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Accueil > Les articles du site > L’émancipation des femmes, un combat révolutionnaire…

Prolétaire, c’est aussi un féminin !

Mis en ligne le 11 mars 2021 Article Monde

Les manufactures, les industries ont fait appel massivement aux femmes à des périodes clés de l’histoire. Au 19e siècle (dès les années 1820, notamment dans l’industrie textile), la classe capitaliste a eu besoin de davantage de main-d’œuvre pour donner un coup de fouet à l’industrialisation, et les femmes ont progressivement intégré le marché du travail.

Cette nouvelle main-d’œuvre « habile et bon marché » avait pourtant été éloignée du travail salarié, pour rester « assignée au travail domestique », non moins épuisant. Les femmes, êtres réputés fragiles − n’est-ce pas ? −, devaient être « protégées ». Elles se voyaient ainsi refuser des métiers comme typographes, mais avaient tout à fait le droit de travailler dur, voire la nuit, en étant moins bien payées (comme plieuse de journaux et bien d’autres tâches). À cette époque, les perspectives étaient minces : aider gratuitement son mari pour nombre de femmes d’artisans ou aller bosser pour la grande bourgeoisie (blanchisseuses, lavandières) pour trois francs l’heure… être corvéable et devoir dire merci !

Plus tard, lors de la Première Guerre mondiale, les femmes ont été poussées au front du travail salarié pour remplacer les hommes mobilisés. En tant qu’infirmières, « munitionnettes », secouristes, sans que leur rôle social et économique ne soit davantage reconnu.

Les femmes au travail, oui, mais sous le régime de la ségrégation

Aujourd’hui, en 2021, la mobilisation générale des femmes dans le travail salarié s’est amplifiée. Elles sont partie intégrante de la classe ouvrière, y compris aux premiers rangs pour subir les différences de salaire, la précarité et les ségrégations dans certains emplois. Le 19e siècle est encore d’actualité.

Plusieurs arguments, qui se voudraient tous plus progressistes les uns que les autres, sont avancés par les hiérarchies et les institutions pour justifier ces inégalités. Pour illustrer l’inégalité salariale, et le fait que, à temps de travail égal, les femmes gagnent en moyenne 15 % de moins que les hommes à la fin du mois, des féministes ont fait un calcul : tout se passe comme si les femmes travaillaient « gratuitement » chaque jour à partir de 16 h 16. Et toutes les âneries circulent sur ces situations d’inégalité : en plus d’un manque d’autorité ou de confiance en elles (par « nature », n’est-ce pas ?), les femmes ne seraient pas assidues au travail. Elles s’absenteraient pour faire des enfants, ce qui les empêcherait de travailler durant ces si longs mois de congés de maternité ou de garde d’enfants. Autant de raisons – disent certains – pour les payer moins ou… ne pas les embaucher du tout ! Avant 1968 en France, des patrons s’assuraient – par les bons soins de la médecine du travail – que les nouvelles embauchées ne soient pas enceintes ! Une féministe et syndicaliste française, Marthe Bigot, soulignait déjà en 1921 cette aberration : « On a fait, pour la femme, de la nécessité une loi morale. Au lieu d’améliorer en sa faveur une loi naturelle (celle de mère), on s’en est servi contre elle. » Cent ans après, les mêmes sophismes empreints de mauvaise foi continuent de régir les esprits de « décideurs » de la société.

Outre le salaire, c’est le temps de travail qui est en jeu.

L’Insee a publié une étude en 2020 démontrant que l’activité à temps partiel est prégnante chez les femmes (30 % des femmes travaillent 15 heures par semaine ou moins contre seulement 8 % des hommes) : preuve vivante que la prise en charge des enfants, mais aussi les tâches ménagères, leur revient, de fait, davantage. Là où les familles, et les femmes, de CSP (catégorie socio-professionnelle) élevée (les cadres principalement) peuvent pallier en faisant appel à des aides ménagères, crèches et nounous, livraisons de repas, etc., les femmes plus pauvres qui ne peuvent pas se le permettre cumulent trop souvent « la double journée ». De toute façon, ces aides sont des pis-aller matériels qui ne résolvent pas le problème de fond, dans cette société capitaliste qui se prétend éclairée, car l’éducation des enfants continue de peser lourdement sur les femmes ! Ce n’est pas qu’en soi ces tâches seraient dégradantes – élever des gosses est certainement bien plus complexe, qualifié et socialement utile que d’être trader à la bourse –, mais ces tâches cantonnent les femmes dans la sphère privée et les excluent de la sphère sociale et politique.

Aujourd’hui, le surgissement de la vague #Metoo a fait prendre conscience de l’aspect universel du problème. À coup sûr, voilà qui donne des arguments, du courage et de la détermination aux femmes pour dire plus ou moins poliment à leurs conjoints de se « bouger les fesses ».

Harcèlement sexiste ou sexuel au travail

Ce sexisme dont les bulletins de salaire et les horaires de travail sont des pièces à conviction, est aussi ancré dans les esprits – ou, disons, là où des hommes placent le leur : dans les mains baladeuses. Dans les couloirs, dans les ascenseurs… des lieux de travail.

