Le 8 mars : journée internationale des femmes, à l’initiative du mouvement ouvrier révolutionnaire
Il est bien significatif que cette journée symbolique de luttes pour les droits des femmes, ce 8 mars, a été impulsé par la IIe Internationale à l’époque où elle était encore révolutionnaire, et en particulier par Clara Zetkin, militante révolutionnaire du Parti social-démocrate allemand – auquel appartenait aussi Rosa Luxemburg.
Clara Zetkin et les révolutionnaires de l’époque étaient convaincus que l’émancipation des femmes passait par la lutte du prolétariat sans distinction de sexes (rappelons qu’Auguste Bebel, militant ouvrier de la social-démocratie allemande, a écrit en 1879 un ouvrage qui reste une référence, avec précisément pour titre La femme et le socialisme). Clara Zetkin militait pour que les femmes prennent davantage de responsabilités dans le Parti social-démocrate et pour que le parti s’adresse aux femmes prolétaires et leur parle d’émancipation et de socialisme. Ainsi, un des points des statuts du parti prévoyait que les femmes, pour les congrès, puissent désigner des déléguées si aucune femme n’avait été élue dans les sections locales. Combat difficile mais qui a permis de passer de 25 déléguées en 1901 à 407 en 1907. Elle contribue aussi à ce que soit mise en place, à la veille de chaque congrès, une « conférence féminine » qui permet de les préparer. La pratique s’étendra à toute l’Internationale, avec ses « conférences féminines internationales », qui n’étaient pas fréquentées par les seules femmes.
C’est ainsi qu’en 1907, lors de la première conférence internationale des femmes socialistes, à Stuttgart, Clara Zetkin fait adopter une résolution spécifiant que « les partis socialistes de tous les pays ont le devoir de lutter énergiquement pour l’instauration du suffrage universel des femmes ».
En 1910, à la deuxième conférence, à Copenhague, est adoptée l’idée d’une journée dédiée aux revendications spécifiques aux femmes, à l’échelle internationale. Est réintroduite la résolution en faveur du droit de vote pour les femmes. Les révolutionnaires socialistes relaient les combats des suffragettes et leur donnent une nouvelle force et une tonalité révolutionnaire.
En 1919, dans l’élan de la révolution russe qui a amené le prolétariat au pouvoir, les bolchéviks et Lénine jettent les bases d’une IIIe Internationale. Lors du 10e congrès du Parti communiste russe (bolchevique) qui s’ouvre le 8 mars 1921, ce 8 mars devient jour férié dans la future Union soviétique. Un hommage rendu aux ouvrières du textile de Saint-Pétersbourg dont les mobilisations en février 1917, pour réclamer du pain et le retour des hommes envoyés au front, a sonné le début de la révolution.
Femmes révolutionnaires et leurs luttes
En France, il y a eu la Commune de 1871, où pendant deux mois, Parisiennes et Parisiens monteront « à l’assaut du ciel », comme l’écrivit Marx, et tenteront la première expérience d’État ouvrier. Des mesures prises d’une grande avant-garde : l’officialisation de l’union libre, la reconnaissance légale de tous les enfants nés hors mariage, l’interdiction de la prostitution, le droit à une pension alimentaire, l’éducation pour tous les enfants, etc. Ces revendications sont le fruit du travail conjoint des hommes et des femmes de la Commune. Ces dernières n’ont pourtant pas le droit formel d’y voter – dommage ! – mais elles investissent bien d’autres espaces.
Une mention spéciale pour Louise Michel, institutrice et militante féministe révolutionnaire, élue présidente du Comité de vigilance des citoyennes du XVIIIe arrondissement de Paris. Elle est de tous les combats dès le 4 septembre et jusqu’au 18 mars. Durant la Commune, elle s’investit aussi pratiquement à tous les niveaux : aux réflexions sur l’enseignement, dans les soins aux blessés, dans les clubs.
