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Lutte des intermittents du spectacle : « Ce n’est qu’un au revoir »

31 mai 2021 Article Politique

(« Ce n’est qu’un au revoir » est le titre du communiqué des occupants dans l’Odéon par lequel ils annoncent la levée de leur occupation).

(Illustration : Les occupants de l’Odéon une fois leurs valises posées au Centquatre. Source : page facebook Occupation Odéon)


À ce jour, au moins trois occupations de théâtre ont pris fin. Au théâtre de l’Odéon, dont l’occupation avait lancé la mobilisation au mois de mars, les intermittents ont quitté les lieux dimanche 23 mai au petit matin pour poser leurs valises un peu plus loin, au Centquatre, un espace culturel parisien. Ceux de l’Opéra de Lyon et du théâtre de Nice se sont également retirés et à la Criée à Marseille, la situation est tendue.

Chantage à la réouverture

Depuis quelques jours, un véritable chantage à la réouverture se met en place, initié par les directeurs de ces quatre établissements au diapason de la ministre de la Culture Roselyne Bachelot. Mercredi 12 mai, ils se fendent d’un « Appel à lever les occupations » sous prétexte que celles-ci empêcheraient la reprise des spectacles. Un comble, quand on sait que la réouverture des lieux de culture fait partie des revendications de toutes les occupations depuis le début.

Le problème des intermittents n’était en rien d’empêcher les spectacles, bien au contraire : à l’Odéon, par exemple, les occupants ont proposé une organisation permettant aux spectacles de se dérouler. « On voulait qu’il [le spectacle] ait lieu avec une occupation qui nous permette de parler, qui nous permette d’afficher des banderoles » explique le secrétaire de la CGT Spectacle.

Des banderoles dans le décor ? Parler au public ? Vous n’y songez pas : les spectateurs sont là, renvoyez les revendications sociales dans les coulisses !

Un opéra pour quatre mois

Le scénario n’est pas celui qu’affirment les directeurs : eux estiment avoir satisfaction, leurs spectacles vont reprendre et leurs tiroirs-caisses se remplir. Mais du côté du personnel ? Le 11 mai, les ministères de la Culture et du Travail annonçaient que l’« année blanche » était prolongée de quatre mois, jusqu’au 1er janvier 2022. En clair : les allocations chômage versées aux intermittents privés de travail continueront d’être versées jusqu’à cette date. Une première avancée à mettre à l’actif de la mobilisation, mais bien loin de la seconde « année blanche » revendiquée par les intermittents, c’est-à-dire un an de prolongement de leurs droits au chômage. De plus, cela ne concerne pas ceux qui travaillent dans la culture et ont le même problème, mais pas le statut d’intermittents.

D’autant que tout ne va pas revenir à la normale comme par magie le jour de l’an 2022. Les petites structures du spectacle vivant qui font vivre bien des intermittents vont avoir du mal à se relever de l’année écoulée.

La lutte des « intermittents de l’emploi »

Le mouvement des intermittents dépasse largement la seule question de la réouverture des lieux culturels et des aides exceptionnelles pour le secteur. Un des slogans des occupations est : « Pas de réouverture sans droits sociaux ! », ciblant par là la réforme de l’assurance chômage dont plusieurs volets doivent entrer en vigueur au 1er juillet.

Ceux qui ont le statut d’intermittent du spectacle ne sont pas concernés par la réforme. Bachelot et avec elle certains pontes du secteur en profitent pour leur en faire procès : la lutte contre la réforme du régime de chômage serait du coup « illégitime » de leur part. Au contraire, ils sont bien placés, eux qui n’ont pu conserver leur régime d’indemnisation que par les luttes qu’ils ont menées. Ils ne se battent pas que pour eux. Et ils savent que les offensives contre le régime général annoncent toujours des attaques plus ciblées contre tel ou tel statut et réciproquement. De plus un certain nombre de ceux qui travaillent dans la culture n’ont pas accès au statut d’intermittent.

Depuis le début des occupations, les intermittents exigent le retrait de la réforme, afin de dépasser les seules revendications sectorielles. Leur lutte, ils la mènent au nom de tous les « intermittents de l’emploi », ceux qui dans tous les secteurs, de la construction à la culture en passant par l’industrie et le commerce, alternent période d’activité et période de chômage. Car ce sont eux qui vont être particulièrement touchés par la réforme.

Le nouveau calcul du « SJR », le « salaire journalier de référence », va ainsi réduire pour eux le montant de l’allocation chômage. Jusque-là, le SJR est obtenu en divisant la somme des salaires touchés par le nombre de jours travaillés. À présent, il est question de diviser les salaires par le nombre total de jours entre le premier et le dernier jour d’emploi. En clair, si sur les six derniers mois, vous avez eu trois CDD d’un mois avec un mois de chômage entre chaque, le salaire de référence (et donc l’indemnité chômage) serait divisé par deux par rapport au mode de calcul précédent. Pas tout à fait, il est vrai, puisqu’il y aurait un plancher, la réforme prévoyant que cette baisse ne puisse dépasser 43 %. C’est déjà trop !

En moyenne, une étude de l’Unédic parue début mai estime que 41 % des allocataires verront leur indemnité journalière baisser de 17 %. Consolation, elle devrait être versée pendant une période plus longue. Mais quand on ne touche pas assez pour survivre en juin, ça vous fait une belle jambe de savoir qu’on pourra continuer à se serrer la ceinture jusqu’en décembre. Ce qu’il faut, c’est augmenter radicalement les allocations de tous les chômeurs.

« Maintenant que nous sommes sortis, attendez-vous à des surprises » [1]

Le 23 avril, plusieurs milliers de personnes ont manifesté dans tout le pays aux côtés des occupants de théâtre pour dire non à la réforme de l’assurance chômage. Rebelote samedi 22 mai, même s’il y avait moins de monde dans la rue. C’est avec un éventuel départ de feu de ce côté-là que le gouvernement veut en finir.

Les occupants n’avaient pas beaucoup d’illusions dans le « soutien » des directeurs de théâtre, même les plus à gauche. Un soutien qui se cantonnait d’ailleurs à la seule réouverture, passant à la trappe les revendications sociales. Les employés administratifs et techniques des théâtres, s’ils n’ont pas participé aux occupations, continuent de se montrer solidaires du mouvement. Mais la levée de l’occupation emblématique de l’Odéon porte un coup au moral.

Les plus déterminés réfléchissent déjà au rebond, une coordination se réunit, on discute de comment se rendre plus visible. Les évènements culturels vont reprendre cet été. Autant en faire des tribunes pour mettre en échec les projets du gouvernement.

Bastien Thomas


[1Conclusion du communiqué déjà cité.

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