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États-Unis

La campagne de Bernie Sanders : bilan et perspectives

[Traduction de l’article écrit par nos camarades américains de Speak Out Now, et publié sur le site New Politics]

Le 8 avril dernier, Sanders a mis fin à sa campagne présidentielle, tout en affirmant que le mouvement qui l’avait soutenue devait se poursuivre. Puis, le 13 avril, il a entièrement abdiqué en faveur de Joe Biden, en soutenant sa candidature et mettant sur pied des comités de campagne communs, unifiant ceux de chaque candidat. Pour de nombreuses personnes qui s’étaient engagées dans la campagne Sanders, y compris beaucoup de jeunes et moins jeunes qui n’avaient encore jamais eu d’engagement politique, la déception fut au rendez-vous. Mais la déception seule ne permet pas de trouver une orientation politique. Quel bilan et quelles conclusions pouvons-nous tirer de cette campagne ?

Sanders avait raison sur un point : il nous faut un mouvement. Mais sa campagne nous a montré que tout mouvement qui reste dans le giron du Parti démocrate restreint largement ses possibilités de ce fait. L’ampleur des problèmes actuels (catastrophe économique, changement climatique, montée de politiques autoritaires, xénophobes et racistes…) ne peut être prise en charge dans le cadre des cycles électoraux de deux ou quatre ans, sans parler de la propension des politiciens à rejeter toutes les fautes sur leurs prédécesseurs.

De l’importance de Sanders

Force est de reconnaître son intransigeance, son honnêteté, son énergie et l’impact que sa campagne a eu. Son envie de se confronter à la grande majorité des autres politiciens est tout aussi digne de respect. Il n’a pas renié sa politique pour gagner des voix. Sa campagne, pendant quatre ans, a avancé avec succès l’idée que nous n’avons pas à accepter que nos vies soient réduites à néant, pendant qu’une poignée amasse des richesses phénoménales.

Dans le cadre de la primaire démocrate, il a forcé les différents candidats à débattre de véritables sujets. Il a appuyé l’idée que les travailleurs devraient gagner un salaire correct et avoir une vie décente. Il a défendu le droit à la santé. Sanders a bousculé les idées dominantes, selon lesquelles les riches et leurs institutions (Wall Street, BigPharma et autres) sont légitimes à contrôler notre société. Il a défendu le droit à une éducation accessible à tous et l’abolition des dettes étudiantes, car les jeunes n’ont pas à rentrer dans l’âge adulte avec le poids d’une dette qui entrave leur créativité et leurs passions. Il a reconnu l’importance fondamentale de la crise climatique. Il a dénoncé les discriminations et le racisme de notre société, tout en soutenant le droit des femmes à disposer de leur corps.

La campagne de Sanders, tout comme ses idées, ont donné à de très nombreuses personnes récemment politisées des pistes pour comprendre les problèmes fondamentaux de cette société – mais pas leur origine. Son positionnement dans la campagne (« Pas moi, mais nous ») sonnait juste, et il l’est véritablement, à condition que ce mouvement s’éloigne en même temps du Parti démocrate et que ses perspectives dépassent les élections pour aller vers l’organisation démocratique des travailleurs et des opprimés. La primaire menée par Sanders s’est donné comme objectif de construire une aile gauche au Parti démocrate, une aile populaire et forte, qui puisse réformer le capitalisme américain. D’autres militants progressistes y ont participé en se présentant pour le Congrès, parfois avec succès. Alexandria Ocasio-Cortez, Rashida Tlaib, Ayanna Pressley, et Ilhan Omar, toutes des femmes issues des minorités raciales, sont devenues des personnalités appréciées de cette aile gauche. Leur succès médiatique a renforcé celles et ceux qui cherchaient à poursuivre la stratégie électorale en faveur d’un changement social.

Réformer le Parti démocrate ou changer le système ?

