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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 119, mai 2018 > DOSSIER : Mai 1968 dans le monde (I - En France et en Europe)

Tchécoslovaquie 1968

La contestation du régime et la révolte contre les tanks de l’URSS stalinienne

Le 21 août 1968, 6 300 chars des troupes du Pacte de Varsovie – chars soviétiques et de pays satellites – envahirent la Tchécoslovaquie, mettant un terme brutal à ce qu’on avait appelé le « Printemps de Prague » : une vague de réformes répondant à une partie des aspirations de la jeunesse et des intellectuels tchécoslovaques initiée en janvier 1968 par le tout nouveau secrétaire général du Parti communiste tchèque, Alexander Dubček. Liberté d’expression, autogestion, la Tchécoslovaquie affirmait présenter un « socialisme à visage humain ».

L’invasion de la Tchécoslovaquie eut un énorme retentissement dans le monde, en particulier en France. Pour la première fois de son histoire, le Parti communiste français prit ses distances avec Moscou et condamna l’invasion. Il faut dire que la France sortait à peine de la plus grande grève générale qu’elle ait connue avec celle de juin 1936, grève bradée au profit d’élections générales qui, en juin, avaient consacré l’échec cuisant des partis de la gauche réformiste et révélé aux yeux de beaucoup l’impasse de leur électoralisme. L’intervention des chars russes pour écraser un vent de liberté a d’emblée suscité l’indignation d’une jeunesse ouvrière politisée et privait les militants du PC d’un de leurs arguments favoris sur l’« exemple » soviétique : pour beaucoup, il n’y avait guère de différence entre les États-Unis écrasant le peuple vietnamien et l’URSS écrasant la liberté sous les chenilles de leurs chars en Tchécoslovaquie. Les deux « superpuissances » étaient confondues dans un même opprobre.

La Deuxième Guerre mondiale permit à Staline et à la bureaucratie soviétique d’étendre leur domination à certains États d’Europe de l’Est : un butin de guerre et non le résultat d’une révolution. Les ouvriers d’Europe de l’Est se sont soulevés à plusieurs reprises durant les années 1950 : en Allemagne de l’Est en 1953, en Pologne et en Hongrie en 1956. Dans le cas de la Hongrie, la répression échoua dans un premier temps. La révolte se mua en révolution, le gouvernement s’effondra et les conseils ouvriers nouvellement formés prirent le pouvoir dans plusieurs villes. L’armée soviétique envahit la Hongrie et écrasa la révolution avec une brutalité extrême, causant des milliers de morts et 200 000 réfugiés.

Le printemps de Prague

Durant les années 1960, l’industrie tchécoslovaque avait pris du retard par rapport à celle de ses concurrents. Les exportations vers l’URSS avaient chuté et la Tchécoslovaquie plongeait dans la crise économique.

En 1967, quelques écrivains réputés et des étudiants exprimèrent leurs griefs contre le régime, qui ne tarda pas à s’occuper d’eux. Le syndicat des écrivains fut dissous, les étudiants furent réprimés. Cependant, peu après, le soulèvement de masse qui couvait éclata, suite à un événement mineur. Le premier secrétaire du Parti communiste, le conservateur Antonín Novotný, avait été remplacé par Alexander Dubček. Bien qu’ouvertement loyal à l’URSS, Dubček représentait l’aile du PC qui plaidait pour des réformes. S’accrochant au pouvoir, Novotný tenta un coup d’État, qui échoua. Puis il envoya ses alliés faire de l’agitation dans les usines en sa faveur. L’aile « réformiste » derrière Dubček réagit en faisant de l’agitation parmi les ouvriers, mais aussi parmi les écrivains et les journalistes, qui saisirent l’opportunité de mettre en lumière la corruption généralisée du gouvernement Novotný. Suite aux révélations, de nombreux politiciens durent démissionner, voire se suicidèrent. Les « réformistes » du Parti communiste furent pris par surprise par cette vague de contestation massive. Les journaux et les films du monde entier devinrent soudainement accessibles, on jouait des pièces de théâtre ouvertement contestataires : ce fut le Printemps de Prague.

