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9 octobre 1981 : la guillotine remisée au placard

12 octobre 2021 Article Politique

Il y a quarante ans, le 18 septembre 1981, les députés votaient l’abolition de la peine de mort en France, un projet de loi qui sera finalement entériné le 9 octobre. C’était là une promesse de campagne du candidat Mitterrand, dont la mise en œuvre avait été confiée au garde des Sceaux, Robert Badinter, un avocat engagé depuis plusieurs années dans le combat pour l’abolition.

Dans un discours resté célèbre, Badinter défendait l’abolition, d’un point de vue surtout moral. Mais son argumentaire rappelait aussi l’absence de valeur dissuasive de la peine de mort dans les crimes de sang [1], et insistait à la fois sur la faillibilité de la justice et sur le biais raciste – et de classe, faudrait-il ajouter ! – qui prévaut dans bien des condamnations [2].

Macron « against the guillotine »

À l’occasion de cet anniversaire, Emmanuel Macron s’est affiché ce 9 octobre au Panthéon, aux côtés de l’ancien ministre de la Justice, pour se placer en chef de file de « l’abolition universelle », pourfendeur du « despotisme » et défenseur de « l’universalité des droits de l’homme ». Grand bien lui fasse. On aimerait le voir défendre avec autant de véhémence les « droits de l’homme » quand il s’agit d’accueil des réfugiés ou d’usage disproportionné de la force contre les manifestants…

L’hommage de Macron consistait aussi à souligner « le courage politique » de Mitterrand, pour avoir défendu l’abolition de la peine capitale à une période où, supposément, l’opinion publique n’y était pas acquise. Question de contexte. Une enquête publiée en septembre 1981 affirmait, en effet, que 62 % des sondés étaient favorables à la peine de mort, là où quelques années plus tôt, en 1969, après des mois d’agitation sociale et politique, ils n’étaient que 39 %. Un effet, sans doute, du discours sur l’insécurité ou le « laxisme » de la justice qui revient de façon lancinante… hier comme aujourd’hui d’ailleurs ! Ainsi Éric Zemmour, qui n’en rate pas une pour flatter l’électorat le plus réactionnaire, n’a pas manqué récemment de ressortir son propre couplet sur la peine de mort…

Reste qu’en 1981, la France n’était pas précisément à l’avant-garde, puisqu’elle a été le dernier pays d’Europe occidentale à abolir cette peine.

Le « courage » de Mitterrand, vraiment ?

Mais si on ne peut enlever à Mitterrand d’avoir mené à bien cette promesse de campagne – au moins une qu’il a tenue ! –, difficile en tout cas de lui attribuer personnellement le combat contre la peine de mort. Car s’il existait bien un courant abolitionniste en France (au moins depuis le milieu du xviiie siècle, et de Victor Hugo à Camus et Koestler, sans oublier les mobilisations ouvrières contre l’exécution de Sacco et Vanzetti dans les années 1920 ou celles en soutien de Puig Antich, le dernier garrotté par la dictature franquiste), Mitterrand n’en était pas, assurément. En tant que garde des Sceaux du gouvernement de Guy Mollet en pleine guerre d’Algérie (de février 1956 à juin 1957), non seulement il avait donné tout pouvoir en matière de justice aux militaires sur le sol algérien – légalisant de fait la torture et les exécutions sommaires –, mais il refusa plus d’une trentaine de demandes de grâce, permettant de fait quarante-cinq exécutions capitales de militants anticolonialistes [3] pendant son mandat.

Sabine Beltrand


[1« En 1908, Briand, à son tour, entreprit de demander à la Chambre l’abolition. […] Il fit observer en effet que par suite du tempérament divers des présidents de la République qui se sont succédé […], la pratique de la peine de mort avait singulièrement évolué pendant deux fois dix ans : 1888-1897, les Présidents faisaient exécuter ; 1898-1907, les Présidents – Loubet, Fallières – abhorraient la peine de mort et, par conséquent, accordaient systématiquement la grâce. Les données étaient claires : dans la première période où l’on pratique l’exécution : 3 066 homicides ; dans la seconde période, où la douceur des hommes fait qu’ils y répugnent et que la peine de mort disparaît de la pratique répressive : 1 068 homicides, près de la moitié. Telle est la raison pour laquelle Briand, au-delà même des principes, vint demander à la Chambre d’abolir la peine de mort qui, la France venait ainsi de le mesurer, n’était pas dissuasive. » Extrait du discours de Robert Badinter à l’Assemblée, le 18 septembre 1981. 

[2« Enfoui, terré, au cœur même de la justice d’élimination, veille le racisme secret. Si, en 1972, la Cour suprême des États-Unis a penché vers l’abolition, c’est essentiellement parce qu’elle avait constaté que 60 % des condamnés à mort étaient des Noirs, alors qu’ils ne représentaient que 12 % de la population. Et pour un homme de justice, quel vertige ! Je baisse la voix et je me tourne vers vous tous pour rappeler qu’en France même, sur trente-six condamnations à mort définitives prononcées depuis 1945, on compte neuf étrangers, soit 25 %, alors qu’ils ne représentent que 8 % de la population ; parmi eux cinq Maghrébins, alors qu’ils ne représentent que 2 % de la population. Depuis 1965, parmi les neuf condamnés à mort exécutés, on compte quatre étrangers, dont trois Maghrébins. Leurs crimes étaient-ils plus odieux que les autres ou bien paraissaient-ils plus graves parce que leurs auteurs, à cet instant, faisaient secrètement horreur ? C’est une interrogation, ce n’est qu’une interrogation, mais elle est si pressante et si lancinante que seule l’abolition peut mettre fin à une interrogation qui nous interpelle avec tant de cruauté. » Extrait du discours de Robert Badinter à l’Assemblée, le 18 septembre 1981.

[3À ce propos, lire notre article sur l’excellent roman de Joseph Andras, De nos frères blessés, qui évoque l’histoire de Fernand Iveton, militant communiste et anticolonialiste, seul « Européen » guillotiné pendant la guerre d’Algérie.

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