Alors, bien sûr, le problème principal réside dans le contrôle que les grandes entreprises et les riches exercent sur la société. Mais il n’est pas réductible à l’influence des millions de dollars qui sont déversés dans la politique des deux partis du système américain. Pour être plus exact, il faudrait dire que ceux qui contrôlent les richesses et les moyens de production contrôlent notre société – là réside le problème. Le Parti démocrate était, à sa naissance, le parti des esclavagistes et il a de tout temps représenté un segment de la classe dirigeante. Encore de nos jours, ce parti est le représentant d’une section de la classe capitaliste qui nous gouverne – de la même manière que le Parti républicain est le porte-voix d’autres segments de cette même classe capitaliste. Ces deux partis n’incarnent que des manières différentes de gérer les affaires de la bourgeoisie.

Croire qu’un mouvement pourrait utiliser le Parti démocrate comme un outil, pour mettre en place le type de changement que défend Sanders, était en réalité inconséquent. Sanders a insisté sur la possibilité de modifier des aspects substantiels du capitalisme, mais tout en maintenant le système en place. La campagne de Sanders a dû faire face à de nombreux défis. Il était clair que l’establishment du Parti démocrate ne voulait pas réitérer l’expérience de l’élection de 2016, où Sanders avait sérieusement menacé l’élue favorite du parti, Hillary Clinton. En 2019, ce même establishment a largement ouvert les portes des primaires à un ensemble de 29 candidats. Avant le premier caucus de l’Iowa, les débats, sondages et collectes de fonds ont ramené ce nombre à 11. Sanders a aussi été en butte aux critiques et aux insultes dans les grands médias, tout particulièrement lors des débats avec les autres candidats avant les primaires. Le Washington Post, dont le propriétaire n’est autre que Jeff Bezos, patron d’Amazon, a largement critiqué la proposition faite par Sanders de faire payer des impôts à Amazon. D’autres l’ont tourné en ridicule, l’accusant d’être millionnaire suite au succès de son livre sur la campagne de 2016. Politico, un média porte-parole des élites politiques, a qualifié Sanders de « riche bas de gamme ». D’autres ont proclamé avec force qu’en s’accrochant à ses idées socialistes, Sanders n’avait aucun sens pratique, aucun « esprit d’équipe » envers le reste du Parti démocrate, et qu’il était tout simplement anti-américain. Et plus Joe Biden, favori de la machine démocrate, essuyait les échecs, plus les médias anti-Sanders aiguisaient leurs attaques.

L’acharnement dont Sanders a fait preuve, ainsi que le soutien massif dont il bénéficiait dans les premiers sondages, ont forcé les autres candidats à se positionner sur les sujets qu’il mettait sur la table. Elizabeth Warren a d’ailleurs attiré de nombreux soutiens avec sa défense modérée de certaines des propositions de Sanders. Quand les jeux n’étaient pas encore faits pour l’establishment du parti, le milliardaire et ancien maire de New-York, Michael Bloomberg, a fait son entrée fracassante avec des centaines de millions à investir dans sa campagne. Le Parti démocrate lui a donné une attention particulière, en l’exonérant de certaines conditions nécessaires à une participation aux débats de la primaire. Il a été autorisé à prendre part aux deux derniers débats télévisés avant que tous les candidats, à l’exception de Sanders et Biden, se soient retirés. Le nombre élevé de candidatures a de toute évidence divisé le vote. Quand Sanders s’est retiré, il totalisait 31 % des voix dans les primaires, contre 41,5 % pour Biden. Warren et Bloomberg se rapprochaient des 10 %. Mais Sanders n’était plus le contestataire de 2016. Malgré un important soutien populaire, qui s’est reflété dans le soutien financier sous la forme de très nombreuses petites sommes ainsi que dans les foules rassemblées pour ses meetings, l’énergie n’était plus la même. Et si la campagne de Sanders a attiré énormément de jeunes, cela ne s’est pas traduit en un nombre suffisant pour gagner la primaire contre l’appareil du Parti démocrate et sa base électorale traditionnelle.

