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Féminicides : 2019, année de record sinistre…

13 décembre 2020 Article Société

Chaque année en France, une femme meurt tous les trois jours en moyenne, tuée par son conjoint ou ex-conjoint. Ce constat terrifiant est devenu un bilan encore plus sinistre en 2019 où il a atteint au total 146 décès, soit une augmentation de 21 % sur un an.

Tous les milieux, âges, villes et champs…

Les études, émanant des autorités comme de journalistes, montrent que ces violences conjugales touchent tous les milieux et toutes les classes d’âge, en ville comme en milieu rural. Selon l’Insee, en février 2019, la répartition des victimes selon le niveau de vie donnait 18 % dans les classes aisées, 23 % dans les classes moyennes supérieures, 23 % dans les classes moyennes inférieures et 36 % dans les classes modestes. Une victime sur cinq a plus de 70 ans, le phénomène touche donc aussi les personnes âgées, notamment les couples isolés. Les « motifs » de ces assassinats sont la séparation en premier lieu, devant la dispute et la jalousie. Les femmes tuées étaient dans leur majorité sans emploi ; 64 % de leurs meurtriers n’ont pas ou plus d’activités professionnelles, contre 24 % qui sont employés ou ouvriers.

Plaintes sans suite…

Des chiffres : 41 % des femmes mortes en 2019 avaient subi antérieurement au moins une forme de violence (physique ou psychologique), et parmi elles, 63 % avaient signalé ces faits aux forces de l’ordre (26 d’entre elles avaient porté plainte pour faits de violence). Quant aux hommes, 17 % étaient connus des policiers ou gendarmes pour violences conjugales sur la victime !

Un des problèmes est là en effet : rien ou presque n’est fait après dépôt d’une plainte puisque 80 % des plaintes déposées entre 2015 et 2016 ont été classées sans suite ! Les flics sont davantage utilisés à faire régner l’ordre dans les quartiers ou à réprimer les manifestants qu’à accueillir correctement les femmes battues ! Ces féminicides s’inscrivent dans un contexte plus large de violences conjugales, physiques et/ou sexuelles, qui touchent 213 000 femmes chaque année. En 2005, une enquête nationale évaluait la proportion de femmes en situation de victimes de violences conjugales à 10 %.

On ne naît pas femme, on le devient ?

Ces violences conjugales ne peuvent être comprises sans interroger les rapports de genre, ou ce qu’on appelle à juste titre la domination masculine, inscrite dans la culture de notre société mais aussi dans ses lois. Dans le Code civil, la puissance maritale n’a été abolie qu’en 1938 et la puissance paternelle en 1970… relativement récemment donc. Ces violences sont révélatrices d’un rapport social profondément inégalitaire, qui maintient les femmes dans des positions subalternes, avec bien souvent une forte dépendance matérielle à l’égard du conjoint. Les salaires féminins – quand les femmes travaillent et ne sont pas reléguées au foyer – sont inférieurs de 20 à 25 % en moyenne à ceux des hommes. Et les responsabilités sont généralement asymétriques à l’égard des enfants, du foyer, de l’implication sociale, voire politique, etc.

Pour certains hommes, la femme est là pour les servir, dans tous les domaines et moments de leur vie, servante de fait ou faire-valoir en société, l’un n’empêchant pas l’autre… Bref on continue, en ce début de XXIe siècle, à tremper dans une conception arriérée qui fait penser à la dénonciation du mariage comme « prostitution légale » chez des féministes de 1848 ! Bien sûr, la misère, l’alcool et la drogue sont des circonstances aggravantes de cette situation. Les femmes qui souffrent le plus durement de cette situation sont certainement celles de grands pays d’Asie, d’Amérique latine ou d’Afrique, où elles ont parfois manifesté en masse ces dernières années.

Des femmes en situation de dépendance à de nombreux niveaux

La dépendance matérielle et affective pèse sur bon nombre de femmes : comment quitter une personne qu’on aime, qui se repend après les coups et dont on dépend pour vivre si l’on n’a pas de diplômes, pas d’expérience professionnelle ou pas d’emploi ? Comment le faire quand on est en zone rurale ou périurbaine sans voiture ou sans permis de conduire, loin de toute association pouvant fournir une aide, et qu’on se méfie de la police ?

