédite en 2020. Entre le chômage partiel, le fonds de solidarité, les reports ou exonérations de cotisations sociales et d’impôt et les aides diverses dans le cadre des plans de relance, les entreprises ont financé une grosse partie de leurs dépenses avec des fonds publics. Certes, elles se sont endettées massivement durant la crise : en France, la dette des sociétés non financières s’est accrue de 228 milliards entre fin 2019 et octobre 2021 (+ 14 %) [3]. Mais dans le même temps, leur trésorerie s’est accrue de… 224 milliards ! Car les patrons ont préféré garder leur argent et dépenser celui des banques, ce qui était d’autant plus facile que l’argent frais reçu de la BCE coulait des banques et que les banques pouvaient s’assurer avec les Prêts garantis par l’État (PGE). Qui plus est, les faibles taux d’intérêt incitent les patrons à garder leurs liquidités pour se prémunir en cas de coup dur. Mais les entreprises gorgées de liquidités en ont surtout profité pour lancer des opérations de concentration du capital. Le montant des fusions-acquisitions a atteint 5 800 milliards de dollars dans le monde, pulvérisant le précédent record de 2007 qui n’était « que » de 4 500 milliards. Les entreprises multiplient aussi les rachats de leurs propres actions. En France, les 120 principales sociétés cotées en bourse (qui composent l’indice SBF 120, Société des bourses françaises, un CAC 40 élargi) ont ainsi racheté pour plus de 16 milliards d’euros de leurs propres actions en 2021, approchant le record de 19 milliards de 2007. Même constat à Wall Street, où les rachats d’actions atteignent 850 milliards de dollars en 2021. Ceux-ci permettent aux actionnaires de se débarrasser d’une partie de leurs actions à bon prix avant l’éclatement de la bulle boursière et participent à faire monter les cours. Sans compter que les dividendes par action seront aussi plus élevés.

Loin des risques d’une cascade de faillites avec la levée progressive des aides exceptionnelles, c’est donc le faste qui domine chez les patrons. Les défaillances d’entreprises restent à un niveau exceptionnellement faible : moitié moins nombreuses en 2021 qu’avant la crise en 2019, même si le niveau va probablement revenir à la normale dans les mois qui viennent. Bien sûr, ces chiffres globaux masquent une hétérogénéité entre les entreprises. Selon la Banque de France, 44 % des entreprises ont vu leur endettement net (une fois déduit la trésorerie) se dégrader en 2020. Mais cette proportion n’est pas différente d’avant la crise sanitaire, et une réduction de trésorerie n’est pas en soi un problème, car elle peut aussi correspondre à un investissement… et donc à de futurs profits !

(Dessin de Mody)

La source du profit reste l’exploitation des travailleurs

La fortune des milliardaires et des entreprises ne vient pas que de la spéculation et des fonds publics. Le milliardaire Jeff Bezos l’a d’ailleurs rappelé sans complexe en tenant à « remercier chaque employé d’Amazon et chaque client d’Amazon » lors de son voyage dans l’espace, « car [ce sont eux] qui [ont] payé tout ça ». En effet, 2021 est aussi une année record pour les profits. Les grands groupes du CAC 40 ont affiché des hausses de leurs bénéfices au premier semestre 2021 de 25 % par rapport à 2019. Et la seconde moitié de l’année s’annonce encore meilleure pour beaucoup. C’est ce qui pousse des travailleurs, comme à Arkema ou ailleurs, à se mettre en grève pour les salaires : voir que les prix et les profits s’envolent, alors que les salaires restent pied au plancher, il y a de quoi se mettre en colère. Mais les actionnaires préfèrent utiliser leurs fonds pour les rachats d’action et les dividendes. Ces derniers sont annoncés à 2 000 milliards de dollars en 2022 dans le monde, au titre des profits de 2021. Ils bondissent d’année en année et dépassent déjà de 18 % ceux d’avant crise. À La Poste, grande entreprise « publique », la direction prévoit de verser 600 à 700 millions d’euros à ses actionnaires (Caisse des dépôts et État), c’est-à-dire plus de 3 000 euros réalisés sur le dos de chaque postier, alors que la même Poste rechignait à l’automne à envisager la revalorisation des grilles de salaires pour les échelons inférieurs au Smic !

