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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 93, avril-mai 2014

Algérie : une campagne présidentielle chahutée...

Mis en ligne le 22 avril 2014 Convergences Monde

À l’heure où nous écrivons, l’élection présidentielle en Algérie n’a pas encore eu lieu, mais toute la presse donne le nom du gagnant du scrutin du 17 avril : le candidat officiel, à savoir le président sortant Abdelaziz Bouteflika qui brigue son quatrième mandat. Il est à la fois grand favori et homme invisible : à 77 ans, la maladie semble l’empêcher de paraître en public. Un candidat par défaut, probablement faute de consensus entre les factions du pouvoir (essentiellement de l’armée, principale ossature du régime algérien).

Mais qu’importe l’incapacité de cette gérontocratie, pour un pays dont la moitié de la population a moins de 25 ans. Sur la place Abdelkader du centre d’Alger, les locaux du parti diffusent à renforts de puissantes enceintes, de vieux discours de « Boutef » !

Les représentants de Bouteflika bousculés

La campagne électorale a soulevé contestations et protestations. À Béjaïa en Kabylie, le meeting que devait tenir Abdelmalek Sellal, le chef de campagne du président sortant, fut accueilli par une manifestation qui a viré à l’émeute. Même chose à Batna, dans une autre région, où le porte-parole de Bouteflika a dû annuler son meeting face à l’hostilité. Ailleurs encore, à Ghardaïa, où des centaines de personnes ont accusé le pouvoir d’être responsable des affrontements communautaires violents qui ont fait plus de trente morts ces dernières semaines.

Contestation inédite, bien qu’elle ait ses limites. À Béjaïa, ce n’était pas l’émeute populaire des lycéens et chômeurs de janvier 2011. À noter au passage l’attitude du mouvement « Barakat » (« ça suffit ») souvent présenté comme l’opposition démocratique au régime : dès que les affrontements entre forces de l’ordre et manifestants ont pris une certaine ampleur, ses représentants se sont éclipsés, craignant que la manifestation soit rejointe par de jeunes chômeurs ou précaires. Ceux dont le mot d’ordre principal se limite à « Non au quatrième mandat » (que pensent-ils des trois premiers ?), préfèrent les petits rassemblements autour de notables surmédiatisés.

Surenchère en direction du patronat…

Pour les classes populaires algériennes, entre le président sortant et son principal concurrent Ali Benflis, la différence est mince. Benflis, a été ministre de la Justice de 1988 à 1991, secrétaire général du FLN, principal parti du pouvoir en 2001, Premier ministre de Bouteflika de 2000 à 2003, avant de tenter une première fois sa chance aux présidentielles de 2004. Si le Forum des Chefs d’Entreprise (FCE), principale organisation patronale algérienne, a affirmé son soutien à Bouteflika, c’est Benflis qui a poussé le plus loin la séduction envers le patronat, reprenant quasiment son programme. Pour les deux candidats, il s’agit d’être « à la hauteur de la compétitivité internationale » (termes du programme de Bouteflika). Ce qu’il faut traduire par révision du Code du travail (moins défavorable en Algérie qu’au Maroc ou en Tunisie), gel des salaires, restructurations des entreprises publiques. Benflis y a ajouté l’abrogation de la règle des 51/49 qui interdit aux patrons étrangers investissant en Algérie de participer à plus de 49 % au capital d’une entreprise. De toute façon, un système de prête-noms algériens suffit à contourner la règle et à sauvegarder le « patriotisme économique » !

… et des questions sociales oubliées de tous

Dans cette campagne, aucun candidat ne s’adressait aux couches populaires : rien sur les salaires, rien sur le chômage des jeunes. Même pas du côté de Louisa Hanoune, la candidate du Parti des Travailleurs, essentiellement préoccupée de préserver « l’unité de l’Algérie » et de chercher derrière chaque protestation la main de l’étranger [1]. Le PT a évoqué une échelle mobile des salaires, qui permettrait aux plus faibles de suivre le cours de l’inflation, mais pas franchement leur augmentation. Le premier point de son programme est la « fondation d’une deuxième république », suivi de la « défense des acquis de l’indépendance », de « l’inscription des droits sociaux inaliénables dans la constitution », du « doublement du nombre de communes » et de son engagement personnel à « confirmer le caractère républicain et populaire de l’Armée nationale populaire ». Des préoccupations plus « nationales » que « sociales ».

