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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 5, septembre-octobre 1999 > DOSSIER : Seconde loi Aubry : une nouvelle offensive tous azimuts contre (...)

Le projet Aubry numéro 2

1er octobre 1999 Convergences Politique

Le projet de deuxième loi Aubry, en l’état où il est au moment où nous écrivons et tel qu’il va être présenté à la discussion et au vote du parlement en octobre, entérine une série d’attaques réalisées dans les accords de branche et d’entreprise depuis un an, notamment la généralisation de la flexibilité. Il enfonce le clou en déstructurant un peu plus la législation concernant le temps de travail. Au-delà, il généralise l’abaissement du coût du travail.

Après avoir un temps, pour certains, contribué à mettre en scène un théâtre de marionnettes sur le thème de « la gentille Mme Aubry contre le méchant MEDEF », face à cette nouvelle attaque en règle, les directions syndicales, comme la gauche plurielle, PCF ou Verts, émettent des critiques finalement bien respectueuses. Une façon de dire qu’ils ne se préparent guère à un véritable affrontement, une façon aussi de renforcer le sentiment de beaucoup de salariés que la question des 35 heures est déjà bâchée. Et il est vrai que la plupart des grandes entreprises et des branches ont déjà des accords, signés par un syndicat ou un autre et agréés par le Ministère.

Pas d’obligation d’embauche

La principale caractéristique du projet Aubry 2, c’est de permettre de passer aux 35 heures sans que cela coûte grand-chose aux employeurs.

Chacun sait que seule une réduction rapide et réelle du temps de travail pourrait obliger des patrons à embaucher. Au contraire la loi Aubry fait tout pour que le passage se fasse en douceur et que les patrons aient le temps d’organiser le maximum de flexibilité et de gains de productivité.

Au premier janvier 2000, seuls moins des 2/3 des salariés du privé passeront aux 35 heures. Ceux des entreprises de moins de 20 employés attendront 2002, ceux du public... Tous les accords signés depuis un an le confirment, les patrons, pour éviter les embauches, ont tout le temps d’améliorer la productivité, l’intensification du travail, d’introduire la flexibilité. Ainsi dans le nettoyage, par exemple, le patronat prévoit d’ores et déjà la réduction du temps de travail, sans embauche, et sans diminution des surfaces à nettoyer !

Les heures supplémentaires comme moyen de pression

Aujourd’hui les huit premières heures supplémentaires (de la 40e à la 47e incluse) sont majorées de 25 %, les suivantes de 50 %, et à partir de la 43e heure s’ouvre le droit à un repos compensateur. Il aurait évidemment fallu abaisser ces seuils. Ils resteront les mêmes malgré le passage à 35 heures !

Pourtant le seul saut qui aurait été significatif (et peut-être fait pression sur les employeurs pour embaucher) eût été que la durée légale passe à 35 h au 1er janvier pour tous les salariés, que le paiement des heures sup. reste à 25 % de majoration dès la 36e, passant à 50 % à la 43e heure, avec déclenchement du repos compensateur à la 39e heure. Bref que concrètement le passage aux 35 heures signifie une chose précise : toutes les heures au-delà deviennent des heures sup.

Une période de transition efface cette contrainte. L’année prochaine, le coût des heures sup. (et il n’y en aura presque plus grâce à la flexibilité !) ne sera qu’une majoration de 10 % jusqu’à la 39e heure.

De même, non seulement la loi Aubry ne prévoit pas de baisser le contingent annuel d’heures supplémentaires, actuellement 130 heures, mais dans l’immédiat ce contingent passerait même à 210 heures puisque l’année prochaine le décompte de ce contingent ne démarrera qu’à partir de la 38e heure.

Après la période de transition, les heures sup. seraient bien majorées de 25 % de plus, mais les salariés risquent de ne pas en voir la couleur. En effet, cette « bonification de 25 % » sera attribuée sous forme de jours de repos, s’il n’y a pas eu de convention ou d’accord d’entreprise. L’objectif du gouvernement est de pousser les travailleurs qui arrondissent leurs fins de mois avec des heures sup. à souhaiter la conclusion d’accords d’entreprise prévoyant le paiement au lieu de la récupération.

Et dans les entreprises dont la durée collective de travail sera supérieure à 35 h par semaine, chacune des 4 premières heures sup. donnera lieu à une majoration versée au salarié de 15 % seulement et à une « contribution » de 10 % qui alimentera un fonds destiné à combler en partie le manque à gagner des organismes sociaux ! En clair, si un patron ne respecte pas les 35 h. ce sera le salarié qui trinquera en finançant lui-même en partie les exonérations dont bénéficieront... les patrons !

