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Tchad : Nouvelles manifestations contre les pouvoirs des militaires

23 mai 2021 Article Monde

Mercredi 19 mai, jour où devait avoir lieu une nouvelle manifestation contre la prise du pouvoir par le Comité militaire de transition (CMT), dirigé par le général Mahamad Déby (fils de son maréchal de père et président Idriss Déby, tué le 20 avril), tout le centre de la capitale du Tchad, N’Djamena, était quadrillé par les forces de sécurité, policiers et « bérets rouges » avec (décrit RFI) « des dizaines de Toyota militaires lourdement armées et stationnées aux principaux carrefours et ronds-points, alors que d’autres patrouillaient dès l’aube jusque dans les petites rues de N’Djamena ».

L’appel avait été lancé par Wakit Tamma (qu’on peut traduire par « l’heure est venue »), un large collectif un peu hétérogène regroupant toute l’opposition au CMT : s’y retrouve l’Union des syndicats du Tchad (UST), la Ligue tchadienne des droits de l’homme, diverses associations (associations de femmes, collectifs de jeunes chômeurs…), mais aussi quelques partis ou politiciens classiques, désireux surtout d’assurer la relève d’un pouvoir impopulaire. Le lieu de regroupement fixé pour la manifestation était complètement inaccessible, et le moindre cortège interdit. Malgré ce dispositif, malgré la répression des manifestations précédentes (notamment celles des 27 avril et 8 mai) où les forces de l’ordre avaient tiré sur les manifestants, faisant entre 9 et 15 morts (selon les chiffres connus) et plus de 600 arrestations, les manifestants sont revenus ce 19 mai, même si c’est par des rassemblements émiettés, quartier par quartier qu’ils ont pu montrer leur colère.

Signalons au passage que, comme lors des journées précédentes, plusieurs drapeaux français ont été brulés pour dénoncer le soutien de Macron et Le Drian à la junte militaire. Et quand le lendemain, la ministre de l’Enseignement supérieur du gouvernement de transition mis en place par la CMT est venue à l’université faire la promotion du nouveau régime, elle s’est fait conspuer par les étudiants qui ont caillassé sa voiture et l’ont obligée à prendre la fuite.

Une opposition hétéroclite

Du côté des politiciens, parmi ceux qui, avant le 20 avril, s’opposaient à la réélection d’Idriss Déby pour un sixième mandat présidentiel, quelques-uns se sont ralliés (au nom de la « transition ») au nouveau pouvoir : comme le Parti pour les libertés et le développement (PLD) dont le chef de file, Mahamat Ahmat Alhabo, a pris le poste de ministre de la Justice dans le gouvernement mis en place par la junte, en déclarant que « lutter contre l’injustice est mon sacerdoce » ; tout comme l’autre grand parti, l’UNDR (l’Union nationale pour la démocratie et le renouveau) qui a envoyé deux de ses membres au gouvernement.

Parmi les leaders démocrates qui restent à la tête de l’opposition, l’un des plus en vue, qui apparaissait comme la principale personnalité dans les manifestations de février contre le sixième mandat d’Idriss Déby, est le créateur du nouveau parti des Transformateurs, Succès Masra. « Nous voulons une transition civilo-militaire avec un président civil et un vice-président chargé des affaires sécuritaires. Là, nous avons un gouvernement de décor sur fond de coup d’État et de recyclages. » a-t-il déclaré. Un « processus de transition civilo-militaire » c’est l’expression qu’avait lui-même employé Macron lors de l’enterrement d’Idriss Déby pour couvrir d’une formule son soutien indéfectible au CMT. Ancien cadre de la Banque africaine de développement (après avoir débuté sa carrière à la BNP), Succès Masra se verrait probablement bien en carte de rechange, tout à fait acceptable par la France, pour un gouvernement civil au Tchad.

