Prisons en France : le Covid alourdit la peine
1er novembre 2021 Convergences Société
(Photo : prison de Villeneuve-lès-Maguelone, près de Montpellier, Xavier Malafosse, https://commons.wikimedia.org/wiki/...)
Début 2020, on comptait plus de 70 000 détenus en France, dans des prisons sur-occupées et inadaptées – à supposer qu’une prison soit adaptée à la vie ! Le risque sanitaire était connu. Face à l’urgence, au cours du premier confinement et dans les mois suivants, le nombre de prisonniers avait diminué de 13 500, une baisse inédite, mais qui n’a pas duré [1].
Avec la deuxième vague, l’épidémie de Covid s’est rapidement développée dans ces espaces clos, au point de dénombrer 33 clusters en octobre 2020 [2]. Des mesures d’isolement se sont alors ajoutées partout aux conditions d’enfermement déjà en vigueur. Un an plus tard, le niveau d’occupation des prisons est déjà presque revenu au niveau d’avant l’épidémie, plus de 68 000 détenus, et dans des conditions encore dégradées [3].
L’enfermement, une longue attente
Un détenu passe la plus grande partie de la journée dans sa cellule, avec un ou plusieurs autres codétenus. Lorsque les prisons sont occupées à 180 %, comme cela peut arriver dans certaines maisons d’arrêt [4], l’espace déjà réduit est presque entièrement couvert par des matelas supplémentaires posés au sol [5].
En prison, tout se paie : la télé, le frigo, le téléphone en cabine, le papier toilette, les cigarettes… Pourtant, 22 % des personnes incarcérées sont dites en « pauvreté carcérale » et disposent de moins de 50 euros par mois, alors que les dépenses nécessaires à la vie en prison sont estimées à 200 euros [6]. De quoi ajouter aussi aux tensions de la cohabitation forcée.
Et le temps est long : une promenade dans la cour bétonnée, trois douches par semaine quand c’est possible… Près de 25 % des détenus travaillent, même si le Smic n’existe pas en prison [7]. Et lorsque des activités existent, et qu’il existe des places en nombre significatif, beaucoup de détenus sont volontaires (sport, cours de formation…). Mais ces rares activités sont encore plus limitées dans le contexte actuel.
Clusters et isolement
Avec la pandémie, les prisons ont pris des mesures de confinement pour des personnes déjà soumises à l’isolement. Les parloirs ont été presque toujours suspendus. Pour les prisonniers qui voient encore leurs proches, il s’agit d’un moment fort : souvent le seul lien avec l’extérieur. Plusieurs mouvements de prisonniers ont eu lieu à l’annonce de leur suspension [8], comme à la maison d’arrêt de Grasse où les détenus ont tenté d’atteindre les toits pour marquer leur protestation.
L’enseignement en prison, qui concerne 17 % des détenus, a lui aussi été stoppé. Bien sûr, les mineurs détenus n’aiment pas davantage l’école dedans qu’ils ne l’ont aimée dehors. Mais aller à ces cours, c’est aussi élargir le triste horizon qui se résume à la cellule, le quartier pour mineur, et parfois même la fenêtre du premier étage par laquelle on jette un œil…
Pour la préparation des examens, tout s’est arrêté. L’expérimentation d’un accès à internet pour les prisonniers, notamment dans le cas de l’enseignement, a été lancée par le ministère de la Justice en 2007 dans moins de dix établissements pénitentiaires, mais rien n’a encore changé en 2021. Tant pis pour l’insertion à la sortie !
Après des mois d’arrêt de toutes les activités collectives, la reprise est difficile. Parfois elle n’a pas encore eu lieu. Pas de sport, pas d’ateliers, alors que les possibilités sont déjà réduites en temps normal. Depuis 2015, l’administration pénitentiaire était de plus en plus exigeante avec ses partenaires associatifs : vidéosurveillance (avec le son) dans tous les ateliers, contrôle de la communication des intervenants hors de la prison, et autres exigences qui avaient abouti à mettre fin aux interventions bénévoles des étudiants dans le cadre d’une des principales associations concernées : le Génepi [9].