Pourtant, au-delà du cirque électoral, ce sont les problèmes sociaux et une remontée des luttes ouvrières qui marquent l’actualité algérienne.

Le 12 avril 2014, Samuel TERRAZ


… sur fond de renouveau de luttes ouvrières

Avec un salaire minimum officiel d’environ 180 euros, souvent non respecté, ce sont les salaires et le coût de la vie qui sont au cœur des préoccupations et des grèves aujourd’hui. À quoi s’ajoute la question du chômage qui provoque en permanence et partout des manifestations de chômeurs réclamant de l’embauche, ou des explosions de colère de la jeunesse.

Grève de dockers

Les dockers d’Alger ont fait cinq jours de grève début février. Entre 2006 et 2013, six grèves successives au port d’Alger avaient contraint la direction à titulariser des centaines de précaires, journaliers ou CDD. C’est pour obtenir la prise en compte dans leur ancienneté, et donc dans leur salaire, de leurs nombreuses années de travail précaire (allant pour certains jusqu’à 15 ans) que 900 dockers (sur 2 800) se sont mis en grève. Le syndicat UGTA, proche de la direction, s’est désolidarisé du mouvement et, devant le tribunal où étaient traînés 14 grévistes poursuivis pour « grève illégale », le secrétaire du syndicat a déclaré « ne pas soutenir la grève qui a commencé sans son autorisation ». Après cinq jours de grève, les dockers ont obtenu la reconnaissance de leur ancienneté.

Grève de cheminots

À la fin mars, c’étaient au tour des cheminots. La Société Nationale du Transport Ferroviaire (SNTF) emploie 12 000 cheminots. Partie de la gare d’Alger, la grève s’est étendue sur le réseau. Elle avait été appelée par une « cellule de crise » un peu spontanée, semble-t-il. Car, là encore, le syndicat UGTA n’a pas soutenu. Pire, le secteur UGTA des cheminots, suspendu depuis deux ans pour gestion frauduleuse des fonds sociaux de l’entreprise, a dû être dare-dare remis en selle par la direction… pour tenter d’enrayer la grève, et de négocier. Non sans difficultés car les notables syndicaux étaient sous surveillance, et renvoyés par les grévistes revoir leur copie. Au bout de trois jours de grève, la direction a dû céder et satisfaire la revendication des grévistes : le versement de 36 mois d’arriérés sur une augmentation de salaire obtenue lors d’une grève de 2010 mais non versée pendant de longs mois.

Une extension des grèves dans le privé

Jusque-là peu mobilisé et quasiment privé de droits syndicaux et sociaux, le secteur privé a lui aussi connu une vague de protestation.

Le groupe cimentier Lafarge a dû faire face à un mouvement sur deux chantiers dont il a la charge. Devant la cimenterie d’Oggaz (près de Mostaganem dans l’ouest du pays), les banderoles « Oui aux investissements, non à l’esclavage » ornent un campement de 17 ouvriers en grève de la faim, installé depuis le 12 mars devant la porte. Ces 17 salariés avaient été licenciés pour « faute grave » lorsque, fin novembre dernier, les ouvriers de la cimenterie avaient manifesté à l’occasion d’une visite de courtoisie de l’ambassadeur de France sur leur site : ils dénonçaient les 270 licenciements depuis que le groupe français Lafarge avait racheté le site en 2008.

À l’Est de l’Algérie, grève aussi chez Samsung à Sétif. Cette usine de 1 200 salariés est née du partenariat en 2009 entre la firme coréenne et l’homme d’affaire algérien Issad Rebrab. Patron du groupe Cevital (agroalimentaire et services), ce magnat qui possède plusieurs journaux et postule au rachat de l’entreprises Fagor-Brandt, est l’une des premières fortunes d’Algérie. Il a désormais sa place dans le classement Forbes des plus riches de la planète avec un capital estimé à 3,2 milliards d’euros... Le 12 mars, les ouvriers de Samsung se sont mis en grève. Ils ont obtenu satisfaction sur une partie de leurs revendications salariales et la promesse de la reconnaissance d’un syndicat. Ce serait une première : à l’usine agroalimentaire de Cevital, une grève en 2012 ne l’avait pas obtenu.

S. T.


[1Le PT est lié au POI en France et se réclame toujours du trotskysme. Il a fait 4 % lors des précédentes élections présidentielles et dispose de 26 députés au parlement. On peut lire son programme sur : http://pt.dz/?Programme-electoral

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