Dans les beaux quartiers, ce n’est pas forcément plus facile. Un article de Laurène Daycart, dans Mediapart du 25 novembre dernier, relate la rencontre de femmes victimes de violences conjugales dans des milieux bourgeois. La honte et la crainte du déclassement social font que 5 % des femmes de milieux aisés contre 22 % de milieux modestes vont au commissariat, où le taux de plaintes tombe à 3 % pour les premières contre 12 % pour les secondes. Ces femmes, épouses par exemple de dirigeant de société de conseils en investissements (aux revenus mensuels de 23 000 euros), de directeur financier (15 000 euros mensuels), de dirigeant de multinationale, elles-mêmes éduquées, ont été victimes d’humiliations, de violences psychologiques, de coups pendant des années… jusqu’au jour de trop ! Jusqu’à la prise de conscience que la prochaine fois, elles pouvaient y rester.

D’après une avocate d’un cabinet connu à Neuilly, quand ces victimes issues de catégories socio-professionnelles favorisées viennent consulter dans le cadre d’une séparation, elles finissent par parler ensuite des violences. La séparation est alors une guerre économique où celles qui n’ont pas de travail laissent beaucoup de plumes, les autres s’en sortant mieux – tout en disant, toutes, que « se défendre, s’en sortir, ça coûte cher ».

Une « cause nationale » selon le gouvernement… mais sans moyens à la hauteur

Mettre un terme à cette situation indigne était – paraît-il – une des « causes nationales » du gouvernement Macron… avec Marlène Schiappa en tête de gondole, présentée comme féministe à sa nomination. Et de lancer un Grenelle des violences conjugales en novembre 2019… tout en acceptant d’être sous-ministre de Darmanin ! Le résultat a été unanimement dénoncé par les associations féministes, les associations de terrain d’aide aux victimes : « Le gouvernement communique beaucoup. Mais les résultats ne sont pas là. On a droit à des petites réformes. Il faut un changement de grande ampleur, avec des politiques publiques ambitieuses. Et il va falloir allouer un budget conséquent, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui », selon Caroline De Haas, du collectif #noustoutes.

Pour celles et ceux qui n’auraient pas confiance en ces collectifs de féministes (vues par les plus réactionnaires comme des viragos aveuglées par leur haine des hommes), le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a publié un avis, dans le cadre du Grenelle, dans lequel il appelle à élaborer un sixième – sixième ! – plan interministériel « ambitieux » d’actions contre les violences faites aux femmes, incluant des indicateurs pour mesurer la mise en œuvre de ces mesures, avec des financements à la hauteur. Il faut « aller vers un milliard d’euros » (le coût annuel des violences conjugales s’élèverait, selon le Haut Conseil, à 3,6 milliards d’euros !).

L’avis rendu comporte plusieurs axes : le développement d’une culture de la protection judiciaire, le soin pour les victimes, un hébergement sécurisé pour les femmes victimes avec accompagnement adapté, le passage vers un logement pérenne, l’accès à une autonomie financière et le traitement adapté de la parentalité.

Il y a donc du pain sur la planche !

À commencer par la prise de conscience d’une situation anormale… pour les femmes victimes, mais aussi pour les hommes, et par sa dénonciation. C’est ce que font les colleuses qui dénoncent les féminicides et les violences faites aux femmes depuis plus d’un an maintenant sur les murs des villes. Ce mouvement a émergé à Paris en septembre 2019 et compte plusieurs milliers d’activistes, de tous milieux sociaux, y compris en zone rurale. Les murs et les trottoirs se sont recouverts de slogans chocs comme « Être une femme tue », « Si elle dort, c’est non », « Céder n’est pas consentir » ou encore « Violeur, on te voit ».

Dans le sillage de #metoo, c’est une génération de femmes qui se lève et s’organise. Reste que ce combat-là, comme celui contre toutes les formes de racisme, contre toutes les oppressions, ne doit pas rester isolé et doit faire corps avec la lutte contre le système capitaliste, qui contribue fondamentalement à maintenir les femmes dans cette situation d’infériorité.

Liliane Lafargue

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