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Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale : à propos de « l’affaire Finaly »... et de la confusion des « bons sentiments »

Comètes et perdrix, de Marie Cosnay

Éditions de l’Ogre, 2021, 170 p., 19 €

13 juillet 2021 Article Culture

Le livre de Marie Cosnay, Comètes et perdrix [1], porte en sous-titre « l’extraordinaire aventure de Robert et Gérald Finaly à travers la France et l’Espagne ». Il reprend un fait divers, ou plutôt un fait de société, qui a secoué la France dans les années d’après-guerre jusqu’au milieu des années 1950.

L’affaire Finaly

Les héros de cette « extraordinaire aventure », pour reprendre l’expression de l’auteur, sont deux enfants, les frères Robert et Gérald Finaly. Ils sont nés en France d’un couple de Juifs autrichiens qui avaient fui leur pays au printemps 1938 après l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie. Après un périple dans différents pays d’Europe, les Finaly se fixent finalement à La Tronche, près de Grenoble, où leurs enfants naîtront en 1941 et 1942. À la fin de l’année 1943, se sentant menacé, le couple les confie à une pouponnière catholique. Quelques mois plus tard les parents sont arrêtés, envoyés à Drancy, puis à Auschwitz où ils sont assassinés.

Après la guerre, deux sœurs du père, Fritz Finaly, dont l’une vit en Nouvelle-Zélande et l’autre en Israël, retrouvent la trace de leurs neveux et demandent à les récupérer. Elles reçoivent un refus catégorique. On leur fait valoir que les enfants ayant été baptisés, ils sont désormais catholiques et qu’il n’est pas question pour eux de réintégrer une famille juive.

L’affaire, de rebondissements en coups de théâtre, durera jusqu’en 1953. Entre temps les enfants, sous des faux noms, sont trimballés de couvents en monastères, et de colonies de vacances catholiques en collèges religieux pour finalement aboutir à Bayonne. De là, on les fait passer en Espagne franquiste. Il faudra des mois de tractations pour qu’ils puissent rentrer en France et retrouver une de leurs tantes.

L’histoire est connue depuis longtemps et bien documentée. Alors qu’apporte de plus le livre de Marie Cosnay ?

Des motivations diverses

Elle prend le parti de considérer l’affaire comme une énigme policière (bien qu’on en connaisse à l’avance le dénouement) et de tenter de cerner, pas à pas, la personnalité des principaux protagonistes et leurs motivations. De plus, elle dresse le portrait d’une foule de personnages secondaires qui interviennent dans l’affaire à un titre ou un autre, en toute bonne foi pour certains ou avec des arrières pensées plus discutables pour d’autres. Le texte est parfois un peu touffu, très saccadé, mais toujours très vivant.

Ainsi Antoinette Brun, la femme qui a caché les deux frères jusqu’au bout, est un personnage complexe. D’un côté, sous l’Occupation, cette catholique croyante et pratiquante, célibataire endurcie, sauve des enfants juifs, les élève comme les siens (jusqu’au bout ils l’appelleront « maman ») et tout cela au péril, sinon de sa vie, du moins de sa liberté. Elle avait incontestablement la fibre maternelle, puisqu’au cours de sa vie elle adoptera onze enfants et cachera neuf autres enfants juifs dans un château voisin.

Mais lorsque leur famille veut récupérer les deux frères, elle change du tout au tout. Elle utilise alors tous les stratagèmes pour ne pas les rendre. Elle les fait baptiser très tardivement, le 28 mars 1948, alors que tout danger est écarté, dans le seul but de faire de ce baptême un obstacle supplémentaire sur la voie de leur restitution. Elle se fait nommer tutrice à titre provisoire par un juge en lui cachant qu’ils ont toujours de la famille. Apparaît au final chez elle une forme d’antisémitisme dont elle ne se cache même plus, parlant de l’ingratitude et de la cupidité des Juifs. Ce qui interroge d’ailleurs, bien au-delà de ce seul cas, c’est la persistance de sentiments racistes chez des personnes qui sont, par ailleurs, de braves gens, des parents ou des grands-parents aimants, des voisins serviables, etc. C’est un sentiment très profondément ancré en eux, parfois dès l’enfance, qui peut être dormant mais aussi ressurgir à la première occasion. D’où la difficulté de l’extirper.

Mais revenons aux frères Finaly. Leur baptême va être mis en avant par nombre de religieux et de religieuses qui vont aider Antoinette Brun dans sa cavale. C’est le cas notamment de l’archevêque de Lyon, le cardinal Pierre Gerlier, et de Mère Antonine, supérieure de la congrégation Notre-Dame-de-Sion de la même ville, qui ont eux aussi caché des Juifs pendant la guerre et recevront plus tard l’un et l’autre de l’État d’Israël la distinction de « Justes parmi les Nations ». Ce qui est assez cocasse quand on connaît leur rôle dans ce kidnapping.