Plus de limites à la flexibilité

La grande hypocrisie est surtout qu’il n’y aura plus guère d’heures supplémentaires puisque le projet Aubry 2 entérine le résultat concret de la loi Aubry 1 : le passage massif aux horaires flexibles sur l’année.

Le projet Aubry 2 fait un grand pas vers le calcul du temps de travail sur l’année. Auparavant on décomptait la durée hebdomadaire du travail. Désormais, la notion de base tend à être celle de la durée annuelle : 1 600 heures. Pas étonnant puisque la loi Aubry vise à faire sauter toutes les limites mises à la flexibilité des horaires.

Tout accord d’entreprise pourra organiser le travail non pas sur la semaine, mais par cycle pouvant aller jusqu’à 12 semaines, alors qu’aujourd’hui le recours au cycle suppose soit l’existence d’un accord de branche soit que l’entreprise travaille en continu. Mieux, au cours d’un même mois, le patron pourra, sans aucun accord, faire varier le temps de travail dans une fourchette de 35 à 39 h. De plus l’annualisation du temps de travail pourra être individualisée, faisant sauter le cadre des horaires collectifs. Inutile de dire que le programme de modulation pourra aussi, après accord, passer en dessous des 7 jours annoncés dans la loi.

La loi Aubry apparaît bien comme la loi de la flexibilité. Pas étonnant que le magazine Liaisons Sociales de septembre, peu soupçonné d’être d’extrême gauche, titre son éditorial « 35 heures, le Cheval de Troie de la flexibilité ».

Allégements du coût du travail... et des salaires

L’autre aspect fondamental de la deuxième loi est l’allégement direct du coût du travail.

Au lieu d’augmenter le SMIC horaire de 11,4 % permettant à un smicard passant de 39 à 35 heures de garder le même salaire, Aubry laisse le SMIC au même taux horaire, et introduit une prime de compensation, qui serait peu à peu dans les cinq années suivantes intégrée dans le SMIC horaire au fur et à mesure des augmentations de celui-ci. Effet pervers, car les smicards touchant cette prime risquent de voir leur salaire bridé durant 5 ans. Ils ne bénéficieront pas en effet des « coups de pouce » du SMIC et ne verront même pas leur salaire suivre l’évolution de la progression moyenne des salaires. Autre effet pervers, les nouveaux embauchés, eux, toucheront un SMIC mensuel amputé de plus de 10 %, puisque payé sur une base horaire qui ne bougera pas. Merci Mme Aubry !

Autre diminution du coût du travail : la baisse généralisée du salaire social, c’est à dire les cotisations patronales versées aux Caisses de Sécurité sociale. Pour tous les salaires jusqu’à 1,8 fois le SMIC, les patrons vont bénéficier d’exonération allant de 4000 à21500 F par an. Ces allégements de charges sont définitifs et en échange d’aucun engagement de créations d’emplois. Ces allégements pourront être cumulés avec ceux obtenus grâce aux accords de loi Aubry 1, et l’allégement actuel de 30 % sur tous les temps partiels ayant un contrat signé avant la mise en vigueur de la loi Aubry 2. Au total un joli pactole pour les patrons auxquels le gouvernement donne raison lorsqu’ils pleurent que leurs profits ne sont pas suffisants et que le prix du travail est trop cher.

Qui paye ? Un fonds sera créé par la loi de financement de la Sécurité sociale pour l’année 2000 qui assurera « la compensation intégrale », financée par l’État et les organismes de protection sociale. Ce sont donc les impôts et les cotisations sociales pour l’essentiel payés par les travailleurs qui financeront ces aides aux patrons !

Ni les cadres ni les temps partiels ne sont oubliés

La loi essaye aussi de généraliser le salaire au forfait pour les cadres et techniciens. Par divers mécanismes, la loi va augmenter notablement le nombre de ceux-ci dont le temps de travail est calculé en jours de travail et pas en heures. Bonjour les dizaines d’heures sup. non payées !

Sur les temps partiels, parmi d’autres dispositions, encore un cadeau aux patrons : sera considéré comme temps partiel tout horaire inférieur à 35 h. Avec le bénéfice de 30 % d’abattement des charges sociales !

Enfin la formation pourra être organisée pour partie hors du temps de travail ! Régression notable, puisque jusqu’à aujourd’hui la formation est incluse dans le temps de travail !

Comme on le voit, derrière cette prétendue loi pour la Réduction du Temps de Travail, se cachent, en plus de l’annualisation et de la modulation systématisées— et de plus en plus possibles sans même un accord d’entreprise— de multiples avantages financiers pour les patrons, et notamment une aide massive à ceux qui paient déjà le moins et emploient les bas et moyens salaires, doublée de la mise en place d’un double SMIC pour plusieurs années.

Charles PAZ et Laurent CARASSO

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