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L’échec d’une utopie : une histoire des gauches en Israël, de Thomas Vescovi, préface de Michel Warschawski

La Découverte (Cahiers libres), 2021, 372 p., 22 €, numérique : 14,99 €

31 mai 2021 Article Culture

Le livre de Thomas Vescovi est à mettre en toutes les mains. C’est, de très loin, le meilleur ouvrage sur le conflit israélo-palestinien qui ait été publié en français depuis longtemps. Vescovi revient sur la genèse de l’implantation juive en Palestine depuis la fin du xixe siècle, ce qui lui permet d’expliquer dans ses grandes lignes l’histoire du pays depuis l’Empire ottoman à nos jours, en passant par la période du mandat britannique, la naissance d’Israël et les guerres israélo-arabes. Ainsi le lecteur, même non spécialiste, a une vue d’ensemble de la question tout au cours du xxe siècle jusqu’à nos jours.

Gauche sioniste et gauche anti-sioniste

L’axe qui sert de fil conducteur à l’auteur est celui de l’histoire des gauches, gauches étant au pluriel puisque ce terme englobe à la fois la gauche sioniste, dite « sioniste socialiste » ou « sioniste travailliste », et la gauche anti-sioniste, qui conteste le caractère même d’État juif d’Israël. Le courant principal de cette gauche anti-sioniste a été représenté d’abord par le Parti communiste palestinien, puis par le Parti communiste israélien, ensuite par ses différents avatars.

Il n’y a d’ailleurs jamais eu de muraille de Chine entre ces deux gauches. Le Parti communiste palestinien fut fondé à l’origine, au début des années 1920, par des militants sionistes de gauche qui rompirent avec le sionisme pour se rallier à la révolution russe et à l’Internationale communiste. Et ils furent capables d’attirer dans leurs rangs de jeunes révolutionnaires arabes, eux aussi influencés par Octobre 1917.

Mais il s’agissait là d’un courant minoritaire. Au sein de la population juive, les sionistes socialistes étaient de loin le courant dominant. Celui-ci était animé à ses débuts par de jeunes idéalistes venus principalement de Russie et d’Europe orientale, persuadés qu’ils allaient fonder en Palestine un État socialiste juif qui assurerait à la fois une rédemption nationale (en les soustrayant notamment à l’antisémitisme) mais aussi sociale grâce à des formes coopératives de travail qui rendraient inutile le patronat. C’est ainsi que naquirent les fermes collectives, les kibboutz, les villages associatifs, les moshavs, mais aussi plus d’une centaine d’entreprises possédées par la centrale syndicale qu’ils avaient créée, la Histadrout.

Le ver dans le fruit

Cependant, dès le départ, le ver était dans le fruit. Les kibboutz avaient été fondés sur des terres achetées par les organisations juives à de grands propriétaires arabes. Pour pouvoir les mettre en valeur, elles expulsèrent donc les ouvriers agricoles et les paysans arabes qui se retrouvèrent sans rien. Dans les villes, et notamment dans les entreprises de la Histadrout, on n’embauchait pas d’ouvriers arabes, car les emplois étaient réservés aux seuls Juifs qui, par le biais du travail manuel, devaient reformer un peuple « normal », rompant avec les métiers du négoce et de l’artisanat de leurs pays d’origine.

L’enfer est souvent pavé de bonnes intentions. La libération sociale et nationale souhaitée par la gauche sioniste conduisait à faire des Arabes de Palestine d’abord des déplacés dans leur propre pays, puis, réduits au chômage, des citoyens de seconde zone. Dès le départ donc, le sionisme, même sous sa forme « socialiste », prenait la forme d’un colonialisme un peu particulier dont la caractéristique principale n’était pas d’exploiter les habitants originels d’un pays, mais de les chasser de chez eux.

La gauche sioniste laisse la place à la droite

Pendant un demi-siècle, jusque dans les années 1970 et 1980, la gauche sioniste domina la scène politique, ses membres jouant un rôle de première importance à tous les niveaux des rouages de l’État, au gouvernement, dans les états-majors de l’armée ou à la direction de l’économie. Elle s’allia souvent – et sans trop d’états d’âme – avec la droite et l’extrême droite, pour faire finalement le lit de cette dernière qui aujourd’hui domine le pays. Avec des gens comme Begin, Sharon ou Netanyahou, elle a renforcé et poussé jusqu’à l’extrême la législation anti-arabe, que la gauche sioniste avait mise en place dès la création d’Israël en 1948, démantelé le secteur économique de la Histadrout, qui a été offert au secteur privé, et revu à la baisse la législation sociale.

Désormais, l’élite politique issue des kibboutz ne joue plus guère de rôle et a été remplacée par les fous de Dieu et les voyous d’une droite extrême, raciste et suprémaciste. Faute d’avoir accepté de reconnaitre, dès l’origine, la réalité et les aspirations du peuple arabe de Palestine, l’utopie sioniste-socialiste est devenue aujourd’hui une dystopie sioniste-raciste.

Un large spectre d’organisations diverses

Cette réalité, Vescovi n’est pas le premier à la décrire. Par contre il analyse de façon très fine l’échiquier politique de la gauche israélienne montrant les échanges incessants entre les courants anti-sionistes et sionistes, la dérive d’une partie de ces derniers vers la droite, le rôle de plus en plus important joué par les ONG de défense des Palestiniens comme B’Tselem, Breaking the Silence ou Yesh Din, les contradictions qui traversent les mouvements pacifistes comme La paix maintenant ou le Bloc de la paix, l’émergence d’un groupe comme BDS (Boycott, désinvestissement, sanction), les associations spontanées entre femmes israéliennes et palestiniennes, les mouvements de résistance chez les soldats ou chez les lycéens, etc. Bref, un bouillonnement qui ne concerne certes qu’une minorité de la population mais qui est porteur de promesses d’avenir. Le livre a été écrit avant le soulèvement des Palestiniens d’Israël et des territoires occupés du mois dernier. Mais il offre maints éléments permettant de comprendre après coup les racines profondes de la question.

Dans sa préface, le militant révolutionnaire israélien Michel Warschawski, écrit : « Une chose est certaine pourtant : l’avenir du conflit israélo-arabe ne sera pas en premier lieu le produit des combats internes à la société israélienne. Celui-ci sera surdéterminé par les contextes régionaux et internationaux. Les avancées et les reculs de la révolution arabe, les évolutions de l’islam politique, l’écroulement de l’ordre Sykes-Picot et des États constitués il y a un siècle par les puissances impérialistes pèseront bien davantage sur l’avenir d’Israël et du conflit colonial en Palestine que la victoire de Netanyahou sur les travaillistes ou un soubresaut salutaire du camp de la paix israélien. » C’est aussi là l’opinion d’un autre vétéran de la lutte anti-sioniste et internationaliste en Israël, Moshe Machover, qui, en son temps, cofonda l’organisation socialiste israélienne Matzpen (La Boussole), une des seules à se revendiquer du marxisme révolutionnaire. On peut cependant souhaiter que la lutte engagée par les Palestiniens enflamme à nouveau les classes ouvrières et populaires du monde arabe pour lesquelles la question de la Palestine reste centrale.

Jean Liévin

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