Un mot également sur un ouvrage, La jeunesse d’une ouvrière, autobiographie d’Adelheid Popp. C’est une femme devenue dirigeante de la sociale-démocratie autrichienne, première femme déléguée par le Parti social-démocrate autrichien à un congrès de la IIe Internationale. Elle commence à travailler à l’âge de douze ans dans une usine de textile où elle est gagnée aux idées socialistes, entre autres par le contenu d’un journal, l’Arbeiter-Zeitung (Journal des travailleurs), qui la fait réfléchir à sa condition d’ouvrière. Elle en deviendra plus tard rédactrice en chef. Et militante qui parcourt toute l’Autriche pour faire campagne en faveur de la protection des ouvrières, du « salaire égal à travail égal », de l’égalité politique des femmes.
Des luttes de femmes ouvrières, des figures de militantes, on pourrait en citer des centaines.
Avec le stalinisme, retour en force de valeurs bourgeoises
La situation connaît quelque changement avec le basculement, à la fin des années 1920, de l’URSS révolutionnaire vers le stalinisme, et ses conséquences sur le mouvement communiste international. Les masses ouvrières perdent alors le contrôle sur la bureaucratie soviétique et la stalinisation engendre une réaction dans la vie politique comme dans les mœurs, qui se traduit pour les femmes par un retour en force de valeurs bourgeoises dans la nouvelle Constitution de 1936 (au moment des procès de Moscou) ; retour en arrière contre le droit à l’avortement, restrictions aux possibilités de divorce ; pressions pour que les femmes – avec la restauration des vertus du mariage – soient avant tout des procréatrices, au nom de « [la protection] de la nouvelle famille soviétique ».
En France, le Parti communiste français stalinisé suit la même route. En 1936, il cesse entre autres de demander l’abrogation de la loi qui fait de l’avortement un crime. Pas plus que les autres partis de gauche, membres ou soutiens du gouvernement de Front populaire, il n’exige le droit de vote pour les femmes. À partir de 1945, et alors qu’il a des ministres, il instaure la célébration de la fête des mères et se fait le « défenseur des familles françaises » au point qu’en 1956, il s’oppose même à une loi sur le contrôle des naissances comme à la légalisation des moyens de contraception.
Le retour en force d’une conception bourgeoise de la famille et de la place des femmes dans la société, professée par le Parti communiste français jusqu’à mai 68 – quasiment rétrograde pour l’époque –, a eu pour conséquence, du fait de la mainmise du PCF sur la classe ouvrière, une fracture entre le mouvement ouvrier et les mouvements féministes, ou plus exactement l’éclosion de mouvements féministes en dehors du mouvement ouvrier.
En France, le réveil des luttes féministes des années 1960 et 1970 – lié à des phénomènes mondiaux de révolte de 1968 – se fait en dehors des partis réformistes, Parti communiste et Parti socialiste, qui ne font plus du tout rêver les femmes ! Apparaissent les nombreuses ramifications du MLF (Mouvement de libération des femmes), le Mlac (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception), les médecins du GIS (Groupe infos santé), les militants et militantes du Planning familial, pour ne citer que les groupes les plus importants.
C’est avec les courants de l’extrême gauche révolutionnaire de l’époque que se tissent des liens et des solidarités souvent fortes : avec la Ligue communiste (ancêtre du NPA), très engagée dans les luttes féministes ; avec Lutte ouvrière, engagée elle aussi à sa façon spectaculaire qui consiste à casser un lourd plafond de verre en présentant à l’élection présidentielle de 1974 Arlette Laguiller, une femme et une travailleuse : en fait la première femme à se présenter à une élection présidentielle dans l’histoire de France. Au point qu’un célèbre et classique jeu de société quizz sur l’histoire de France (dont on taira le nom pour ne pas faire de pub commerciale), a une petite carte qui interroge : quelle fut, en France, la première femme candidate à l’élection présidentielle ? Vous avez gagné, c’est Arlette Laguiller ! Le jeu ne précise pas « travailleuse », « femme », ni surtout d’extrême gauche – mais l’alliance des trois n’était pas un hasard.
Sa prestation télévisée en mai 1974 réaffirmait à sa façon que la révolution prolétarienne serait féministe ; que la révolution féministe serait prolétarienne… ou que ni l’une ni l’autre ne serait.
Mots-clés : Droits des femmes | Histoire | Mouvement ouvrier