Un autre facteur important est que la plupart des bureaucraties syndicales voulaient rester main dans la main avec l’appareil du Parti démocrate, aussi bien en 2016 qu’en 2020. En 2016, sept syndicats nationaux, représentant 1 391 000 travailleurs, avaient soutenu Sanders, dont l’American Postal Workers Union, l’Amalgamated Transit Union, Communication Workers of America, l’International Longshore and Warehouse Union, le National Nurses United, le National Union of Healthcare Workers et le United Electrical, Radio and Machine Workers of America. Mais, contrairement à 2016, les directions syndicales ont couvert leurs arrières en soutenant un grand nombre de candidats démocrates qui se sont présentés au début des primaires de 2020. En 2020, seuls quatre d’entre eux – American Postal Workers Union, National Nurses United, National Union of Healthcare Workers et United Electrical, Radio and Machine Workers of America, représentant 401 000 travailleurs – soutenaient encore Sanders. Un certain nombre d’organisations syndicales régionales, étatiques et locales ont également soutenu Sanders en 2016 et 2020.

La campagne avance et la question sociale recule

Entre-temps, les efforts de l’establishment du Parti démocrate pour battre Trump sont passés du champ électoral à la tentative avortée de mise en accusation de Trump. La procédure de destitution a agi comme une diversion en détournant l’attention des questions que Sanders avait posées sur la table. L’élection a été réduite à savoir qui avait le plus de chances de battre Trump, au lieu de se concentrer sur les positions des candidats. La direction du Parti démocrate a ouvertement adopté Biden. Cela est devenu évident lorsque le représentant de la Caroline du Sud, Jim Clyburn, a soutenu Biden le 26 février, quatre jours avant les primaires de Caroline du Sud. Clyburn est le whip à la Chambre des représentants (membre du parti chargé de maintenir la discipline de vote), l’Afro-Américain le plus haut placé au Congrès et un leader de l’establishment du Parti démocrate. Il a déclaré : « Nous connaissons Joe. Mais surtout, Joe nous connaît », ce qui implique que les Afro-Américains qui s’identifient comme démocrates, surtout dans le Sud, devraient faire plus confiance à Biden qu’à Sanders.

La victoire de Biden lors des primaires en Caroline du Sud lui a permis de revenir dans le peloton de tête. D’autres candidats – notamment Amy Klobuchar, Pete Buttigieg et Kamala Harris – ayant abandonné la course et apporté leur soutien à Biden, et Biden ayant ensuite remporté le premier tour des primaires, les chances de Sanders de devenir le candidat du Parti démocrate à la présidence ont été fortement diminuées. Il semblait de moins en moins possible que Sanders ait suffisamment de délégués pour peser dans le rapport de force lors de la convention déterminant le contenu de la plate-forme du parti. Les boss du Parti démocrate avaient renforcé leur emprise. Enfin, le Covid-19 a sapé la campagne de Sanders qui dépendait tant du porte-à-porte et des grands rassemblements publics. La campagne était désormais pratiquement invisible. La pandémie a donc scellé l’accord pour Biden, et Sanders a abandonné.

Maintenant, que faire ?

Notre principale préoccupation n’est pas seulement de comprendre les limites de la campagne de Sanders ou les avantages et les inconvénients de la stratégie électorale pour les socialistes. La pandémie Covid-19 a créé une crise majeure dans la vie quotidienne des gens ordinaires. Elle soulève des questions immédiates sur le fonctionnement du gouvernement et – malgré la posture quotidienne de M. Trump – s’éloigne d’une vision étroite des personnalités qui se présentent à la présidence.

Cette nouvelle situation devrait remettre en question le point de vue de ceux qui considèrent les élections comme une voie centrale pour apporter des changements sociaux significatifs. S’ils renoncent à lutter pour un véritable changement social en raison de l’échec de la stratégie Sanders, ils auront manqué la leçon la plus importante de la campagne. Sanders a parlé des espoirs des gens, mais pas de ce qu’il faudrait faire pour transformer ces espoirs en un véritable changement. La question de savoir si le changement peut être effectif aujourd’hui ne dépend pas du candidat qui remporte l’élection, mais de la force et de l’ampleur du mouvement qui se bat pour ce changement.

