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Sous couvert des « lois du marché », l’offensive patronale

4 juillet 2022 Article Économie

Si l’hyperinflation est bien connue des populations pauvres, les travailleurs des pays les plus avancés n’y étaient plus confrontés depuis les années 1980. Pendant près de quarante ans, les prix sont restés contenus, sans que les économistes soient réellement capables de l’expliquer.

Deux principales théories de l’inflation s’opposent dans le monde des « experts ». La plus ancienne, autour de la dénommée « courbe de Phillips », stipule que l’inflation provient de la baisse du chômage, les travailleurs imposant alors des hausses de salaire, répercutées dans les prix. Ce qui fait aujourd’hui affirmer le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, que « tout le monde serait perdant en cas de hausses de salaire ». Sauf que les prix n’ont pas attendu pour monter en flèche !

Cette théorie a été infirmée dans les années 1970, avec ce que l’on a appelé la « stagflation », cumulant forte inflation et stagnation économique. À l’époque, l’inflation provenait de la hausse des coûts de production provoquée par les chocs pétroliers et du ralentissement des gains de productivité (et donc des perspectives de profits) poussant le patronat à se rattraper sur les prix. Les économistes appelaient à maintenir une part de chômage afin de contenir les salaires et les prix… sans grand succès.

C’est alors qu’une nouvelle théorie s’est imposée, affirmant que l’inflation viendrait d’une trop grande quantité de monnaie (d’où son nom de « monétariste »). L’argent distribué par les banques centrales pour tenter de relancer l’économie (la « planche à billets ») provoque un surplus de demande qui favorise non pas la production, mais la hausse des prix. Certains économistes accusent d’ailleurs les aides versées durant la crise sanitaire d’avoir provoqué l’inflation actuelle (et prônent donc un retour à l’austérité !). Sauf que cette « loi » ne s’est jamais vérifiée : non seulement l’inflation n’a jamais suivi l’évolution que la masse monétaire [1], mais les tonnes d’argent déversées sur les marchés financiers par les banques centrales après 2008 n’ont en rien modifié la course des prix. Patrick Artus, chef économiste chez Natixis, peut donc l’affirmer : « Nous ne disposons plus d’une théorie pertinente de l’inflation. » [2]

À la fin des années 1970, Ronald Reagan s’était pourtant appuyé sur les théories monétaristes pour stopper l’inflation et relancer la machine capitaliste, faisant payer le prix fort à la classe ouvrière. Le gouverneur de la réserve fédérale américaine (Fed) de l’époque, Paul Volcker, a relevé brutalement les taux directeurs (c’est-à-dire le taux d’intérêt fixé par la banque centrale qui conditionne ceux des prêts accordés par les banques commerciales), entrainant un assèchement du crédit (et donc une contraction de la masse monétaire). Nombre d’entreprises et de ménages endettés ont fait banqueroute, ne pouvant plus payer leurs intérêts. La mise en faillite des entreprises les moins rentables et la forte poussée de chômage ont permis la compression des salaires. Les entreprises survivantes ont restauré leurs marges, faisant repartir l’économie capitaliste sur de meilleures bases… jusqu’à la crise suivante [3]. L’inflation est depuis restée limitée, surveillée de près par les banques centrales. Mais cela vient surtout du chômage, les patrons misant sur une aggravation de l’exploitation plutôt que sur une croissance forte ou une hausse des prix.

C’est cela qui semble en train de changer. La bourgeoisie commence à craindre le retour de la stagflation. En 2022, la hausse des prix a freiné la consommation qui a porté la courte reprise de 2021. Les banques centrales sont déjà en alerte et prévoient de monter leurs taux pour juguler l’inflation… sans savoir jusqu’où. Dans une économie lourdement endettée, du côté des États comme des entreprises, un relèvement des taux trop brutal pourrait provoquer de lourds dégâts. Mais cela pourrait bien être une manière pour la bourgeoisie de repasser à l’offensive. Un remède en apparence contradictoire, misant sur une atrophie de la production pour relancer la croissance, mais qui permet, en liquidant les activités les moins rentables, de relever les profits moyens des capitalistes. Lors de telles crises, l’État et les banques centrales tentent de rétablir des équilibres en sauvegardant les intérêts généraux de la bourgeoisie, mais ils naviguent à vue, zigzagant dans une économie où chaque grande multinationale, chaque grosse banque ou fonds d’investissement court de son côté, en concurrence l’un avec l’autre, au profit le plus pressé, spéculant sur ce qui pourrait faire sa fortune de demain. Les lois économiques, souvent dépassées à peine élaborées, servent alors d’alibis pour imposer leur politique au service du maintien de ce système d’exploitation. Une politique dont les travailleurs et les peuples font toujours les frais… jusqu’à ce qu’ils se révoltent et imposent la leur !

M. S.


[1En 40 ans, la masse monétaire mondiale est passé de 64 % du PIB à 125 %, alors que l’inflation a fortement ralenti.

[2Le Monde, 13 juillet 2021.

[3En France, la reprise n’est pas passée par la politique monétaire, les théories monétaristes ne s’imposant que plus tard, mais grâce aux restructurations des entreprises menées principalement par l’État, avec des nationalisations qui ont permis une concentration des entreprises et leur modernisation, avant d’être privatisée une fois rentables, auxquelles s’est ajouté un gel des salaires.

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