La prison ne prépare à rien d’autre qu’à la récidive
Privés de beaucoup en temps normal, il n’y a rien d’étonnant à ce que des prisonniers cherchent à s’équiper en cachette de portables. Avec le confinement, la débrouille a été le seul moyen de faire face aux restrictions, quitte à l’ancrer encore plus dans le quotidien des détenus.
La prison isole, certes, mais elle est censée aussi préparer le retour à la vie dehors. Il n’en est pourtant rien. La récidive est plus forte pour les condamnés ayant connu la prison que pour ceux ayant bénéficié d’un sursis ou d’une peine alternative, selon le ministère de la Justice lui-même [10]. Désocialisante, la prison coupe les détenus de leur travail, de leurs amis et souvent de leur famille.
63 % des personnes condamnées à une peine de prison ferme récidivent dans les cinq ans, et le chiffre est encore plus élevé pour les mineurs et les jeunes majeurs. La punition est là, inhumaine, mais la réinsertion ne marche pas.
Les peines alternatives s’ajoutent aux emprisonnements
La sur-occupation des prisons, et leur coût supérieur aux autres peines [11], a conduit depuis plusieurs années à mettre en avant des peines alternatives. En 2018, le « plan prison » lancé par Nicole Belloubet visait à augmenter le nombre de places, mais mettait en avant le travail d’intérêt général et le bracelet électronique, pour la détention à domicile. Éric Dupond-Moretti, actuel ministre de la Justice, communique à nouveau sur une plateforme indiquant les places disponibles de travail d’intérêt général, pour aider les avocats à plaider une demande de TIG. Une mesure qui ressemble plus à une déclaration d’intention, comme le bracelet anti-rapprochement mis en place par la loi en 2019, et quasiment inutilisé depuis.
Dans un État qui mise sur la répression, la possibilité du bracelet électronique s’ajoute aux condamnations à la prison : on condamne plus facilement au bracelet ceux qui n’auraient pas été écroués auparavant, tandis que les détentions restent toujours aussi nombreuses.
La loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire » (tout un programme !) en cours d’examen à l’Assemblée poursuit dans la même voie. Au mieux, des réformes cosmétiques, limitant seulement le recours à la détention provisoire au-delà de huit mois, en incitant les juges à la remplacer par une mesure de surveillance électronique. Au pire, la fin des crédits de peines automatiques (retirés au détenu seulement en cas d’incidents jusqu’à présent) qui réduisent la durée d’emprisonnement. Désormais, le détenu devrait faire la preuve de sa bonne conduite pour espérer en bénéficier.
La petite musique sécuritaire qui s’enclenche une fois de plus lors de la campagne présidentielle, cache mal les impasses de cette politique. Et l’indigne réalité : des prisons surchargées, des prévenus pas encore jugés, une récidive endémique, des conditions inhumaines… Suite logique aux violences policières et à une justice de classe.
Cécile Marcel, directrice de la section française de l’OIP, a écrit très justement : « la France se distingue par un cadre légal qui prévoit des peines tellement longues qu’elles en perdent tout sens, comme l’expriment régulièrement les personnes qui travaillent auprès des condamnés : pendant les dix premières années, il leur est encore possible d’évoluer, de construire un projet, de mener une réflexion sur les actes qu’ils ont commis et comprendre la sanction ; au-delà, c’est souvent peine perdue faute de pouvoir se projeter dans un avenir autre que carcéral. S’ensuit, pour beaucoup, une dégradation psychologique, mais aussi physique : la vue qui décline, la perte du goût, de l’odorat, des repères spatio-temporels, etc. À tel point que certains finissent par n’être plus adaptés à toute vie en dehors de la prison. Et pour ceux qui sortent un jour, on a multiplié, ces dernières années, les possibilités de leur imposer à leur libération des mesures de sûreté susceptibles d’entraver encore leur réinsertion. Ainsi, la peine de mort a certes été abolie, mais on l’a remplacée par des peines infinies, qui s’inscrivent clairement dans une perspective de neutralisation de certains individus et ne constituent rien d’autre qu’une forme de “mort sociale”. […] Comment se réjouir d’avoir aboli la peine de mort, d’avoir aboli la torture, quand, tous les jours dans les prisons françaises, des milliers de personnes continuent d’être soumises à des traitements inhumains et dégradants ? »
La société bourgeoise enferme, écarte de la société, punit ainsi celles et ceux dont les comportements la gênent. Sont-ils amendables et comment ? Ce n’est pas un sujet pour cette société d’exploitation et d’oppression.