Maurice Spirz


Macron : un quinquennat au service des riches

Comme ses prédécesseurs, Macron n’a pas eu qu’une manière de servir le patronat et les milliardaires : de la casse du Code du travail, avec les accords de performance collective (APC) et les ruptures conventionnelles collectives (RCC), qui ont connu un petit essor fin 2020 à la faveur de la crise sanitaire, à la réforme du chômage, pour contraindre les plus précaires à accepter n’importe quel boulot, en passant par celle des retraites, avortée provisoirement, ou encore ses lois visant à réprimer les mouvements sociaux et les quartiers populaires. La politique socio-fiscale est l’un des domaines où Macron aura fait parler de lui.

D’abord, avec des baisses d’impôt importantes, notamment pour les plus riches. Selon l’Institut des politiques publiques (IPP), le remplacement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par l’impôt sur la seule fortune immobilière (IFI) et le prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital [4] rapportent 5 milliards d’euros par an aux plus riches. Mais elles ne sont pas seules : les baisses d’impôt sur les ménages décidées sous Macron représentent au total 28,1 milliards d’euros. Celles-ci ont parfois soulagé des foyers de travailleurs, notamment le dégrèvement de la taxe d’habitation (une taxe injuste car ni progressive, ni même réellement proportionnelle). Mais ces baisses ont aussi un coût, qui pèse surtout sur les travailleurs. D’abord en dégradation des services publics, en premier lieu l’hôpital et les écoles, qui ne cessent de voir les moyens et le personnel se réduire au regard des besoins. Mais aussi plus directement en baisse des prestations sociales, du gel des retraites et prestations en 2019 et 2020 aux attaques contre l’allocation chômage, en passant par le rognage des allocations logement. L’ensemble des prestations sociales a été réduit de 4,2 milliards sous le mandat de Macron. Et si cela n’a pas été plus, c’est dû en partie à la mobilisation des Gilets jaunes, qui a conduit Macron à revaloriser la prime d’activité et à revenir sur la hausse de CSG pour les retraités modestes, des mesures néanmoins largement insuffisantes pour faire face à la vie chère.

Au bilan, selon l’Institut des politiques publiques, les réformes socio-fiscales de Macron ont fait « gagner » en moyenne 200 à 300 euros par an à la plupart des ménages, au prix de la casse des services publics, mais les 1 % les plus riches sortent du lot, avec plus de 3 500 euros de gain annuel en moyenne. Un montant qui grimpe d’autant plus vite que le revenu augmente. Macron est donc bien le président des riches !

M.S.


[1Ce programme, doté de 1 850 milliards d’euros (15 % du PIB de la zone euro), est supposé s’achever en mars 2022.

[2L’APP correspond, avec désormais le PEPP, à la politique dite de « quantitative easing » de la BCE, menée depuis 2015. Depuis 2019, l’encours de crédits détenus dans le cadre de l’APP n’est plus supposé augmenter, mais les nouveaux achats de titres sont financés par le remboursement de ceux arrivés à échéance.

[3L’essentiel de cette progression, soit 210 milliards, a eu lieu en 2020. Notamment, 145 milliards d’euros de prêts garantis par l’État (PGE) ont été accordés par les banques au 31 décembre 2021, soit environ la moitié du plafond voté par l’Assemblée.

[4Une « flat tax » qui impose ces revenus uniformément à 30 %, cotisations sociales incluses, alors que les taux des trois dernières tranches de l’impôt sur le revenu sont de 30 %, 41 % et 45 % hors cotisations sociales.

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