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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 132, septembre-octobre 2020

Mali : la Françafrique toujours aux commandes

1er octobre 2020 Convergences Monde

Suite au renversement du président malien Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) le 18 août dernier par l’armée, le président par intérim vient de prendre ses fonctions pour une période dite « de transition » de 18 mois. Sa nomination respecte les vœux de la France et de la Cédéao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) : nommer une personnalité civile... du moins officiellement ! Car le nouveau président, Bah Ndaw, est un ex-colonel à la retraite, et ancien ministre de la Défense d’IBK. Quant au colonel Assimi Goïta, chef de la junte qui a organisé le coup d’État, il prend le poste de vice-président.

Lors de la cérémonie d’investiture, Bah Ndaw a eu tout de suite à cœur de rassurer la France, en promettant de veiller au respect des accords internationaux, c’est-à-dire la continuation de l’opération Barkhane menée par la France, et de la présence de la Minusma (les casques bleus au Mali) conformément aux intérêts de la France. Il a affirmé dans son discours sa volonté de poursuivre une « guerre sans merci » contre les « forces terroristes et le crime organisé » et fait observer un instant de silence en hommage aux soldats tués, maliens, mais aussi français et de l’ONU... Hommage à ces mêmes troupes que la population malienne exècre aujourd’hui.

IBK lâché par la France comme une vieille planche pourrie

La France, qui a au Mali un fort contingent militaire, a visiblement lâché Ibrahim Boubacar Keïta, se montrant bien plus encline à composer avec les militaires qui l’ont renversé que les chefs d’État des pays de la Cédéao (alliance sous l’égide de la France des gouvernements des anciennes colonies françaises de la région) qui craignent une contagion du scénario malien, tout particulièrement la Côté d’Ivoire et la Guinée, où Alassane Ouattara et Alpha Condé s’apprêtent respectivement à briguer un troisième mandat, ce qui est fortement contesté par la population.

Pourtant, IBK était l’homme de la France. Elle avait soutenu en 2013 l’arrivée au pouvoir de celui qui était alors proche de Hollande et membre de l’Internationale « socialiste », puis sa réélection en 2018. Mais, dans la situation actuelle, elle a sans doute préféré qu’il soit renversé par l’armée malienne plutôt que chassé du pouvoir par une révolte de la population, hors de tout contrôle par l’impérialisme français. Quant à la nomination de Bah Ndaw, elle ne peut que la rassurer, puisque, en tant que ministre de la Défense, il était déjà signataire en 2014 d’un accord de défense franco-malien avec son homologue Le Drian...

Pressions sur le nouveau régime pour le mettre à la botte de l’impérialisme français

C’est bien évidemment avec l’assentiment de la France, voire à son instigation, que le Mali a été frappé par les sanctions économiques mises en place par la Cédéao suite au putsch militaire du mois d’août. Le pays a été placé par ses voisins sous embargo commercial et financier et l’est encore aujourd’hui. Les conséquences financières se font sentir, dans un pays où les transferts de fonds représentent 6,7 % du PIB, notamment les envois d’argent aux familles assurés par les travailleurs maliens présents en France. Les agriculteurs ne peuvent plus vendre récoltes ou bétail aux pays voisins. Ces sanctions devraient être levées après la nomination d’un Premier ministre civil... Mais on attend encore. Même si le nouveau pouvoir commence à montrer patte blanche.

Des grèves sur fond de faillite de l’État

L’impopularité d’Ibrahim Boubacar Keïta ainsi que la situation difficile de la population malienne depuis des années avaient provoqué d’importants mouvements sociaux : des grèves dans les mines d’or en 2018 pour l’embauche des jeunes, puis cinq mois de grève chez les cheminots en 2019, suite à des salaires non payés et à des licenciements sur fond de privatisation du rail, avec le décès de certains militants du mouvement, alors en grève de la faim... Les mouvements de grève sont aussi revenus régulièrement parmi les enseignants, pour des augmentations de salaires. Sur de vastes zones du pays, les services publics ne fonctionnent plus, à commencer par les écoles. La situation d’une grande partie de la population est critique, en raison du grand nombre des déplacés à l’intérieur du pays. Ce sont des villageois réfugiés en ville. Ils fuient les violences des djihadistes ou des groupes armés dits « d’autodéfense », qui contribuent à l’insécurité généralisée, sans parler des exactions des militaires maliens.