Pierre Hélelou
La prison en chiffres
61 000 places de prison sur 187 établissements pénitentiaires
68 000 détenus :
- 96,5 % d’hommes et 3,5 % de femmes ;
- 1 % de mineurs, mais près de 3 000 qui passent par la prison chaque année, dont 80 % en détention provisoire et essentiellement sur de courtes périodes ;
- 30 % de prévenus (soit environ 20 000 personnes), c’est-à-dire de prisonniers en attente de leur jugement et qui n’ont pas encore été condamnés ;
- les condamnations les plus courantes concernent : les vols et atteintes aux biens (28,3 %), les infractions à la législation sur les stupéfiants (18,2 %), avant les violences contre les personnes (15,6 %) ou les violences sexuelles (10,7 %) et les homicides (9,9 %).
15 000 personnes sous surveillance électronique (la plupart à domicile)
Récidives : 63 % dans les cinq ans qui suivent la sortie de prison (contre 33 % de récidive pour des condamnations à des travaux d’intérêt général ou des peines de prison avec sursis assorties d’une mise à l’épreuve)
Sources : Observatoire international des prisons (OIP, section France), Commission de suivi de la détention provisoire. Direction de l’administration pénitentiaire.
[1] Sur le site de l’OIP (Observatoire international des prisons), Décroissance carcérale et Covid-19 : une occasion manquée
[2] On compte 187 établissements pénitentiaires au total.
[3] La croissance du nombre de détenus dans les prisons françaises inquiète, Le Monde, 27 juillet 2021
[4] D’après Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, citant l’exemple de Nîmes (interrogée par FranceInfo le 20 octobre 2020).
[5] La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France pour traitements inhumains et dégradants en raison des conditions de détention dans un arrêt du 30 janvier 2020 : « les taux d’occupation des prisons concernées révèlent l’existence d’un problème structurel », la cour demandant « l’adoption de mesures générales visant à supprimer le surpeuplement et à améliorer les conditions matérielles de détention ».
[6] Le dernier rapport détaillé sur la question, réalisé par le Sénat, date du 29 juin 2000 : très peu de statistiques ont été faites depuis sur la question, qui ne semble pas prioritaire…
[7] Le salaire, entre 20 % et 45 % du Smic ou même à la pièce, n’est pas non plus versé intégralement : une partie est gardée par la prison, et une autre pour le pécule de sortie. Au total, un prisonnier ne gagne que de l’argent de poche.
[8] Adeline Hazan, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, indiquait un « risque de mutineries » dès avril 2020.
[9] Le Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées est intervenu sur plusieurs dizaines d’établissements pénitentiaires, de 1976 à 2019. Il a annoncé sa dissolution en 2021, refusant de poser « un vernis humanitaire » sur le système carcéral. Si le communiqué de dissolution est contestable sur bien des points, les pressions sur l’association étaient bien réelles depuis 2010 et plus encore après 2015.
[10] Le ministère indiquait en 2014 que « la récidive est toujours moindre après des sanctions non carcérales » (cité sur le site de l’OIP, « la prison permet-elle de prévenir la récidive ? »).
[11] 105 euros par personne détenue par jour, contre 50 euros en semi-liberté et 10 euros avec un bracelet électronique.
Mots-clés : Prisons