On a tous, et surtout toutes, en tête quelques blagues de collègues balourds… sur divers modes. Entre les remarques déplacées (« Il fait si chaud pour mettre une jupe aussi courte ? ») jusqu’aux sous-entendus de promotion-canapé (« T’es allée sous le bureau pour être montée en grade ? »), la liste est longue…

À la bêtise sexiste, s’ajoutent des actes… Le quotidien des femmes au travail, outre le mépris de genre qui s’ajoute au mépris de classe pour les « petites catégories » (femmes de ménage, employées, caissières), c’est aussi le harcèlement moral ou sexuel. En France, 19 % des femmes en ont été victimes à plusieurs reprises, 14 % ont reçu des remarques déplacées sur leur physique, soit au total un tiers des femmes harcelées au sens juridique du terme. Il faut ajouter à cela les femmes qui minimisent les actes subis ou qui n’osent pas en parler par crainte de perdre leur emploi. Une étude de l’Ifop réalisée sur deux mille femmes en 2018 révèle que 13 % d’entre elles ont subi des agressions sexuelles sur leur lieu de fonction : entendez par là un contact avec une zone érogène…

Est-ce du manque de culture ? Pas du tout ! Les milieux des cadres ou des professions intellectuelles sont plus touchés que le monde ouvrier. 40 % des femmes cadres auraient été harcelées par des collègues ou supérieurs, cadres eux aussi, contre 23 % dans le milieu ouvrier… bien souvent par des hommes en situation hiérarchique supérieure. Comme quoi, porter le costard trois pièces symbole de haute sphère et pouvoir, n’implique pas de respecter les femmes, au contraire.

L’année dernière, l’affaire Ubisoft (entreprise française de jeux vidéo, 15 000 employés) a fait du bruit sur la scène médiatique. Plusieurs hauts dirigeants de cette « grosse boîte dominée par la culture masculine » (c’est comme ça qu’on la présente) ont été accusés de harcèlements et de viols (lors de soirées d’entreprise dont la fameuse soirée de Noël avec alcool à volonté, payé par la boîte) et ce, sur des centaines de femmes. Managers et grands chefs imposaient quotidiennement leurs blagues et pulsions perverses à leurs subalternes, tout cela dans une atmosphère qu’ils qualifiaient de bon enfant. En réalité, c’est plutôt l’ambiance « fraternités de campus américain » qui domine et des journées ponctuées par un chef réputé maniaque de la main aux fesses. La DRH (amie du PDG) excusait ces messieurs en disant que « ce sont des créatifs, c’est comme ça qu’ils fonctionnent »… et montrait la porte à celles venues relater les faits.

Dans ces situations, la résignation et surtout la peur fondée de perdre son emploi retiennent souvent de s’organiser entre collègues, d’aller à dix, vingt ou cent dire tout le bien qu’on pense des idiots congénitaux qui siègent en hauts lieux. Les oppresseurs jouent d’ailleurs avec cette peur, présente dans tous les milieux, mais particulièrement forte dans les milieux de pouvoir. On l’a encore vu (même si on nous parle de rumeurs infondées, d’affabulations) avec la mise en accusation de Patrick Poivre d’Arvor par l’écrivaine Florence Porcel, dénonçant des abus sexuels à au moins deux reprises…

Mais quand les femmes se lâchent…

Le ras-le-bol peut prendre le dessus. Des infirmières et des aides-soignantes en lutte à la fin des années 1980, dans un mouvement qui, à plusieurs reprises, les a vues manifester à dix-mille dans les rues de la capitale, avaient pris pour bannière le slogan : « Ni bonnes, ni nonnes, ni connes ! »…

On peut remonter plus loin en arrière. Avec l’explosion de l’industrialisation en Europe, arrivent les premières luttes des femmes ouvrières. Non seulement pour les salaires aux côtés de leurs camarades hommes, comme à Limoges dans les usines de porcelaine où elles sont payées en moyenne deux fois moins. Mais également pour leur dignité et contre le harcèlement sexuel sur leur lieu de travail. Une très vieille histoire !

À Limoges précisément, en 1905, une grève éclate dans l’usine de porcelaine de Charles Haviland pour le renvoi d’un contremaître nommé « Penaud » pratiquant viols, harcèlements (ou « droit de cuissage » selon la formule connue) et répression contre les récalcitrantes. Voulant à tout prix rétablir le travail aux pièces, dans des cadences toujours plus infernales, il demandait aussi aux femmes de lui accorder un « traitement spécial » (des « dons » en nature ou en argent par exemple, sans lesquels elles pouvaient se faire virer).

Dans cette grève, les syndicats suivent rapidement. Les femmes veulent que Penaud dégage, ou du moins qu’il soit rétrogradé. Le ton monte et la grève s’étend à d’autres usines de Limoges avec des occupations et des manifestations durant tout le mois d’avril. En face, le patronat solidaire décide d’un lock-out généralisé qui met 13 000 porcelainiers au chômage. Le mouvement se poursuit et prend une allure insurrectionnelle avec l’intervention de l’armée le 14 avril, l’envahissement de l’usine le 15 avril par un millier de manifestants et enfin, l’intervention de l’infanterie. Finalement, le 24 avril, le patron craque et envoie une lettre ouverte signifiant qu’il rouvrirait l’usine en renvoyant le contremaître. À noter que, déjà à l’époque, un notable socialiste, le maire de la ville, minimisait les conflits en arguant que les faits « n’étaient d’aucune gravité exceptionnelle ». C’est pourtant bel et bien grâce à cette grève, que justice fut faite contre cet homme abject, symbole d’une hiérarchie abusant de son pouvoir.

(Photo : grève des ouvrières d’usine de Douarnenez, novembre 1924. Crédit : Cedias – Musée Social)

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