Et, autre aspect de la vie politique du Tchad, les politiciens qui s’affirment démocrates demandent que, dans le « dialogue inclusif » qu’ils revendiquent, soient aussi invités les dirigeants du groupe armée FACT [1], contre l’offensive duquel était allé combattre Idriss Déby lorsqu’il a été tué, et dont l’armée dit avoir aujourd’hui mis les troupes en déroute. Cela n’est à vrai dire pas très étonnant : entre groupes armés et partis politiques, explique le chercheur Jérome Tubiana dans une interview au journal Le Monde du 2 mai, « il y a une vraie articulation. […] Il existe une conscience aiguë au Tchad qu’il est difficile pour un opposant d’arriver à quoi que ce soit sans passer au préalable par la case groupe armé. Ne serait-ce qu’en étant son représentant à l’étranger ». L’ancien président Hissène Habré n’était-il pas un ex-rebelle dont les troupes ont conquis la capitale avant que la France le recycle en adoubant son nouveau régime ? Puis Idriss Déby, ancien lieutenant d’Habré, ne s’est-il pas soulevé contre celui-ci pour prendre sa place, avec cette fois directement l’appui de la France contre un dictateur jugé usé ? Quant au dirigeant de l’actuel FACT, c’est un ancien membre du Parti socialiste en France, dont les troupes étaient en Libye alliées du maréchal Haftar (soutenu par la France dans le conflit libyen), avant qu’elles ne tentent de marcher sur N’Djamena. Ainsi va la politique en Françafrique, où politique et militaire ne font qu’un et où se montrer l’homme fort capable de contrôler le pays est le meilleur moyen d’avoir l’appui de la France pour prendre les rênes du pouvoir.

Dans cette opposition politicienne, pour les manifestants, travailleurs, jeunes des quartiers populaire de N’Djamena, ou ces « diplômés chômeurs » si nombreux dans les manifestations (des jeunes qui ont pu accéder aux études mais restent sur le carreau de l’emploi) il est impossible de se reconnaitre.

Un profond mécontentement social

Mais la vie au Tchad, ces dernières années, a aussi été marquée par une toute autre actualité : celle des mouvements sociaux et des grèves. Ce fut la très longue grève de l’hiver 2018-2019 paralysant pendant des mois tous les services publics pour réclamer les salaires et primes impayés depuis des mois, grève qui avait débordé d’ailleurs les seuls secteurs publics, avec notamment une grève dans l’entreprise Cotontchad, le coton (sa culture et ses usines de filage) étant l’une des principales activités du pays, passée au second rang depuis la découverte et l’exploitation du pétrole au début des années 2000. De nouvelles grèves, notamment encore dans le secteur public, ont eu lieu en janvier dernier, pendant que les retraités (y compris ceux de l’armée !) manifestaient devant le ministère pour exiger le versement des pensions, dues parfois depuis plus d’un an. Quant aux prix à la consommation, qui n’ont cessé de grimper ces dernières années, ils ont évidemment flambé avec la période du ramadan.

C’est cette situation, et pas seulement la mort de Déby et son remplacement par son fils, qui rend aujourd’hui la situation du Tchad explosive. Quelques beaux quartiers qui ont poussé depuis la découverte du pétrole, la misère à l’autre bout de la ville et dans les campagnes, alors que les dépenses militaires dévorent 40 % du budget total de l’État, voila qui alimente la colère des manifestants.

Olivier Belin


À lire :

Nous publions le point de vue d’un militant tchadien, tant sur ce que sont les diverses fractions de l’opposition tchadienne que sur le mécontentent social dans le pays et des perspectives pour les travailleurs tchadiens. (Cliquer sur ce lien)


[1FACT, Front pour l’alternance et la concorde au Tchad, groupe politico militaire créée en 2016 dans l’extrême nord du Tchad. Réfugié en Libye, le FACT commence par combattre du côté des troupes de la région de Misrata contre celles du maréchal Haftar, maitre de Benghazi, puis ont changé de bord en 2019 pour soutenir les troupes d’Haftar : des services qui aguerrissent les troupes et fournissent des équipements. Le 11 avril dernier elles lançaient une offensive contre le régime d’Idriss Déby en tentant de marcher sur N’Djamena avant d’être arrêtées par l’armée tchadienne.

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