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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 93, avril-mai 2014

Les fraudeurs « sociaux » ne sont pas ceux que l’on croit

Différents ouvrages, rapports et enquêtes ont apporté récemment un cinglant démenti à la démagogie faisant passer les plus pauvres pour des « assistés », que l’on prétend par ailleurs coupables de « fraude sociale ». La réalité est inverse. Les grandes entreprises, lesquelles disposent d’une armée de conseillers juridiques pour échapper au fisc, aux cotisations sociales tout en bénéficiant de tout l’inventaire des subventions étatiques (centrales et régionales), ces véritables assistés de l’appareil d’État, donc, sont les principaux fraudeurs à la sécurité sociale. À l’autre bout, la majorité des plus pauvres sont très loin de toucher les allocations auxquelles ils ont droit.

Nous donnons ici quelques aperçus, à partir des données et chiffres des ouvrages, articles et rapports cités (voir notre encart « Pour en savoir plus »), et de ce que constatent quotidiennement les assistantes sociales chargées d’examiner les dossiers des allocataires.

Premier constat : la fraude massive des allocataires est un mythe

Après enquête, la Caisse d’allocation familiale a estimé que la fraude aux prestations représente moins de 1 % du total des prestations versées. En 2010, la CAF de Gironde a lancé une grande chasse à la fraude : sur 270 000 allocataires seulement 180 ont été accusés de fraude. Les professionnels constatent que les « indus » (terme qui désigne l’argent trop perçu par les allocataires) sont constitués majoritairement d’erreurs des allocataires (car les dossiers sont très complexes à remplir) ou d’erreurs de la CAF. La fraude ne correspond qu’à une minorité. Ces indus représentent près de 4 milliards d’euros selon la presse. Sauf que, dans son rapport à la Cour des comptes de 2010, la Caisse nationale des allocations familiales explique récupérer 90 % de tous les indus auprès des allocataires (fraude ou pas fraude, ou même en cas d’erreur de la CAF).

Quant auxdits « fraudeurs », loin de constituer des bandes organisées, il s’agit de personnes qui tentent de survivre en ne déclarant pas certaines ressources pour ne pas voir leur allocation baisser : ne pas se déclarer en couple ; ne pas déclarer certains revenus à la CAF. Par exemple, une fille perçoit le RSA mais ne déclare pas l’aide alimentaire de survie que ses parents lui donnent. La CAF contrôle la déclaration des parents : fraude ! Un homme déclare vivre avec une colocataire. Lors d’un contrôle CAF, il est apparu qu’ils dormaient dans le même lit : fraude ! Parfois l’accusation peut venir d’une erreur de la CAF : une dame a deux enfants d’un premier mariage et deux d’un deuxième. Les deux premiers sont avec leur père mais madame reçoit des allocations familiales pour les quatre enfants. Soupçonnée de fraude ! Quelques exemples parmi tant d’autres auxquels les travailleurs sociaux sont confrontés.

Les grandes entreprises hors contrôle, les mères célibataires sous surveillance

L’allocataire doit déclarer sa situation et ses ressources régulièrement (tous les trois mois pour le RSA) et sans retard, sous peine de voir son allocation suspendue. Depuis 2011, tous les organismes peuvent communiquer des informations entre eux sur les usagers. Ce qui fait que la Caisse d’allocation familiale dispose d’un accès à toutes les informations concernant ses allocataires. Par exemple, pour un bénéficiaire du RSA, la CAF contrôle sa situation à Pôle emploi, toutes ses déclarations d’impôts, le nombre d’heures travaillées déclarées, si la personne est seule ou en couple, etc.

En cas de divergence entre les déclarations de la personne et celles des autres organismes, il y a suspicion de fraude. Les contrôleurs CAF traquent la moindre information pour déceler le moindre trop-perçu de prestations (ce qu’on appelle un « indu »). Pour cela, ils peuvent se rendre au domicile pour vérifier que la personne est bien seule. On a vu des contrôleurs venir compter le nombre de brosses à dents chez des mères célibataires pour vérifier qu’elles sont bien seules comme elles le déclarent. Les contrôleurs CAF ont aussi accès aux comptes bancaires des personnes et de leur entourage (famille, colocataire, conjoint, etc.). Et les banques peuvent avoir une amende en cas de non-communication du relevé de compte. Comme quoi, le droit au secret bancaire n’est pas pour tout le monde. Ils peuvent aussi mener une action avec la police qui place les éventuels « fraudeurs » en garde à vue pour les interroger.

Sylvia GUILENA


Les fraudes largement minoritaires comparées au non-recours

Les « fraudeurs » (disons plutôt ceux qui ont « trop » perçu) sont minoritaires face au nombre de personnes qui n’ont pas accès à leurs droits. 68 % des personnes éligibles au RSA activité [1] ne le perçoivent pas. 70 % des personnes qui pourraient obtenir l’aide à la complémentaire santé (aide au paiement d’une mutuelle) n’en bénéficient pas. L’année dernière le non recours au RSA correspondait à 5,3 milliards d’euros.

Les causes de ce non-recours sont multiples. La principale est la méconnaissance des dispositifs par le public et la complexité des démarches pour y avoir accès. Par exemple, en fonction de votre département, de votre ville, de votre situation personnelle, avec des enfants ou non, vous devrez faire votre demande de RSA auprès d’une assistante sociale soit de la CAF, soit du Conseil général, soit de la mairie. Mais la déclaration trimestrielle de ressources doit être obligatoirement envoyée à la CAF.

Enfin, certains refusent par peur de la stigmatisation : demander le RSA, c’est prendre le risque de se faire taxer de parasite, de fainéant.


Qui fraude… et qui ne touche pas ce qui lui est dû

  • 4 milliards d’euros, c’est l’estimation de la « fraude » des allocataires aux prestations sociales (toutes inclues). À comparer avec la fraude des entreprises pour ne pas payer les cotisations de sécurité sociale : 16 milliards d’euros. De quoi combler les trois quarts du déficit de la sécurité sociale de 2012. Néanmoins aucun gouvernement n’a proposé d’aller réclamer l’indu. La CAF n’a jamais réclamé leurs relevés de compte.
  • 5,7 milliards d’euros de revenu de solidarité active (RSA), 700 millions d’euros de couverture-maladie universelle complémentaire (CMU-C), 378 millions d’euros d’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé, etc., ne sont pas versés à ceux qui devraient les toucher.
  • Moins de 1 % des bénéficiaires des allocataires fraudent, mais les entreprises en infraction sont plus de 12 %.

Pour en savoir plus

  • L’envers de la « fraude sociale », le scandale du non recours aux droits sociaux. Par le collectif Odenore (Observatoire du non recours). Éditions La Découverte. Novembre 2012.
  • « La face cachée de la fraude sociale », article de Philippe Warin dans Le Monde diplomatique, juillet 2013.


[1Le RSA activité est un complément de revenu pour les salariés à temps partiel qui ont de faibles revenus.

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