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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 35, septembre-octobre 2004

Où en sont les intermittents du spectacle ?

30 septembre 2004 Convergences Société

Malgré les grèves de l’été 2003, les intermittents n’ont pas obtenu l’annulation de la réforme de leur régime spécial d’indemnisation chômage. Depuis un an ils n’ont cependant pas cessé d’inquiéter le gouvernement, notamment par des actions ciblées sur les cérémonies officielles. Ainsi en février, lors de la remise des Césars, la comédienne Agnès Jaoui, en déclarant publiquement devant le ministre qu’elle ferait peut-être mieux de s’adresser directement au Medef, exprimait avec justesse la rancoeur d’une grande partie des professionnels du spectacle.

Face à la contestation persistante et au lendemain de la défaite de l’UMP aux élections régionales, Chirac choisissait de faire un geste pour apaiser les esprits. Le nouveau ministre de la culture, Donnedieu de Vabres, était nommé le 31 mars, avec pour mission de reconsidérer le problème. Hélas pour lui, le 19 avril, la cérémonie des « Molières » capotait sous ses yeux du fait de la grève du personnel technique du Théâtre des Champs Elysées !

Il était temps pour le nouveau ministre d’annoncer des mesures concrètes, ce qui fut fait le 4 mai : révision du droit aux congés maternité et la création d’un fond de soutien provisoire pour repêcher quelques 13 000 intermittents qui avaient perdu leur droit à être indemnisé à cause du nouveau mode de calcul.

Ajustements à une réforme qui 11 mois après sa signature ne « passait » toujours pas, ces concessions ont été loin de satisfaire les intermittents qui manifestaient à nouveau quelques jours plus tard à Cannes. La plupart d’entre eux demandaient l’abrogation de la réforme. Après discussions avec la direction du festival, les intermittents apparaissaient derrière le mot d’ordre plus consensuel de négociation. Cette atténuation n’a pas manqué de provoquer des remous parmi les « interluttants », comme les plus radicaux se définissent parfois eux-mêmes. D’autant plus que la police montrait au même moment ce qu’elle entendait par négociation : son intervention pour faire évacuer un cinéma accueillant une projection du Marché du film occupé par les contestataires faisait plusieurs blessés.

Deux concessions

Le droit de toucher l’allocation spécifique est accordé aux intermittents en fonction des heures de travail qu’ils ont fournies au cours des mois précédents. Avec la réforme du mode de calcul, les intermittentes qui choisissaient d’avoir un enfant et qui devaient donc pour cela s’arrêter de travailler pendant plusieurs mois, se trouvaient de fait exclues du régime par la suite. Cette mesure était une des plus scandaleuses de la réforme de juin 2003. Le ministre a dû revenir au mode de calcul qui était en vigueur avant celle-ci : pour le calcul de leur droit les femmes enceintes se verront désormais attribuer un forfait de 5 heures de travail par jour de congé maternité. Elles pourront bénéficier du régime spécifique d’assurance chômage à la sortie de celui-ci et garder toutes les chances de pouvoir réintégrer leur milieu professionnel.

Depuis que la réforme du mode de calcul des indemnités chômage des intermittents est entrée en application, le 1er janvier dernier, plus de 20 000 intermittents en auraient privé. La mise en place du fond spécifique provisoire (une contribution de l’Etat d’environ 20 millions d’euros) va permettre à une partie d’entre eux de bénéficier à nouveau du régime spécial d’indemnisation chômage plutôt que de se retrouver avec l’ASS ou le RMI.

Remarquons que si le ministre a sorti quelques sous de sa poche, il s’est bien gardé en revanche de contraindre le patronat de l’audiovisuel à embaucher en CDI les intermittents qui travaillent en permanence dans ce secteur. Et pas davantage ceux de l’audiovisuel public qui dépend directement de lui. Le ministre n’a pas non plus touché aux caisses des grands trusts, comme Eurodisney qui, à Marne-la-Vallée, profite directement du travail des intermittents, ou Virgin, qui fait ses profits en vendant des DVD réalisés par des sociétés employant des intermittents.

Petite politique et gros mensonges

La réforme du statut des intermittents a donné naissance à d’innombrables rapports et expertises. Une commission d’information parlementaire, qui doit elle aussi rendre prochainement un rapport, a fait la tournée des festivals cet été. Après l’incendie de l’été précédent, il s’agissait de prendre la température, notamment auprès des directions de festivals. S’adressant à ceux des intermittents qui réclament toujours l’abrogation du nouveau protocole, le député UMP Paillet, qui préside cette commission, a expliqué qu’avec la mise en place du fond de soutien et la reprise des intermittents exclus, on était « revenu à la situation précédente ».

En réalité, le protocole signé en juin 2003 est loin d’être abrogé. Les exclus n’ont été repêchés que provisoirement, et pour la majorité des intermittents qui ont totalisé suffisamment d’heures pour garder le droit à une indemnité, le nouveau mode de calcul est en train de produire ses effets pervers : baisse des allocations pour certains, hausse peut-être pour d’autres... Nul ne peut dire en effet quelles seront les conséquences ultimes de la réforme, dont la mise en application s’étale sur deux ans. Les intermittents sont en tout cas plus que jamais dans l’incertitude et les plus vulnérables attendent avec appréhension leurs « avis de paiement » de l’Assedic.

Faire barrage au pire

Le 2 août dernier, Donnedieu de Vabres déclarait sur Europe 1 « Une première étape a été franchie. Un certain nombre de gens qui étaient exclus du système ont été réintégrés », puis « j’ai une nouvelle phase devant moi qui est de trouver et bâtir un système définitif ». Il veut « mieux délimiter qui a droit à ce système, comme ça ce sera incontestable ». De toute évidence le ministre n’aime ni le provisoire... ni la contestation qui l’accompagne.

Le député Paillet est dans le ton, fidèle à l’objectif que le Medef s’était fixé avant la réforme. Lors d’un débat sur France culture le 18 août, il a dévoilé le fond de sa pensée. Selon lui, les « chauffeurs routiers qui conduisent les camions, ou ceux qui montent les praticables pour les grands spectacles [...] ne relèvent pas de la création culturelle [...] et donc mériteraient de dépendre des annexes 4 ». L’annexe 4 définit le régime d’assurance chômage réservé aux intérimaires, qui est bien moins avantageux que celui accordé aux intermittents du spectacle.

La prochaine mouture du régime spécial d’indemnisation est annoncée pour début 2005 au plus tôt. Le souhait du gouvernement est évidemment que les intermittents la reçoivent en ordre dispersé et que certains dans l’espoir d’être un peu mieux traités acceptent de se désolidariser d’autres. A l’heure où la précarité progresse partout, ce serait pourtant un bien mauvais calcul que des précaires acceptent que certains soient classés plus précaires que d’autres.

18 septembre 2004

Laurent VASSIER


Quand le cœur n’y est pas...

Lors de la « tournée des enfoirés » en soutien aux « restos du cœur », qui eut lieu en mars, des membres de la Coordination des intermittents et précaires d’Ile-de-France ont cherché à joindre par téléphone chacun des artistes qui devait y participer, dans le but de les décider à intervenir devant leur public en faveur de l’abrogation de la réforme du statut des intermittents. Mais ces grandes vedettes du showbiz ont presque toutes refusé. Les intermittents qui avaient entrepris cette démarche ont du prendre acte de ce qui sépare un engagement « humanitaire » d’un engagement - forcément politique - auprès de ceux qui luttent.

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