Les élections législatives d’avril dernier, entachées de fraudes en faveur des candidats du parti au pouvoir, ont été l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. Des manifestations ont eu lieu pendant deux semaines dans toutes les grandes villes du pays et la répression a fait de nombreux morts et blessés. La corruption généralisée, l’incapacité du régime à répondre aux besoins élémentaires tels que l’accès à l’eau et à l’électricité, le manque à gagner de nombreux commerçants en raison du couvre-feu décrété pour lutter contre le Coronavirus ont été les causes profondes de cette explosion de colère.

L’opposition politicienne s’efforce de récupérer les mouvements

C’est dans ce contexte que s’est déroulée à Bamako le 5 juin dernier une grande manifestation pour exiger le départ d’IBK, ce qui a donné naissance au « M5-RFP », Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques. À la tête de ce mouvement, une coalition disparate rassemblant des syndicalistes (comme le syndicat des enseignants), des mouvements associatifs, mais aussi des hommes politiques issus du sérail (comme Modibo Sidibe, l’ancien Premier ministre) et de fieffés réactionnaires (comme l’imam Mahmoud Dicko). Ce chef religieux militant d’un islam rigoriste s’est fait connaître en bloquant l’adoption d’un nouveau code de la famille en 2008, qui aurait accordé plus de droits aux femmes. Il a soutenu l’élection d’IBK en 2013, pour ensuite s’opposer à lui. Sous couvert de diatribes moralistes et parfois anti-françaises, il fait preuve d’un sens politique certain, que l’impérialisme français semble pour le moment redouter, mais dont il pourrait s’accommoder en cas de nécessité. Car c’est la population du Mali qui a le plus à craindre d’un tel personnage.

Les militaires putschistes raflent la mise

Les manifestations des mois de juin et juillet derniers ont été massives et ont montré les capacités des classes populaires maliennes à prendre leur sort en main. Le 10 juillet, la manifestation prenait une tournure insurrectionnelle, avec l’occupation des locaux de la télévision nationale, des principaux ponts de Bamako pour bloquer la capitale ; l’Assemblée nationale a également été incendiée. Le putsch militaire a été dans un premier temps bien vu de la population malienne, puisqu’il mettait fin au régime détesté d’IBK. Et il a de ce fait reçu le soutien des politiciens dits d’opposition – notamment du Mouvement du 5 juin, au premier rang desquels l’imam Dicko –, qui avaient dessaisi les travailleurs de tout contrôle sur leur mouvement et tentent aujourd’hui de jouer leurs propres cartes. Il commence à montrer aujourd’hui son vrai visage.

Aux travailleurs maliens et à toute la population pauvre du pays de s’organiser eux-mêmes pour que le renversement d’IBK ne se termine pas par ce simple nouveau coup d’État, ce dont la population ferait encore les frais.

27 septembre 2020, Lydie Grimal


Opération Barkhane et lutte antiterroriste : le maintien de l’ordre impérialiste avant tout

En 2014, l’opération militaire Barkhane a pris la suite de l’opération Serval, lancée par la France en 2013 suite à la perte de contrôle par l’État malien sur tout le Nord du pays, aux mains de groupes armés djihadistes et indépendantistes touaregs. Sous prétexte de lutte contre le terrorisme au Sahel, l’opération Barkhane déploie plus de 5 000 soldats français et européens dans tous les pays de la bande sahélienne : Burkina-Faso, Mali, Mauritanie, Niger, et Tchad. 12 500 casques bleus de la Minusma sont aussi présents, épousant de fait les objectifs de l’intervention française. Non seulement toutes ces troupes sont là pour défendre les intérêts de l’impérialisme français, mais elles ne contribuent aucunement à sécuriser la région. Bien au contraire : entre groupes terroristes, banditisme, exactions de l’armée malienne à l’encontre de la population et milices dites d’autodéfense à l’origine de massacres entre peuples, Dogons, Peuls ou Bambaras, c’est bien une atmosphère de violence généralisée qui règne dans le pays. À de nombreuses reprises au cours de ces dernières années, la population a réclamé le départ de ces troupes, scandant « la France complice des terroristes » ou « Minusma, mission inutile au Mali ».

Durant la manifestation du 10 juillet dernier, la Forsat, une force spéciale dite « antiterroriste », formée par les Européens et les Français, a tiré à balles réelles sur la population, faisant au moins onze morts et plusieurs dizaines de blessés. Elle a ensuite été chargée d’arrêter plusieurs personnalités du mouvement M5-RPF. De quoi achever de prouver, s’il en était besoin, que pour l’impérialisme, les manifestants sont une menace à traiter comme des terroristes.

L.G.

Photo : Des manifestants lors d’une marche à Bamako (Mali), le 5 juin 2020. (MICHELE CATTANI / AFP)

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