L’URSS mit en demeure Dubček de maintenir l’ordre et les chars soviétiques entrèrent dans le pays sous prétexte de manœuvres de routine. Dubček appela le peuple à la retenue dans la mise en œuvre des réformes mais il était trop tard pour contenir le mouvement. La censure s’effondra. Dans les usines, les ouvriers commencèrent à chasser les dirigeants officiels des syndicats et à faire valoir leurs propres revendications, telles que l’élection démocratique des directeurs d’usine par des conseils ouvriers.

20 août 1968 : les chars soviétiques envahissent les villes

Quand les dirigeants de Moscou constatèrent l’échec de Dubček, ils décidèrent d’intervenir directement. Le 20 août 1968, les chars soviétiques envahirent les principales villes tchécoslovaques. Dubček et ses principaux alliés furent arrêtés et envoyés à Moscou pour y être sanctionnés. La petite armée tchécoslovaque était impuissante face aux chars soviétiques et ne tenta même pas de contre-attaquer. Néanmoins, il y eut une résistance non violente massive, entre autres d’énormes manifestations à Prague. Des manifestants tentaient de faire barrage aux tanks, souvent avec leur propre corps, et s’adressaient aux soldats. Ils sabotèrent le chemin de fer et les stations de télécommunications, modifièrent les panneaux de signalisation pour que les militaires soviétiques se perdent.

La « normalisation »

Même si l’invasion n’a duré que quelques jours, il fallut plus d’un an à l’URSS pour rétablir la censure et juguler le mouvement. Dubček fut renvoyé en Tchécoslovaquie pour annoncer le début d’une période de « normalisation », durant laquelle l’URSS accrût son emprise sur l’État. La prétendue normalisation suscita une indignation accrue chez les étudiants et les journalistes qui continuèrent de dénoncer l’invasion. Juste avant d’être interdit, le magazine l’Étudiant dénonçait le gouvernement « pour sa trahison du rôle historique assigné à ce pays : ébranler la structure inhumaine du stalinisme et trouver une forme humaine à l’ordre socialiste ».

Les comités ouvriers contre la « normalisation »

Le militantisme parmi les ouvriers prit aussi de l’ampleur en réponse à la politique de normalisation. La constitution de comités d’usines élus directement par les travailleurs au scrutin secret, décidée avant l’invasion, non seulement ne prit pas fin, mais, alors que le gouvernement appelait prudemment à cesser l’expérience « autogestionnaire », elle s’amplifia à travers tout le pays : en janvier 1969, les conseils élus, représentant près de 900 000 travailleurs, se réunirent aux usines Skoda de Plzeň (Pilsen). Ce n’est que fin 1969 que le pouvoir « normalisé » y mit un terme mais avec, tout de même, des circonlocutions de langage : « L’autogestion et ses lourdes responsabilités prendraient trop de temps aux travailleurs, et trop d’énergie intellectuelle, les privant ainsi des loisirs dont ils ont besoin » affirma le Comité central du Parti communiste « normalisé » fin 1969.

Les purges

Malgré la contestation, la normalisation se poursuivit peu à peu. Dubček commença à purger la direction du PC de ses éléments « réformistes » les plus actifs, avant d’être lui-même contraint de démissionner. La tête des syndicats, dont la position et l’autorité avaient été menacées par les travailleurs, collabora avec l’État et purgea les syndicats de leurs dissidents, qui se comptaient par dizaines de milliers. Des enseignants et des journalistes pro-réformes furent licenciés et les militants emprisonnés. Symbole de la rage impuissante de la population, de sa révolte face à l’invasion soviétique, un jeune étudiant de 20 ans, Jan Palach, s’immola par le feu sur la place Venceslas, à Prague. Vingt ans plus tard, la commémoration de son geste par les opposants tchèques fut encore réprimée... mais précéda de peu la chute du régime prétendument socialiste.

Dernière vague de protestation de masse, en août 1969, à l’occasion de l’anniversaire de l’invasion soviétique, des centaines de milliers de personnes manifestent. Cette fois-ci, Moscou n’eut pas à intervenir car l’armée tchécoslovaque se chargea elle-même de la répression, utilisant un régiment de tanks contre la population. 

Ken BUTLER

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