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Accueil > Les articles du site > Meeting vidéo du 26 avril 2020 : ce virus qui ébranle le monde (...)

Fédération de Russie

Mis en ligne le 29 avril 2020 Article Monde

Le printemps 2020 devait être celui de Poutine et de son sacre. Le président avait mené à bien une révision constitutionnelle, renforçant l’assise institutionnelle de son régime et lui donnant la possibilité de se représenter aux présidentielles de 2024 pour encore deux mandats (donc la possibilité d’un règne de quelque 30 ans, plus long que celui de Staline – soulignaient des opposants. Le tour de passe-passe devait être plébiscité par référendum le 22 avril… avant des rassemblements grandioses prévus le 9 mai pour célébrer les 75 ans de la victoire sur le nazisme, que tous les ans Poutine s’approprie allégrement. Mais tout tombe à l’eau ! Pour cause de coronavirus. Et la grande majorité des Russes, qui était déjà plus préoccupée par le contenu de son frigo que par l’état de la constitution, l’est davantage aujourd’hui. La pandémie exacerbe une situation déjà bien dure pour les classes populaires, du fait de la chute du prix du pétrole, de la chute du rouble et d’une récession liée aussi aux sanctions imposées par les puissances occidentales à la suite de l’annexion de la Crimée en 2014.

Alors que l’épidémie se propageait dans le monde à la vitesse d’un Airbus A320, Poutine a commencé par le déni : la Sainte Russie serait épargnée. Les déclarations officielles étaient claires : « tout va bien », « le Coronavirus est contenu hors des frontières », « pas de panique, ce n’est qu’une grippe », « les hôpitaux sont prêts ». Pas de confinement de la population, seulement du pays dans une Russie prête à vivre en autarcie.

Tout irait donc bien ? Oui et non. Les Russes ne savent plus où donner de la tête car gouvernements et médias étrangers se relaient pour dénoncer l’imposture de Poutine : comme partout, les infrastructures ne sont pas préparées, comme partout les chiffres sont truqués… peut-être même un peu plus que partout. Les chiffres particulièrement bas de victimes du virus interpellent d’autant plus que les morts par « pneumonie » ou « double pneumonie » augmentent curieusement ! Le bilan des infrastructures de santé, dressé en début d’année, n’est pas digne de la onzième puissance mondiale. Plus de 40 % de ces infrastructures ne disposent pas de chauffage central et plus de 30 % n’ont pas l’eau chaude. La situation à Moscou et Saint-Pétersbourg n’est pas moins préoccupante. En temps normal, vous devez apporter votre propre papier toilette à l’hôpital, alors imaginez en temps de crise sanitaire ! Il faudrait sans doute apporter votre respirateur ! Son prix actuel au marché noir atteint 1,8 million de roubles (23 000 $). Et encore faudra t-il patienter car la liste d’attente dépasse déjà six mois. Eh oui, il n’y a pas que des pauvres en Russie et des super riches en installent dans leurs résidences.

L’état lamentable des hôpitaux n’est une surprise pour personne. Fin 2014, les personnels soignants avaient déjà alerté et manifesté contre les réformes dites d’« optimisation » (traduisez par licenciement de milliers d’infirmiers et médecins et fermeture d’un tiers des hôpitaux de la capitale). Malgré les manifestations, l’optimisation a été rondement menée et les hôpitaux sont devenus aujourd’hui les premiers vecteurs de l’épidémie dans le pays.

Ainsi pour Poutine, jouer les Chuck Norris ne pouvait pas durer. Une double pression interne a ruiné son rêve d’une Russie échappant à la pandémie mondiale. La première pression est venue des pouvoirs locaux (des gouverneurs de province mais aussi du maire de Moscou – principale zone touchée au point d’être comparée à la région chinoise de Wuhan). Leur mandat est en jeu. La seconde pression est venue des hôpitaux. À l’appui de photos et vidéos en boucle sur les réseaux sociaux, personnel soignant et ambulanciers font état d’une réalité autrement plus inquiétante que ce que laissait entendre le discours officiel. Si de nombreux Russes doutent encore de l’existence du coronavirus et avancent des thèses complotistes, mettant en cause Trump ou Poutine lui-même, les témoignages issus des soignants et la multiplication des appels à l’aide des chefs de service ont fini par faire craquer le chef du Kremlin. Dernièrement, Poutine est revenu à demi-mot sur ses premières déclarations en reconnaissant certaines « pénuries ». Ça parait peu, mais au vu de ses habitudes, c’est notoire. Il a annoncé des primes pour les médecins (980 € par mois) et les infirmières (620 €), l’équivalent d’un second salaire. C’est plus que celles de Macron, mais est-ce que ce sera suffisant pour acheter leur silence ? Pas certain. La colère monte et se généralise. La situation sanitaire n’est d’ailleurs pas la première inquiétude, celle qui prédomine reste celle du frigo.

Sorti de force de son déni, Poutine transforme le début du cauchemar en rêve : pas de confinement, mais une semaine fériée (festive) et donc payée par les patrons à la fin mars. Chacun part à sa datcha, mais personne n’est serein. L’annonce des jours fériés aux frais des patrons a plus inquiété que rassuré. Si les Russes se défient de leur gouvernement, ils se méfient davantage encore de leurs patrons. L’inquiétude est montée d’un cran lorsque Poutine a annoncé le prolongement du confinement pour un mois – tout le mois d’avril. Car si la grande majorité des entreprises a joué le jeu la première semaine (bien que 25 % travaillaient encore), il n’était pas question pour les patrons de payer un mois chômé. Au cas par cas, les salariés des petites et moyennes entreprises ont été mis en congé sans solde ou simplement licenciés. Les grosses entreprises ont visiblement obtenu des passe-droits plus ou moins informels pour contourner les jours fériés et leurs salariés ne les ont pas dénoncées. Le confinement est subi et beaucoup attendent avec impatience sa fin ; les jours d’après inquiètent fortement. La précarité des travailleurs pousse davantage à s’allier avec les petits patrons en refusant le confinement qu’à l’exiger et le faire respecter. L’ambiance – pour autant qu’on le sache aujourd’hui – n’est pas au droit de retrait.

Les réactions les plus vives viennent des travailleurs qui ont perdu leur emploi. Récemment, en Ossétie du nord, une république fédérée du Caucase nord, connue pour sa pauvreté et son isolement, a été le théâtre d’émeutes. Les émeutiers, non masqués pour le coup, dénonçaient le confinement et exigeaient la démission du gouvernement local.

Partout, les frigos se vident et le contrat social (en substance : « moi Poutine je règne, mais vous vivez heureux ! ») pourrait bien se terminer. Une partie croissante de la population revit aujourd’hui le cauchemar de la crise de 1990 dont le spectre maintenait jusqu’ici au pouvoir Poutine et sa clique qui se flattaient de l’en avoir fait sortir. Certains experts, y compris du FSB (la police politique), pronostiquent une multiplication des émeutes de la faim avant l’été et s’inquiètent de la survie du régime. La faillite des petites et moyennes entreprises va certainement grossir les rangs des mécontents et former des opposants au régime d’une autre trempe que les blogueurs et avocats élevés au grain libéral des occidentaux. Si le scénario émeutier est probable, il est moins certain que les salariés suivent sur le terrain de la grève, qui légalement nécessite un vote majoritaire de salariés réunis en assemblée générale. Elle n’est pas encore à l’ordre du jour, mais qui sait ! En tout cas, la situation aggravée par la faiblesse des prestations sociales pourrait bien faire descendre dans la rue comme cela avait été le cas en 2018, contre la réforme des retraites.

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