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Princes de fric et princes de sang

17 avril 2021 Article Monde

« Cérémonie très intime » a-t-on décrété à Buckingham Palace, pour enterrer, samedi 17 avril, le mari de la reine. « Très intime »… mais en mondiovision. En direct sur France 2 par exemple, pendant qu’en Grande-Bretagne, la BBC a reçu 110 000 plaintes de téléspectateurs qui en avaient ras-le-bol de toutes ces émissions sur les mérites de ce vieillard, dont la seule fonction pendant plus de 70 ans a été (à part de toucher une royale pension) de parader aux côtés d’une reine, aujourd’hui de 95 balais, potiche elle aussi, aux chapeaux fluos.

Macron ne sera pas de la fête, Covid oblige. Mais il a tenu à saluer la « vie exemplaire définie par la bravoure, le sens du devoir et l’engagement envers les jeunes » du pseudo-monarque.

Et si la julie d’un petit-fils du défunt n’y sera pas non plus, c’est que feu le duc l’avait bannie de son entourage : un petit-fils de reine n’épouse pas une roturière, même top model, sans compter sans doute quelques considérations racistes et inquiétudes sur la « couleur du bébé », qui ont poussé le couple princier à l’exil (le grand-père Philip préférait sans doute son rejeton quand il paradait en soirée dans un uniforme des SS ?). Par contre, une cousine de luxe du duc rehaussera le prestige de la cérémonie : la comtesse Mountbatten de Birmanie, fille ainée de Lord Louis Mountbatten, dernier vice-roi des Indes et vicomte de Birmanie du temps où l’Angleterre dominait ces pays, celui qui fut le tuteur du prince Philip dans sa jeunesse. Le passé de tous ces princes et princesses, et du vice-roi en question, n’a rien à envier au présent des militaires birmans d’aujourd’hui qui ont fait un coup d’État et massacrent le peuple, tant ceux-ci ne font que reproduire les mœurs de l’armée britannique du temps de la colonisation et tant leur racisme vis-à-vis des diverses minorités du pays (les Rohingyas notamment) est l’héritage direct de la politique de division de la population menée en son temps par le pouvoir colonial.

Quant à la « vie exemplaire » du prince lui-même, parlons-en.

Né prince Philippe de Grèce et de Danemark, issu d’une famille dano-allemande ayant régné sur la Grèce depuis 1863 et définitivement chassée seulement en 1973 après plusieurs successions d’exils et de restaurations au fil du siècle. Une famille qui a régné du temps où l’empire britannique faisait aussi la loi dans ce pays (une tutelle de la Grande-Bretagne qui ne s’est achevé qu’après la Seconde Guerre mondiale et la mise en place d’un régime grec chargé de faire la chasse aux résistants communistes, dont les têtes étaient mises à prix, payées à la pièce aux miliciens grecs d’extrême droite chaque fois qu’ils en ramenaient une en trophée). Glorieuse couronne ! C’est d’ailleurs au cours d’un des exils de ces monarques haïs en leur pays que le petit Philip, après quelques années passées en France aux côtés de la princesse Marie Bonaparte, finit par atterrir en Grande-Bretagne, accueilli par la famille de sa mère, les Mountbatten, descendants de la reine Victoria, et dont il a finalement pris le nom. L’aristocratie n’a alors pas de frontière…

C’est avec « esprit de sacrifice » et « sens du devoir » qu’il avait plus tard troqué ses titres (devenus sans effet) sur la Grèce et le Danemark contre une étiquette de duc d’Édimbourg, et en prime les vastes propriétés terriennes et émoluments qui vont avec, lorsqu’il a boosté sa carrière en épousant la future reine d’Angleterre. Elle était la fille de son cousin à la mode de Bretagne, puisque dans ce monde-là les mariages consanguins sont de rigueur si l’on veut rester un étalon pur-sang de la noblesse.

Et pendant trois quarts de siècle, en uniforme chamarré ou en kilt de l’armée royale selon les jours, il n’eut plus qu’à afficher ses photos dans les pages des tabloïds pour illustrer tous les crimes de l’empire britannique. Même si, une fois finie la domination sanglante de l’Inde en 1947, la marine britannique (dont il fut promu « grand amiral » à 90 ans) n’eut plus qu’à s’illustrer en 1982 en partant en guerre aux Malouines, de petites îles aux crevettes, afin de montrer les restes de sa puissance. En bon noble racé qu’il était, le « prince consort » (le plus honorable de ses multiples titres) avait évidemment le racisme à fleur de peau. Peu importe, il était bien séant dans la presse britannique de présenter les propos racistes, sexistes ou autres dont il était coutumier comme de simples petites maladresses de langage, ou de franches plaisanteries d’un prince « moderne ».

Deux minutes devant France 2 ce samedi 17 avril (difficile de tenir plus sans péter les plombs), et on se croyait au Moyen Âge. Détrompez-vous. Notre monde technique ultra moderne a aussi ses dynasties aux fortunes héréditaires, des Dassault, de père en fils princes de l’aviation de guerre sophistiquée, des Peugeot, de père en fils rois de l’automobile, faisant tous si bon ménage avec un roi d’Arabie saoudite ou quelques émirs du pétrole qui sont à la fois de sang royal, possesseurs de clubs de foot et actionnaires de quelques très républicains groupes, comme Volkswagen (la « voiture du peuple » pourrait-on traduire).

Olivier Belin

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