Mais ils sont loin d’être les seuls. Le Vatican, qui officiellement adopte une position modérée, encourage en sous-main celles et ceux qui refusent de rendre les enfants, allant même jusqu’à leur suggérer d’ignorer les lois humaines (c’est à dire les différents jugements ordonnant de remettre les enfants à leur famille) et de ne se plier qu’à la loi de Dieu.

À ce propos Marie Cosnay rappelle une autre affaire, celle d’Edgardo Mortara, un enfant juif de six ans enlevé par la police papale en 1858 à Bologne et qui ne revit jamais sa famille. La raison invoquée : il avait été « ondoyé » (une forme simplifiée de baptême) clandestinement par une servante catholique de la famille cinq ans auparavant lorsqu’il était gravement malade. Donc il n’était plus juif et ne pouvait continuer à vivre avec les siens.

Passage en Espagne et retour en France

En France la cavale se termine au Pays basque où l’on voit alors intervenir une multitude de personnages, aux motivations fort diverses. Certains sont des pétainistes notoires (comme « l’homme fort » du Pays basque, Jean Ybarnégaray, qui fut ministre de Vichy) ; d’autres des passeurs qui, pendant la guerre, ont aidé des Juifs, des résistants, des aviateurs anglais à s’enfuir en Espagne ; d’autres encore des « barbouzes » ou encore des nobles qui entretiennent de cordiales relations avec les autorités espagnoles et enfin des militants nationalistes basques. Certains se laissent attendrir par la situation d’Antoinette Brun que l’on veut priver de ses « enfants », d’autres sont convaincus par le caractère sacré et irréversible du baptême. Mais tous ont en commun d’être généralement de droite et de baigner dans un vieux fond d’antisémitisme polymorphe qui s’était un peu atténué à la mi-1942, lorsqu’un certain nombre de prélats catholiques avaient pris ouvertement position contre les persécutions des Juifs, mais qui, la guerre finie, revint au galop.

Finalement les enfants passent clandestinement en Espagne par des sentiers de montagne enneigés. Après plusieurs refuges provisoires, ils aboutissent dans un monastère, à Lazcano, en Pays basque espagnol. Ils deviennent alors l’objet de marchandages entre le gouvernement français et Franco. Ce dernier propose par exemple de les rendre en échange de l’extradition de trois militants anarchistes réfugiés en France. Devant le refus de Paris, il suggère ensuite le retour des frères Finaly contre une accélération de la normalisation des relations entre son pays et les puissances alliées pour faire oublier sa collaboration avec Hitler et Mussolini.

L’affaire se termine avec le retour en France des enfants (cette fois en voiture) et leur départ en avion, le 25 juillet 1953, pour Israël avec leur tante, Mme Rossner. Départ attaqué à boulets rouges par la presse de droite, notamment Le Figaro et La Croix, qui avaient fait de « mademoiselle Brun » une héroïne et une idole.

Après le retrait des plaintes par la famille, les prêtres, religieuses et autres personnes incarcérées furent libérés et un non-lieu général prononcé à leur égard en juin 1955.

Mais cette affaire a montré que la disparition du régime de Vichy et de l’Allemagne nazie n’avait pas mis un terme à l’antisémitisme, et plus généralement au racisme qui imprégnait encore largement la droite française et une partie de l’opinion. Comme le disait Bertolt Brecht de façon prémonitoire : « Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde. »

Enfin, il faut souligner que sur plusieurs milliers d’enfants juifs cachés en France dans des familles ou des institutions catholiques, il n’y eut à la fin de la guerre qu’une cinquantaine de cas litigieux [2], celui des frères Finaly étant, de très loin, le plus emblématique. Mais, pour tous les autres, le retour dans leurs familles ne posa pas de problème.

Jean Liévin


[1« Comètes » se rapporte aux membres du réseau de la Résistance du même nom qui, entre la Belgique et l’Espagne via la France, faisaient passer les aviateurs anglais abattus par la DCA allemande. Quant à « Perdrix » il fait référence à un rocher du même nom situé en Pays basque, à la frontière franco-espagnole, au dessus de Biriatou, par où passèrent les enfants Finaly pour entrer en Espagne.

[2Selon Georges Garel, le créateur et dirigeant de l’Œuvre de secours aux enfants (OSE), la principale organisation à avoir sauvé des enfants juifs pendant la guerre.

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