Un mouvement suffisamment puissant – non seulement pour faire élire Sanders, mais aussi pour mettre en œuvre le programme qu’il a défendu – serait assez puissant pour lutter pour le contrôle de la société. Alors pourquoi nous contenter de si peu ? Il est possible, bien que très improbable, qu’une présidence Sanders puisse conduire à certaines formes de programme national de santé, d’allègement de la dette étudiante, ainsi peut-être qu’à d’autres réformes pour faire face à la crise climatique. Mais la remise en cause de la domination et des profits des industries d’assurances et pharmaceutiques, ainsi que la défaite du pouvoir des grandes compagnies pétrolières, ne pourra se faire que par une mobilisation de masse à une échelle encore inconnue dans ce pays. Et une telle mobilisation pourrait lancer un mouvement, un mouvement révolutionnaire, pour éliminer la source de tous les problèmes – le capitalisme lui-même. Les élections attirent les gens tels qu’ils sont – souvent effrayés, pragmatiques, isolés, avec de vieilles idées et des préjugés rances. Un mouvement peut changer les esprits par sa démarche collective, car les gens qui y prennent part vivent ensemble une expérience, voient leur force collective et le pouvoir du nombre et, enfin, apprennent à compter sur eux-mêmes.

Il est certainement compréhensible que les gens veuillent voter pour Biden afin de se débarrasser de Trump. Mais il serait tragique que les personnes inspirées par Sanders limitent leurs perspectives à la défaite de Trump et leurs espoirs dans la personne de Biden. Oui, la pandémie Covid-19 montre sans aucun doute l’incompétence totale de Trump, son narcissisme et son mépris pour la vie des gens ordinaires. Mais il ne s’agit certainement pas seulement de sa vénalité et de ses défauts. La pandémie révèle également que le fonctionnement général de ce système capitaliste, à tous les niveaux de gouvernance, ne veut pas et ne peut pas s’attaquer aux vrais problèmes auxquels la majorité des gens sont confrontés. Si nous reconnaissons la responsabilité du capitalisme dans cette pandémie, ainsi que dans la catastrophe climatique et dans toute la gamme des horreurs sociales et économiques chroniques auxquelles nous sommes confrontés, pourrait-il alors être plus clair que nous avons besoin d’un changement systémique total ?

Photo : Stephanie Keith/Getty Images. Manifestation devant un centre Amazon le 1er mai 2020, NYC. utilisée sur le site de Speak out

L’heure est au socialisme

Les défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui sont énormes. Même avant la pandémie Covid-19, le montant de la dette dans le monde était immense et ne cessait de croître. L’inévitabilité d’une crise économique grave, associée à la menace de catastrophes climatiques majeures, exclut de placer ses espoirs ou de se concentrer sur les élections comme moyen de transformation sociale.

Les scientifiques nous avertissent constamment du fait que nous avons probablement moins de dix ans pour changer radicalement notre comportement économique. Et cela nécessite des changements fondamentaux dans l’organisation économique, politique et sociale de la société. Il est insoutenable et mortel de continuer à gérer un système basé sur le profit au détriment de notre vie et de la santé de la planète. La Terre est notre foyer et il n’y a pas de planète B. Nous n’avons pas le temps d’espérer et de faire des détours et autres demi-mesures électorales. Nous devons mobiliser nos forces pour relever les véritables défis auxquels nous sommes confrontés et les relever rapidement.

Les socialistes, et tous ceux qui veulent changer fondamentalement la société, doivent consacrer toute leur énergie à organiser des mouvements contre l’exploitation et l’oppression, et à répondre à la crise existentielle du climat. Nous tourner dès à présent vers la classe ouvrière doit être notre priorité absolue. Nous ne pouvons pas nous tourner les pouces et attendre qu’un mouvement social fasse ce travail à notre place. Nous devons travailler avec d’autres mouvements populaires contre toutes les formes d’oppression, et nous devons construire des organisations révolutionnaires à l’échelle internationale qui pourront mener la lutte pour renverser le capitalisme et construire un nouveau monde socialiste.

Pete Davis, paru le 27 avril 2020 sur le site de Speak Out Now

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